L'Istrie

Publié le 11 Novembre 2009

Les duchés lombards et la marche franque : une féodalisation qui n'affecte pas le littoral byzantin.


Persistance de la culture romane.


 

Les Longobards et les Francs, en Istrie intérieure comme ailleurs, imposèrent leur domination politique et militaire tout en se romanisant linguistiquement et culturellement, exemple curieux d'intégration du dominant dans le dominé. Leur occupation numériquement faible n'altéra pas les parlers romans autochtones (encore faudrait-il pouvoir évaluer la slavisation linguistique en Istrie) et c'est en latin que sont érigées les lois et que l'historien de Cividale, Paolo Diacono, rédige son histoire des Longobards, Historia Langobardorum.

 

Charlemagne a choisi Rome contre Byzance : il s'appuya sur le patriarche de Grado et les évêques pour conquérir l'Istrie à la fin  du VIIIe siècle et y instaura un régime féodal d'essence germanique qui mit fin aux intérêts fonciers de la vieille aristocratie. Voilà la région transformée en glacis de l'Occident romano-germanique. Pour protéger la frontière orientale de son empire, Charlemagne instaure deux grandes marches : la Marchia Septentrionalis, au nord de la Drave (aujourd'hui frontière entre l'Autriche et la Slovénie avant de gagner la Croatie), et la Marchia Austriae Italiae, qui comprend la Carinthie, la Carniole, le Frioul et l'Istrie. A sa mort, ces dernières passeront en Lotharingie, ancrant la région à l'Occident et la protégeant contre les menaces persistantes des Avares et des Slaves.

 

L'Istrie appartiendra le plus souvent au regnum italicum, mais sera rattachée pendant un siècle à deux duchés germaniques, celui de Bavière, puis celui de Carinthie, illustration d'une alternance fréquente entre latinité et monde germanique. L'organisation féodale s'est imposée à l'intérieur, notamment à Pisini d'Istria, le code de Justinien étant aboli et le troc prévalant sur la monnaie, tandis que Venise, à la fin du Moyen Âge, prend sur la côte le relais de Byzance.

 

Source : Gilbert Bosetti : De Trieste à Dubrovnik : une ligne de fracture de l'Europe, ELLUG, 2006, pp. 27-28.

 

 

 

Vingt années de squadrisme et de guerre


 

Au moment où la Première Guerre mondiale avait pris fin et que les troupes italiennes avaient débarqué dans l'Istrie austro-hongroise, environ deux cent mille Croates et Slovènes autochtones habitaient la région (d'après le dernier recensement de population autrichien datant de 1910, il en était enregistré 225.423), soit 58% de la population. Cette population slave était principalement composée de paysans tandis que celle italienne était surtout faite de travailleurs industriels, d'artisans, de commerçants et de propriétaires fonciers, qui étaient plus ou moins concentrés dans les petites villes côtières telles que Kopar, Izola, Piran, Umag, Novigrad, Porec, Vrsar, Rovinj, Vodnjan, Pula, Labin ainsi que quelques centres plus grands à l'intérieur ou guère éloignés du rivage comme Buje, Motovun, Buzet et Pazin. Avant même que ne soit signé le Traité de Rapallo en 1920, par lequel l'Istrie fut accordée à l'Italie, alors que la région était encore sous occupation militaire, la population istrienne avait été confrontée au squadrisme italien des chemises noires, en partie importé de Trieste, qui se singularisa dans cette région par son agressivité et sa cruauté et ne se contenta pas d'huile de ricin ou de passage à tabac.

