Marinko Koščec

Publié le 24 Août 2014

Littérature en Croatie : la parole subversive peut-elle être entendue ? 

 

 

Plus de vingt ans après l’indépendance de la Croatie, les auteurs peinent à s’imposer sur la scène littéraire croate. Dans un pays où la lecture n’est pas une tradition, écrire reste une vocation. L’écrivain Marinko Koščec fait partie de cette génération qui persiste dans la littérature malgré un public absent. Interview avec cet auteur, éditeur et professeur de littérature française à l’Université de Zagreb.

 

Le Courrier des Balkans (CdB) : Vous avez participé en juillet dernier au festival subversif de Zagreb. Vous présenteriez-vous comme un auteur subversif ?

Marinko Koščec (M. K.) : Même si j’écrivais quelque chose d’assez grave, je ne pourrais pas me vanter d’être subversif. Je constate, avec tristesse ou résignation, que l’espace littéraire n’est pas un lieu qui permet de faire avancer les choses. Le grand mal, c’est que les paroles vraiment subversives ne sont pas entendues. Même si on dénonce et écrit des choses massacrantes sur les hommes politiques par exemple, on a l’impression de prêcher dans le désert, ça passe inaperçu. On ne risque aucun danger, la possibilité même d’agir semble avoir disparu.

 

CdB : Comment l’expliquez-vous ?

M. K. : L’explication est très banale. Déjà, la tradition de lecture n’existe pas ici et on lit de moins en moins. Ensuite, le système de survie du livre est artificiel. L’industrie éditoriale existe encore grâce à des subventions d’État qui permettent aux éditeurs de vivoter et couvrir leurs frais. Mais est-ce que les livres arrivent au public, ça c’est autre chose. Souvent, les maisons d’édition ne se préoccupent pas des acheteurs. Il y a donc une perversion dans ce système. Je me demande d’ailleurs comment quelqu’un peut se permettre de dépenser de 15 à 20 euros pour un roman.

 

CdB : Est-ce que cela signifie que les jeunes auteurs vont avoir de plus en plus de mal à s’imposer sur la scène littéraire croate ?

M. K. : Oui, ils auront du mal à s’imposer mais ils ne semblent pas être anéantis par cette apathie qui règne. L’écriture ici est une vocation, pas une profession. Il y a des jeunes qui font leur chemin et qui trouvent une façon neuve de s’exprimer, malgré l’apathie ambiante incontournable. Tout le monde en est conscient, on ne fait pas comme si elle n’existait pas mais on travaille avec. C’est une forme de résistance.

 

CdB : La Croatie n’est indépendante que depuis une 23 ans. Y a-t-il des sujets qui se sont imposés dans la littérature après la guerre ?

M. K. : Comme partout, les thèmes choisis dépendent des conditions sociales. Il n’est pas étonnant que dans une société comme la nôtre, on parle beaucoup de transition et d’héritage de l’ancien système. C’est ce qui crée le terrain de base, même si ça varie selon les auteurs. Il y a quelques romans de guerre, mais finalement pas tant que ça. C’est surtout l’après-guerre, le nouveau monde, qui a laissé des traces et a eu une grande influence sur le choix des motifs. Il y a eu une nouvelle génération en 2000, avec une prose réaliste, qui s’est exprimée dans un langage plus relax, plus familier, qui a cherché à éviter à tout prix l’académisme et l’hermétisme des générations précédentes.

 

CdB : Quelle est la particularité de cette génération d’écrivains ?

M. K. : C’est cette parole naturaliste qui évoque le quotidien. Beaucoup de journalistes sont devenus romanciers ou nouvellistes. Encore une caractéristique : la nouvelle a dominé dans la prose, et ce n’est pas étonnant car c’est un format très abordable, qui simplifie, permet de saisir des instants du quotidien, capturer la réalité au vif pour en faire des morceaux très accessibles. La nouvelle s’est imposée comme un format convenable pour transmettre un message, le roman étant considéré comme trop ambitieux. Voilà une particularité notable.

 

CdB : Vous faites notamment partie de cette génération. Votre univers est grinçant et on le compare souvent à celui de Michel Houellebecq. Vous partagez cet avis ?

M. K. : C’est un fait qu’on a associé mon travail à celui de Michel Houellebecq, par automatisme. J’ai travaillé quelques années sur cet auteur, donc ce n’est pas un hasard si on trouve des résonances. Il y a sans doute une affinité de caractère, de tonalité, de regard sur le monde. Par contre, mon expression est beaucoup plus esthétisée que celle de Michel Houellebecq. Je travaille la phrase, le détail. Contrairement à lui, mes livres changent beaucoup. Jusqu’à présent, j’ai écrit six romans, et ils sont très différents les uns des autres. S’il y a une continuité, c’est le ton. Je travaille beaucoup avec l’ironie, je cherche à amuser, je cherche un divertissement avec la mélancolie fondamentale qui est le point de départ de mes narrateurs. Et cette ironie mélancolique varie selon les thèmes. Mon dernier roman, par exemple, est une satire de la scène politique croate.

 

CdB : Aujourd’hui, qu’en est-t-il des rapports entre Serbie et Croatie au niveau littéraire ? Y a-t-il des échanges entre les auteurs des deux pays ?

M. K. : Lorsque les frontières étaient fermées, des livres arrivaient presque sous le manteau. Il n’y avait pas de liens officiels entre les éditeurs, ou très discrets. S’il a été difficile de promouvoir un ouvrage serbe pendant 15 ans, aujourd’hui, cela ne pose aucun problème. Il n’est pas nécessaire de traduire, c’est le grand avantage, ça serait une monstruosité que de croatiser le serbe qu’on comprend parfaitement. Il y a des auteurs qui viennent régulièrement ici, les liens ont été restitués sans difficultés, mais c’est sans compter le contexte général. Le livre a du mal à faire son chemin jusqu’au public, simplement parce que le public n’est plus au rendez-vous. Ce n’est pas le problème d’imposer un écrivain serbe, mais d’imposer un écrivain tout court.

 

CdB : Dans ce panorama, quelle est la place des femmes ?

M. K. : Beaucoup de prix dernièrement ont été attribués à des femmes. Ma favorite de tous les prosateurs est d’ailleurs Olja Savičević Ivančević qui est aussi journaliste. Il y a beaucoup de femmes qui s’imposent. Par ailleurs, je n’aime pas qu’on parle de littérature féminine. Il y a des écrivains femmes qui sont tout simplement supérieures au niveau de la puissance du discours et qui ne choisissent pas forcément des sujets typiquement féminins, mais qui expriment leur point de vue. Il y a bien sûr un registre de littérature féminine, mais ça c’est autre chose.

 

CdB : Si vous deviez conseiller quelques auteurs incontournables, quels seraient-ils ?

M. K. : Je dirais Kristian Novak, et son dernier livre Črma mati zemla, Enver Krivac, Luka Bekavac, Goran Ferčec, Tanja Mravak...

 

 

Propos recueillis par Laetitia Moréni

 

Source . balkans.courriers.info, le 24 août 2014.

 

Rédigé par brunorosar

Publié dans #Ecrivains

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