Evelyn Waugh parmi les partisans

Publié le 26 Avril 2013

Evelyn Waugh parmi les partisans

 

 

A Bari se trouvait la base arrière de la Mission militaire n°37 (renseignement et assistance aux partisans yougoslaves). Le lundi 10, un petit avion conduit les deux compères sur l’île de VisTito a son quartier général près de la petite garnison anglaise. Fitzroy Maclean, le chef de la Mission, donne précisément ce jour-là un banquet en l’honneur de Tito, avec cornemuses et alcools ; « Randolph très saoul. (…) Rien vu jusqu’à présent qui justifie son mot au Pape selon lequel tout va contre (the whole trend is against) le communisme. »

Le Journal déclare ensuite : « Tito : on dirait une lesbienne. » Waugh ne cessa par la suite de développer cette scie : « Tito ? Je l’ai vu. C’est une femme. » Mais ce jour-là il lui en coûta. Les invités se baignèrent. Tito était en caleçon court en moulant. Maclean lui présenta Waugh : « Demandez au Capitaine pourquoi il prétend que je suis une femme », répondit Tito. « C’est bien la seule fois où Evelyn Waugh n’a pas trouvé de réplique », commentait Maclean, content de son coup.

[ …]

Vers le 9 septembre, un avion de Bari déposait les deux amis en Croatie, cette fois en plein jour et sans incident. Ils s’installèrent aux environs de Topusko, petite station thermale à moitié démolie (« très différente de mon souvenir », note Waugh), dans une campagne superbe, à cinquante kilomètres de Zagreb. Une piste d’atterrissage se trouvait à quelques kilomètres. Les parachutages de matériel étaient fréquents. Randolph était chargé de la liaison avec Bari. Evelyn, son adjoint, s’occupait plus spécialement de distribuer vivres et vêtements, d’aiguiller les réfugiés (« cinquante-six Juifs, quinze aviateurs américains », note-t-il le 20 octobre, jour où les troupes soviétiques entrent dans Belgrade. Ils reçoivent des visites furtives : Andrija Hebrang, le chef borgne, un Dr Snoï du parti catholique slovène que Waugh veut suivre pour une tournée d’information (mais Bari le lui interdit), Ritoig, un vieux monsignore opportuniste de Zagreb, August Kosutic, l’un des chefs du parti paysan croate du Dr Macek, qui vient de Zagreb lui aussi, mais qui n’y retournera pas : il est enlevé par la police de Tito à l’issue de sa visite.

Waugh est favorablement impressionné par la tenue et le moral des partisans, mais leur reproche, dans son Journal, de se battre contre les Oustachis plus que contre les Allemands. Le 26 septembre, il assiste avec Randolph à un petit combat près de Sounia : « Nous avons pique-niqué à flanc de colline », « la campagne était extraordinairement anglaise », écrit-il à Laura ; au retour, ils trouvent leurs hommes (un télégraphiste et une ordonnance) ivres-morts.

Le matin, dans leur petite ferme, Waugh est assailli par les souvenirs de Midsomer Norton. Il comprend un jour que c’est un effet de mémoire involontaire (straight memory) : éclairés par le soleil, les feuilles de vigne qui encadrent la fenêtre rappellent celles de la véranda-fumoir dans la maison des tantes Waugh. Du coup, le voici plein de projets qu’il expose dans ses lettres en octobre ; vendre Piers Court, lui acheter une ferme près de sa famille à elle, tandis que lui restaurerait la maison de Midsomer Norton telle qu’elle était en 1870 (« J’ai les photographies des pièces de l’époque »), et en ferait sa « maison secrète » d’écrivain… Laura ne répond rien.

Au bout d’un mois de cohabitation parfois orageuse, Randolph et Evelyn furent soulagés, le 13 octobre, par l’arrivée de Fred Birkenhead, ami de Randolph depuis Eton, et de Stephen Clissold, ancien lecteur d’anglais à l’Université de Zagreb : « Entrez, venez voir le petit camarade dans sa robe de chambre en peau de chameau ! » hurlait Randolph, ce qui eut le don d’agacer son compagnon.

Evelyn avait aussi une peau de mouton, d’un blanc éclatant, et, le 22 au matin, quand un raid de six ou sept avions allemands, peut-être informés de la présence du fils de Churchill dans les parages, vint bombarder Topusko, il l’aborda en rase campagne, debout sous les tirs selon son habitude ; comme Randolph lui ordonnait de l’ôter, il la jeta négligemment au milieu du champ.

Par temps calme, les relations n’étaient guère plus faciles, Waugh, s’entendait bien avec Clissold, mais les deux autres étaient de plus en plus difficiles à supporter.

[…]

[Parmi les paquets parachutés le 20 novembre, il y avait les épreuves de La Maison de la Foi, devenue Brideshead revisited, Waugh s’enferma pour les corriger. D’un commun accord, Randolph Churchill et lui avaient décidé de se séparer. Le 30 novembre, Waugh reçut une nouvelle affectation : à Dubrovnik. Mais la route de Split était coupée par les Allemands, et il neigeait : « Suis inquiet pour mes épreuves, que je voudrais renvoyer au pays ; pour le reste, résigné à de longs délais » note-t-il le samedi 2 décembre. Cependant, le soir même, il peut gagner Korenica. Le lundi matin, la jeep grimpe « à travers une forêt givrée d’une intense beauté, à 11h30 atteint le sommet du col et la pierre qui marque la frontière avec la Dalmatie » :

« Brusque changement : soudain plus de neige ni de glace, la pierre couleur fauve, de la verdure dans les ravins, les arbres au-dessous de nous portant encore leur feuillage de l’automne – vignes rouges, chênes jaunes, oliviers verts, et au loin face à nous une tache bleu et or, le soleil sur l’Adriatique. »

A Split, où mouille un croiseur anglais, il entend « pour la première fois des doléances à l’encontre de la brutalité des partisans locaux », mal vus en Dalmatie. Il rencontre Wintour qu’il doit remplacer à Dubrovnik, il embarque pour Brindisi sur un bateau norvégien. Le 6 décembre au soir, il entre dans Bari plongé dans l’obscurité par une panne d’électricité. Jusqu’au 18 décembre, il prépare sa nouvelle mission, prévient Maclean dès le 9 qu’il veut enquêter sur la situation religieuse. On parlait beaucoup à Bari des affaires de Grèce, et de la menace communiste, en Italie même, lorsque les Alliés partiraient. Mais « la vue et le bruit de tant de gens » le fatiguaient désormais.

Le 19 décembre au matin, il débarque à Dubrovnik avec un sergent et un caporal. Il y restera moins de deux mois, privilégiant l’aide aux réfugiés plutôt qu’aux partisans, hantant les couvents (franciscains et dominicains), visitant les monuments dont il déplore qu’ils soient recouverts d’inscription Zivio Tito, Zivio Stalin. Au début de février 1945 un nouveau chef communiste, le jeune Antoravitch, est nommé à la tête de la ville, et obtient rapidement le rappel de Waugh, qui n’insiste pas, mais décide de postuler pour le consulat de Dubrovnik (fin avril, le Foreign Office lui répondra négativement).

 

Source : Benoît Le Roux, Evelyn Waugh, Editions L’Harmattan, 2003, pp 172-175.

 

 

 

Rédigé par brunorosar

Publié dans #Littérature et médias

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