 

Ce qui au départ avait suscité des troubles, de la grogne et des conflits était dû à la crise sociale et économique qui avait frappé toute la Marche Julienne après l'effondrement de l'empire des Habsbourg et l'occupation militaire italienne. Les ports de Trieste et de Rijeka, les principaux débouchés de l'Autriche et de la Hongrie, perdirent leur arrière-pays et leurs marchés traditionnels. Le chômage commença à gagner du terrain. Pareillement furent perturbées les délicates relations ethniques qui avaient existé dans l'empire multinational, plurilingue et multiculturel. Exacerbés, des conflits éclatèrent entre d'un côté les forces nationalistes italiennes et de l'autre les partis ouvriers et d'autres forces qui défendaient les Slaves parce qu'ils sont une nation opprimée. Le pouvoir civil et militaire italien n'avait généralement pas compris les spécificités de la situation en Istrie, à Trieste, à Gorizia et dans la Marche Julienne, en répondant aux troubles par des condamnations et des déportations toujours plus nombreuses.

 

Durant les mois de juillet et août 1919 furent déportés en Sardaigne environ milles enseignants, fonctionnaires, intellectuels et prêtres ayant été déclarés slavophiles ou austrophiles. Quiconque avait fait grève était qualifié d'élément antinational, antiitalien et d'agent yougoslave. Après que les cheminots de Trieste eurent lancé une grève en février 1910, cinquante peines furent prononcées pour un total de 120 années de prison. En janvier 1920 se mirent en grève des ouvriers métallurgistes dont bon nombre écopèrent de peines allant jusqu'à 25 années de prison au motif d'avoir comploté contre l'Etat et incité à la guerre civile.

 

Sans aucun procès, sans aucun jugement, mais sur la seule base de dénonciations secrètes, des dizaines d'enseignants slovènes et croates, de prêtres et d'autres intellectuels installés sur le territoire qui était tombé sous la souveraineté italienne, y compris l'évêque de Krk Anton Mahnic (1850-1920), furent déportés dans le sud de l'Italie et en Sardaigne. Les déportations allèrent de pair avec des crimes commis par les squadristes fascistes.

 

A Vodnjan, un des plus grands centres agricoles de l'Istrie méridionale, les squadristes, soutenus par les forces de l'ordre, attaquèrent le 16 janvier 1920 le Foyer national où étaient installés la branche du Parti socialiste, la Chambre ouvrière et le Cercle des Etudes sociales (Circolo di Studi sociali). Dans le livre de Domenico Rismondo sur Vodnjan, publié en 1937 - par conséquent sous le régime fasciste - il est écrit qu'après une lutte sanglante qui a duré toute la nuit le Foyer national a été envahi. Il y a eu des deux côtés plusieurs blessés, et même un mort du côté rouge, l'ouvrier Pietro Benussi. Plutôt que de défendre la partie assaillie, les carabiniers épaulèrent les attaquants et, une fois la victoire acquise, ils privèrent de leur liberté ceux qui avaient échappé à la tentative de massacre : les meneurs furent jetés dans les prisons militaires à Trieste où se tint par la suite un procès pénal au Tribunal militaire, qui ordonna des peines très sévères (31 juillet). On compta 120 personnes arrêtées, dont six ayant subi des blessures. Vingt et une furent reconnues coupables et on leur assigna des peines pour un total de 101 ans.

 

L'attaque contre la chambre ouvrière de Vodnjan allait déclencher une série d'agressions fascistes contre les sièges des travailleurs et contre les organisations socialistes et slaves dans l'ensemble de la Marche Julienne : le meurtre de trois ouvriers durant la célébration du 1er mai à Pula, la dévastation suivie de l'incendie de la Chambre ouvrière également à Pula en septembre de la même année, une attaque simultanée contre la rédaction et l'imprimerie du journal Il Proletario et ainsi de suite. Une bonne partie des sinistres escadrons fascistes venus de Trieste avaient afflué en Istrie.

