Simo Mraović

Publié le 15 Décembre 2009

Simo Mraović  (1966-2008)


30fda0d146a9134a1066927f5bf40741 largeL'écrivain Simo Mraović est né à Kutina. Il a passé sont enfance à Jastrebarsko et le reste de sa vie à Zagreb. A la Faculté de Philosophie de Zagreb il a étudié la philosophie, la langue et la littérature russe ainsi que la croatistique. Il a travaillé à titre honoraire dans divers journaux zagrébois ; pour la télévision il fut l'auteur de courts scénarios destinés à des talk-shows, il servit comme rédacteur pour la rubrique culturelle du journal "Republika" et présenta depuis l'année 2000 jusqu'à sa disparition le talk show du dimanche "Kava i kolači" (Café et gateaux). Il fut membre du PEN suédois, de l'Association des écrivains croates et de l'Association croate des auteurs. C'est en 1984 qu'il a commencé à publier. Son roman "Constantin Craintdieu"(Konstantin Bogobojazni) et le recueil de poèmes "Gmünd" ont été traduits en ukrainien et en bulgare. Constantin Craintdieu a été publié en français ; une édition en allemand est en préparation. Lui-même a traduit de la poésie en anglais. En principe, sa nouvelle philosophique "Doktor Biblije", écrite durant sa dernière année d'existence, aurait dû être publiée en 2009. Simo Mraović a été enterré dans le village Kozarac, dans la région de Kordun, selon sa volonté exprimée.


Constantin Craintdieu

Ce roman raconte les aventures d'un poète zagrébois, qui erre de bistrot en boîtes de nuit dans les redoutables années 1990... On parle beaucoup de "peuple minoritaire", et ce n'est qu'au bout de quelques pages que l'on comprend que le "peuple minoritaire" est devenu "majoritaire" dans un nouvel État, ce qui a pour conséquence immédiate que "l'autre peuple" devient, à son tour, "peuple minoritaire"... Il faut aussi quelques pages pour que le narrateur nous dévoile sa lente et tardive prise de conscience de son appartenance à ce "peuple minoritaire"...

Publié à peu d'exemplaires dans des circonstances assez inhabituelles chez l'éditeur zagrébois SKD Prosvjeta, Constantin Craintdieu fut à l'origine de l'un des plus grands scandales littéraires de l'après-Tuđman. Ce roman, qui décrit sur un ton ironiquement frivole la première moitié des années quatre-vingt-dix, durant laquelle ce poète enjoué issu du "peuple minoritaire" se cache de la police militaire en se réfugiant chez ses maîtresses, dans les bars et les boîtes de nuit, irrita profondément la critique institutionnelle. L'auteur fut traité d'individu sans scrupule, et ce texte complètement inoffensif fut comparé aux plus sombres machinations littéraires jamais élaborées dans les bureaux de renseignement généraux. Mais le premier tirage fut épuisé presque aussitôt après sa parution et continua ensuite de circuler de la main à la main, tel un samizdat ou une cassette vidéo au contenu proscrit... Ce roman nous raconte les errances d'un jeune poète qui, plongé dans la brutalité des années quatre-vingt-dix, dresse une topographie précise, priapienne et souterraine de la "bienveillante ville de Zagreb".


Extrait

Un rapide shopping à Trieste et à Graz peut avoir un effet thérapeutique, Inès, qui en revient, passe me prendre place Britanski_trg_Zagreb.jpgdes Fleurs. Nous sommes chez elle, dans son appartement de la place Britannique. Je l'aide à ranger ses courses dans le frigo. J'ai faim, j'ai seulement grignoté hier, à déjeuner. Comme si j'avais passé la journée à attendre son retour de Graz.
- Oh putain, qu'est-ce que c'est que ça ? dit subitement Inès, en brandissant une saucisse assez longue.
- C'est au cas où, dis-je.
J'ouvre ma braguette délicatement, mais la remonte pour qu'elle ne voie pas que je bande déjà. Inès n'a fait que pousser le volume de la musique et se lécher le bout du nez.
Une lampiote brillait dans la cuisine. Il fallait être vigilant. A cette période, il arrivait souvent que des forces spéciales et autres formations douteuses surprissent fâcheusement des citoyens en train de comploter contre notre jeune État.
Moi, j'étais un suspect de choix. Il en est toujours ainsi de l'élite. Et, effectivement, ce soir-là, je me sentais pleinement faire partie de l'élite, vu qu'Inès en était membre. Comme Inès appartenait incontestablement à l'élite et que moi, je me la faisais, je me laissais croire que j'en faisais moi aussi partie. Je me sentais même un peu inquiet, voyez-vous, un peu intimidé à l'idée d'appartenir au peuple majoritaire - vachement bandant.

Source : Simo Mraović, Constantin Craintdieu, teatroom noctuabundi, Paris, 2008, pp. 11-12. Traduit du croate par Yves-Alexandre Tripković.


Rédigé par brunorosar

Publié dans #Ecrivains

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