Vesna Parun
Publié le 18 Novembre 2009
Vesna Parun
Vesna Parun est un des poètes les plus connus d'ex-Yougoslavie. Elle est née en 1927 dans une petite île dalmate, près de Šibenik : une insularité qui l'a profondément marquée comme en témoignent ses peintures - coquillages, poissons, mousses, algues coraux...
Elle a fait des études de langues romanes à l'Université de Zagreb, interrompues par la guerre en 1941. Favorable aux partisans de Tito, elle voit sa famille décimée par les fascistes. Elle abandonne définitivement les études pour l'écriture. Les "Trois chants pour les Républicains", parus dès 1945, la rendent immédiatement célèbre. Jeune poète officielle, elle s'engage dans les mouvements de jeunesse qui reconstruisent les voies ferrées en Bosnie, en 1946-1947 ; elle attrape alors le typhus dont elle ne guérira que difficilement, des années plus tard.
Son premier recueil, Aubes et tempêtes (1947) est une bombe de pur lyrisme, chantant le traumatisme ineffable de l'amour de guerre malheureux ; il lui vaut une condamnation unanime des hommes au pouvoir, alors gardiens sourcilleux du dogme du réalisme-socialisme, importé par l'URSS stalinienne.
Anti-nationaliste, libertaire et féministe, censurée de 1944 à 1954, ostracisée ces vingt dernières années, condamnée aujourd'hui à publier à compte d'auteur, Vesna Parun est l'auteur d'une trentaine de recueils de poésie, d'oeuvres pour enfants, de pièces de théâtre. Elle témoigne par son oeuvre et son engagement personnel que la poésie ne saurait obtempérer.
La grande poète connaît tous ses poèmes par coeur, et les récite tournée vers sont intériorité. On l'écoute. Elle a une voix cristalline et un rire en cascades de ruisseau. Elle transfigure, transcende chaque poème, l'amenant vers la lumière. Visage incliné, yeux fermés, mains croisées comme pour une prière-offrande aux dieux païens.
Vesna Parun a été proposée au prix Nobel de littérature en 1995.
Source : www.larevuedesressources.org/
Modrine
Baka je imala kućicu na brdu.
Grobari su nosili sunce
na brdo, a ona je pjevala.
U šumu je upao vjetar sa četrnaest
razbojnika
imahu lica od pečene zemlje, oči od
kositra.
Vjetar, grobari, krilata baka i ja
i razbojnici sa očima od
kositra.
To je moj život daleko od tebe, modrino
što začarana spavaš
u kućici na brdu.
Couleur bleue
Grand-mère avait une petite maison sur la colline.
Sur la colline les fossoyeurs portaient
le soleil, et elle chantait.
Dans la forêt se précipita le vent avec quatorze brigands.
Ils avaient des visages de terre cuite et des yeux d'étain.
Le vent, les fossoyeurs, la grand-mère ailée, et moi
et les brigands avec des yeux
d'étain.
Ceci est ma vie, loin de toi, couleur bleue,
toi qui dors ensorcelée
dans la petite maison sur la colline.
Source : Vesna Parun - La pluie maudite - L'auteur & Obsidiane, 1990, p. 88. Traduit du croate par Borka Legras et Anne
Renove.
Usnuli Mladić
Prostrt na žalu sjenovitog zatona
leži kao ograđeni vinograd
usamljen i valovima okrenut.
Njegovo lice ljupko je i ozbiljno.
Ne znam je li ljepša grana šipkova
puna cvrkuta ptičjeg, ili pregib
njegova pojasa, gipkiji od guštera.
Slušam tutanj niske grmljavine
koja se izvija s mora, sve to bliže.
I skrivena u lišću stare agave
motrim kako grlo mladića postaje galeb
i odlijeće put sunca, klićući sjetno
u žutim oblacima. A iz bronce
njegova raskošnog trbuha diže se mrko
cvjetna vrlet, na kojoj se odmaraju
prekrasne vile i kraljice iz bajkâ.
Šušti žalo i more je posivjelo.
Zlatne sjenke zasjeniše vinograd.
Stubovi oblaka penju se u daljini.
Munje dotiču šumovitu uvalu.
Udišem miris ljeta u nasadima
i puštam se da me opaja nagost bilja.
Zatim gledam svoje blistave ruke
i bedra pjenom morskom pozlaćena
iz kojih teče ulje maslinika.
I vraćajući mirne oči k njemu
koji spava, uronjen u huku
spore oluje, prastar kao agava,
mislim puna rasijane žudnje
koliko bijelih ptica raskriljenih
dršće u modrim gudurama oblačnim
tog tijela, koje tišinom zbunjuje
šumor mora i samoću trava.
Ephèbe endormi
Sur la plage où l'ombre de la baie s'allonge
Il est couché tel une vigne en son clos,
Solitaire et tourné du côté des vagues.
Son visage est empreint d'une grâce grave,
Le vent de midi à ses traits de caresse,
Il est plus beau que branche de grenadier
Gorgée de pépiements d'oiseaux, et sa taille
Plus souple que l'ondulation d'un lézard.
J'écoute la rumeur basse de la mer
Qui surgit de la vague et se répercute,
Masquée par un agave antique, j'épie
Sa gorge qui se change en une mouette
Pour s'envoler avec un gémissement
Vers l'or des nuages. Et de l'airain du ventre
Somptueux s'érige sombrement le roc
En fleur qui porte un cortège de princesses
Fascinantes, de fées surgies des légendes.
Grise est la mer, le sable crisse.
Des ombres blondes s'étendent sur la vigne;
Dans le lointain des colonnes de ciel saillent.
L'orage maintenant vient battre la plage.
Et moi je tête l'odeur d'été qui croît
Et je bois le vin des plantes dénudées
Et j'emplis mon regard de ces mains qui luisent,
De ces flancs brillants et polis d'une écume
Ou se déplace l'huile des oliviers,
Moi, mes yeux apaisés reposant sur lui
Enveloppé par la vague, qui sommeille
Dans ce tonnerre lent et vieux comme agave,
Moi livrée au vol multiple des désirs,
Je me demande combien d'ailes ouvertes
Palpitent dans les creux bleutés et les monts
De ce corps si calme qu'il s'en va troubler
L'herbe
solitaire et la mer en son
verbe.
Un entretien avec l'auteur.