 

Des groupes de nationalistes et de fascistes se rassemblèrent le 13 juillet 1920 sur la Piazzi Unità à Trieste afin de clamer l'agression que des Croates avaient fait subir la veille à Split à certains irrédentistes italiens dont l'un d'entre eux, un certain Rismondo, avait été tué. Excités par les discours de quelques-uns des orateurs, ils entamèrent une sauvage chasse à l'homme, au Slave : après avoir investi le siège du Consulat général de Yougoslavie, la foule se dirigea vers le Foyer national des Slovènes et des Croates, connu sous le nom d'Hôtel Balkan, et elle bouta le feu au bâtiment de six étages qui abritait un théâtre, une bibliothèque, la Société ouvrière, une caisse d'épargne, les sièges des sociétés culturelles et économiques des Slaves de la Marche Julienne, un restaurant, un café ainsi que des appartements privés. La brochure rédigée par les soins d'Alberto Buvoli sous le titre de Foibe e deportazioni. Per ristabilire la verità storica (Foibe et les déportations. Afin de rétablir la vérité historique) commence par le chapitre Il fascismo nella Venezia Giulia e la persecuzione antislava (Le fascisme dans la Marche Julienne et la persécution antislave). S'agissant des événements de Trieste datant de juillet 1920, il y écrit :

 

Les fascistes, que Domenico Giunta avait organisés comme parti bien armé, et qu'avait soutenus et financés l'armateur Cozulich ainsi que les cercles financiers et assureurs, protégés et assistés par la Garde Royale (Guardie Regie), continuèrent tout le jour d'après à démolir les sièges d'autres organisations slaves à Trieste : furent ravagés l'imprimerie du journal 'Edinost', les bureaux, les commerces et les ateliers de nombreux citoyens slovènes, les sièges de la Banque de l'Adriatique, de la Banque de crédit de Ljubljana, de la Chambre de commerce et d'industrie ainsi que de la Caisse d'épargne croate. Rino Alessi a écrit dans le principal quotidien de Trieste 'Il Piccolo' : "Les flammes des Balkans purifient enfin Trieste, purifient nos âmes."


Ainsi donc, le fascisme, qui avait sévi à Trieste depuis mai 1919, s'était d'emblée présenté à Trieste et en Istrie sous les traits d'une organisation criminelle, squadriste, antiouvrière et antislave, annonçant ce qui dans les années du régime allait devenir un véritable nettoyage ethnique dans la région, une politique ayant pour programme la violence et l'oppression et appelée à se prolonger sur plus de deux décennies. Le programme consistait à dénationaliser, à italianiser par la force et à imposer une fascisation forcée et généralisée de la Marche Julienne. En Istrie les fascistes se salirent du sang des principaux représentants du mouvement ouvrier mais aussi de celui de Slovènes et de Croates. Les historiens fascistes eux-mêmes, parmi lesquels se détache l'Istrien G.A. Chiurco, en se vantant des oeuvres des squadristes et en les magnifiant, ont richement répertorié les méfaits commis : les assassinats d'antifascistes italiens tels que Pietro Benussi à Vodnjan, Antonio Ivo à Rovinj, Francesco Papo à Buje, Luigi Scalier à Pula et d'autres ; la destruction des chambres ouvrières et des foyers nationaux ou encore les équipées sanglantes dans les villages croates et slovènes au travers de la péninsule, etc. La première cible sur laquelle s'étaient défoulés les sinistres escadrons fascistes avait été le Foyer national à Pula, ravagé et incendié le 23 septembre. Fut également réduite en cendre la bibliothèque avec 7.000 ouvrages. La presse nationaliste et fasciste de Trieste célébra la destruction d'un nid d'ennemis de l'Italie. Mussolini en personne, qui était venu à Pula le 20 septembre afin d'aiguillonner ses propres squadristes, prononça le discours qui est cité en tête du livre. Dans un compte-rendu paru dans le journal de Rijeka La Vedetta d'Italia, en date du 25 septembre, nous pouvons lire : Pula, 23. (...) Les jeunes fascistes ont rassemblé autour d'eux une assez grande foule et se sont dirigés vers la Chambre ouvrière qu'ils s'apprêtaient à attaquer. Ils ont commencé par jeter des bombes qui ont sinistrement explosé et ont incendié et détruit tout le bâtiment (...). Après cela les fascistes se sont portés vers la rédaction du 'Proletaria' où ils ont provoqué le désordre, ensuite dans la librairie du journal socialiste où ils ont endommagé les machines et les caractères et ont détruit 10 quintaux de papier. Le pouvoir a entre temps procédé à de nombreuses arrestations, quoique pas chez les fascistes mais chez les socialistes. La peur se répandit dans la ville. Les débauchages se multiplièrent dans les chantiers navals et dans d'autres entreprises de Pula. Dans la province la marée noire du fascisme avait grossi. Mussolini lui-même écrivit quelques jours plus tard dans le journal Popolo d'Italia : Peut-être les fascistes de la Marche Julienne sont-ils l'ébauche d'un grand mouvement de renouveau national et font-ils une grande et combattive avant-garde de cette Italie dont nous rêvons et que nous préparons.

 

Sous la protection des forces de l'ordre allaient solennellement être créés le 2 octobre les Fasci di combattimento (des escadrons de combattants fascistes) à Sisan, Medulin et Porec. A Rijeka, le 15 octobre, les fascistes commandés par Giovanni Mrak (plus tard Maracchi) incendièrent le siège du syndicat (Sedi Riunite). Le même jour, à Pula, les squadristes s'en prirent aux socialistes (bolcheviques) et aux Croates. A Piran les squadras locales, renforcées par d'autres venues de Trieste, détruisirent la Chambre ouvrière puis elles usèrent de violences sur les citoyens. La parti fasciste à Piran avait été fondé le 1er novembre et trois jours plus tard la marée noire se répandit en direction de Rovinj. De janvier à février 1921 se succédèrent des assauts et des destructions de chambres ouvrières slavo-bolcheviques et de Cabinets de lecture socialistes (Circoli socialisti) à Bale, Tinjan, Skofja, Rovinj, Izola, Motovun, Gorizia, Romans d'Isonzo, Grad, Aiello (dans le Frioul), Aquilée et Rijeka. Ne furent pas davantage épargnées les sociétés culturelles (Circoli di cultura), les coopératives et autres institutions socialistes, qu'elles soient italiennes, slovènes ou croates. Allaient même être incendiées des maisons de manière à terroriser la population slave, en commençant par les villages de Krnica et Mackovlje. Au total furent livrés aux flammes 134 bâtiments. C'est justement à cette période que les squadristes de Rovinj assassinèrent en plein jour un de leurs propres concitoyens, l'ouvrier Pietro Ivo, et que leurs camarades à Buje tuèrent Francesco Papo un mois plus tard.

 

La Chambre ouvrière à Trieste, la plus importante dans la Marche Julienne, fut incendiée le 28 février 1921. La nouvelle se propagea comme la foudre à travers l'Istrie et elle poussa les mineurs des charbonnages à Rasa à entamer une grève et à proclamer la prise et l'autogestion des mines (par la suite on parlera de la République de Labin). Deux milles soldats se chargèrent d'étouffer dans le sang l'action des mineurs (trois mineurs seront tués, bon nombre blessés et une centaine arrêtés). L'opération militaire pour réprimer la révolte dura du 1er mars au 21 avril 1921.

 

Presque en même temps, au début du mois d'avril 1921, afin de se protéger contre les agressions et raids incessants menés par les escadrons fascistes sur leur territoire, les paysans de Prostina, une vaste zone entre Vodnjan et Labin, de part et d'autre du fleuve de la Rasa, montèrent des barricades aux points d'accès à leurs villages qui étaient majoritairement peuplés par des Croates. L'escadron fasciste Qui contra nos de Pula attaqua le 4 avril la localité de Segotici, mais l'assaut fut repoussé. Un autre escadron se dirigea sur Marcana mais là non plus les fascistes ne parvinrent pas à passer. Le matin du 5 avril arrivèrent des renforts de Pula : des escadrons fascistes, deux bataillons du régiment d'infanterie ainsi que des contingents maritimes de débarquement qui avaient été transportés par le canal de Brsica à l'aide du torpilleur Stocco, le tout suivi par cinq escadrons fascistes dans des camions militaires ainsi que par un détachement de carabiniers. Krnica fut occupée en premier lieu, puis les localités de Segotici, Mutvoran, Cveki, Veliki Vareski, Mali Vareski, Peruski, Kavran et Marcana. Tous les villages firent l'objet de pillages et Segotici fut incendié. Pour le 7 avril auront été arrêtés 200 paysans dont 120 seront jugés le 13 juillet 1925.

 

A la Chambre des députés italienne, le député Giussepe Tuntar originaire de Vizinada en Istrie, qui s'était mêlé aux débats sur la politique du gouvernement Bonomi, brandit le 20 juillet 1921 une accusation de la population de la Marche Julienne contre le comportement honteux à laquelle elle est soumise depuis presque trois ans déjà. Il ajouta : La Marche Julienne en raison de l'aveuglement des représentants du gouvernement italien s'est transformée en une nouvelle Irlande. Envers la Marche Julienne on ne se comporte pas comme si c'était prétendument une province libre, mais comme si c'était une colonie, une province conquise. Mais surtout, le comportement de la justice militaire et civile a provoqué le plus de désapprobation contre le nouveau régime. Selon lui : les passages à tabac des prisonniers politiques sont devenus une méthode, un système ; dans la Marche Julienne a commencé à sévir le fascisme, protégé par la garde royale, les fascistes ont tout détruit avec l'aide et la collaboration des organes du pouvoir ; alors que le vénéré Bonomi a été ministre de la Guerre, les officiers militaires ont organisé les fascistes de la Marche Julienne en escadrons et à partir des entrepôts les ont pourvus en armes. Les fascistes ont attaqué les mineurs de Labin dès leur sortie de prison (...), ont été mis en prison les assaillis (...), tandis que les fascistes ont été laissés en paix.

 

Mussolini écrivit le 24 septembre 1921 dans le journal Popolo d'Italia :

Dans d'autres parties de l'Italie les Fasci di combattimento ne sont que pure promesse, tandis que dans la Marche Julienne ils sont l'élément prépondérant et dominant de la situation politique.


Le climat de violence conduisit le Bloc national des partis de droite, mené par les fascistes, à la victoire aux élections de l'année 1921 à Trieste et en Istrie. Cette victoire encouragea ensuite les sinistres escadrons qui recommencèrent à mener des agressions et des expéditions punitives. En juin de cette année les escadrons fascistes, également venus de la Vénétie et de l'Emilie, atteignirent les localités slovènes de Tolmin et de Kobarid, ils s'en prirent à la population de ces deux bourgades slovènes et ainsi étendirent la terreur sur le territoire de Gorizia et du Karst. Un tel comportement fasciste fit qu'on en vint à identifier le fascisme à l'italianisme, tandis qu'en Istrie les antifascistes italiens furent qualifiés de slavo-communistes.

 

Source : Giacomo Scotti - Krik iz fojbe (Le Cri de la foiba), Adamic, Rijeka 2008, pp. 19-25. 

 

 

 

Période d'ascension et de chute (1965-1990)


 

Après l'effondrement du courant centralisateur et étatique de A. Ranković en 1965, débuta un rapide processus de démocratisation et de décentralisation qui se reflétera sur l'ensemble de la vie économique et sociale en Croatie, et par conséquent en Istrie. On ressentit un esprit plus démocratique bien que les anciens cadres eussent conservé toutes les positions importantes du pouvoir. Les facteurs politiques des républiques étaient devenus plus indépendants de manière générale et il en alla de même pour les autonomies locales qui se renforcèrent, ce qui s'avéra important pour l'affermissement économique de l'Istrie. Un degré enviable de liberté fut atteint à la fin des années 60 et au début des années 70, compte tenu du système politique socialiste.

 

En ce sens l'ouverture de la Yougoslavie envers le monde extérieur au milieu des années 50, et plus particulièrement au milieu des années 60, lorsque le pays apparaissait comme l'un des plus ouverts au monde, eut un effet économique favorable pour l'Istrie. C'est alors que le tourisme devint l'un des segments économiques les plus développés. Les villes se transformèrent en centres touristiques : Novigrad, Umag, Vrsar, Porec, Rovinj et Pula avec Medulina tandis que sur la côte orientale ce sont Lovran et Opatija qui l'emportaient.

 

Suite à la naissance du mouvement des pays non alignés, la collaboration économique avec les pays du Tiers monde haussa sensiblement les standards de vie de la population. Le chantier naval d'Uljanik était le principal géant en Istrie, il avait réussi à s'imposer sur le marché mondial par sa qualité et ses bas prix. De manière directe ou indirecte, il permettait à des milliers de familles istriennes de se nourrir.

 

La liberté de mouvement était incomparablement plus grande qu'au cours des années cinquante. Les Istriens faisaient régulièrement leurs achats en Italie (Trieste, Palmanova, Portogruaro, Mestre), et une partie d'entre eux allaient travailler à titre temporaire dans le pays voisin lors de migrations saisonnières ou quotidiennes.

 

Le fait social majeur parmi les Croates d'Istrie restera certainement le dénommé Printemps croate (1971-72). Avec la démocratisation de la vie sociale et politique, mais aussi avec l'améloration de la situation économique, l'ensemble des forces politiques, qu'elles fussent démocratiques ou conservatrices, renforça la critique sociale. L'Istrie allait traverser une catharsis au moment où éclatèrent les conflits causés par les rivalités entre les nationalités et par l'affirmation des intérêts nationaux qui exigeaient une distribution plus juste des revenus nationaux. Après que le pouvoir central eut étouffé par la force le maspok (mouvement de masse), en particulier à Pula*, apparurent de nouvelles associations sociales et culturelles - tout d'abord le Tchakavski sabor - qui d'une manière sereine continuera à maintenir le développement culturel et le sentiment d'appartenance de la majorité des Istriens à l'entité culturelle croate. La population istrienne ne céda pas à la haine et c'est même l'époque où des membres de presque tous les autres peuples yougoslaves vinrent s'installer en Istrie, qui comptait parmi les régions les plus développées dans la fédération et les plus tolérantes sur le plan des nationalités.

 

* Dans la ville mais aussi au travers de l'Istrie furent éteintes les branches de la Matica Hrvatska tandis que ses membres furent poursuivis ou marginalisés sur le plan social et politique par divers artifices. Cela se répétera en Istrie à la fin des années 70 et au début des années 80 par l'interdiction et les poursuites en réaction aux propos critiques de la jeunesse - dans le cas du Club littéraire et de la revue "Istarski borac" / "Ibor".


Au début des années 80 fut introduite une nouvelle organisation administrative en Croatie par le fait de regrouper des régions croates proches les unes des autres. L'Istrie, en fait le territoire de l'ancien canton de Pula, rejoignit la dénommée Communauté des municipalités de Rijeka - ZOR - qui, outre l'Istrie, comprenait Rijeka et les îles du Kvarner, en rassemblant 19 municipalités, 328 collectivités locales et 1.643 agglomérations. Cette communauté s'étendait sur 8.434 km², ou 14,9% de la surface de la République Socialiste de Croatie et elle comptait 540.484 habitants. Cette modification avait eu pour motif principal le regroupement des ressources similaires en vue de répondre aux défis de la crise qui se faisait alors légèrement ressentir dans l'ensemble de l'économie. C'est Pula qui subit le plus fortement la pression migratoire et elle eut à compter avec 77 milles habitants en 1983 (pour 46.407 en 1949). Cependant, au milieu des années 80, cette pression se relâcha en raison du développement des autres villes et municipalités d'Istrie. Dans les conditions de l'économie planifiée, qui n'était pas capable d'effectuer des changements qualitatifs en dehors du système politique en vigueur, l'Istrie restait avec des capacités productives sans libres débouchés sur les marchés et sans bénéficier de perspectives au niveau de la concurrence internationale. L'Etat n'était plus en mesure de compenser les pertes des différentes entreprises. L'Istrie ressentit elle aussi la crise économique généralisée et l'inflation qu'avait à subir toute la fédération yougoslave. Il en alla de même avec tous les processus avortés du programme anti-inflationniste du Gouvernement fédéral.

 

Et pourtant, en dehors des industries de la construction navale et du travail des métaux à Rijeka et Pula, on vit au milieu des années 1980 se développer différentes branches d'activités dans les villes secondaires de l'Istrie. Certaines d'entre elles avaient été purement échafaudées par la politique sans couverture économique ni justification. Aussi lent fut-il, Pazin assoira son progrès sur Pazinka, une industrie chimique et textile ; sur Kamen, une entreprise de travail de la pierre ou encore sur Purisa et Istraplastika, qui employèrent une grande partie de la population dans la région de la Pazinština. L'usine de machines-outils Prvomajska à Rasa ; Labinprogres, une unise de machines agricoles, de jouets et de plaques céramiques ainsi que l'Istarski ugljekopi Rasa, assureront tant bien que mal le développement économique dans la Labinstina. La fabrique de bière à Buzet ainsi que Cimo, une usine produisant des pièces de voiture, par ailleurs "Nada Dimic", un atelier de tricots, Digitron et Feroplast de Buje, agiront fortement sur les standards de vie des gens dans le Nord de l'Istrie. L'usine de tabac à Rovinj sera pour partie un pilier de l'économie de la région, l'autre étant l'Usine pour le traitement du poisson "Mirna", laquelle entrera dans une crise importante au milieu des années 80 pour ne plus en sortir par la suite.

 

L'Istrie recelait certains potentiels économiques qui auraient pu assurer un développement vigoureux à toute la région, mais cela n'eut pas lieu dans la mesure escomptée. Avec la crise et l'effondrement de la Yougoslavie, ce fut fatal pour la survie de nombreuses entreprises, en particulier au moment du processus de transition et de l'apparition des règles brutales du marché. Et, pourtant, le pire fut évité du fait que l'économie istrienne était en bonne partie orientée vers les marchés externes et c'est ainsi qu'on échappa à un effondrement économique généralisé.

 

Les banques qui avaient accompagné l'industrie en Istrie et l'économie en général (Istarska banka Pula, Istarska kreditna banka Umag, Jugobanka - Rijeka, Ljubljanska banka - Zagreb, Privredna banka - Zagreb et Zagrebacka banka - Zagreb) perdront leur pouvoir de crédit avec l'inflation et de ce fait auront un effet nettement réducteur sur la production. Ainsi les postes de travail se feront-ils plus rares. Malgré tout, avec 4.000 $ de revenu annuel par habitants, l'Istrie était l'une des régions les plus développées en Croatie et en Yougoslavie.

 

L'agriculture avait toujours fait piètre figure et malgré les efforts pour y pallier elle était restée en marge de l'économie istrienne. La culture d'olive et le travail de la vigne n'écoulaient pas leurs produits sur les marchés externes.

 

Dans l'intervalle entre l'ascension et la chute, les fondements permettant le développement économique de l'Istrie auront été appréciables. Jusqu'aux années 80, le développement avait reposé sur l'industrie, les affaires maritimes, le commerce, l'hôtellerie et le tourisme. L'économie istrienne avait été sensible à la conjoncture interne et externe et elle avait entamé sa conversion en s'inscrivant progressivement dans la division internationale du travail et dans la construction d'infrastructures adéquates. La guerre sur le territoire de l'ex-Yougoslavie bouleversa largement ces projets et elle freina le développement économique de l'Istrie dans les dix années qui suivirent.

 

Source : Darko Dukovski, Istra - kratka povijest dugoga trajanja (Istrie - une brève histoire de longue durée), Istarski ogranak drustva hrvatskih književnika, 2004, p. 218-221.

 

La suite

 

 

 

 

Rédigé par brunorosar

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D
<br /> super cette article<br /> <br /> <br />
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