Bulgarie-Croatie

Publié le 18 Novembre 2009

Le Royaume de Bulgarie et le NDH


1. Reconnaissance diplomatique


 

Si l'on considère les relations entre les deux états au cours d'une période qui s'étale sur un peu plus de trois ans, on peut s'apercevoir qu'en dépit d'une reconnaissance et d'une amitié réciproque la Croatie et la Bulgarie n'avaient pas pris d'engagements politiques et militaires autrement plus solides. Même si la Croatie revêtait une grande importance en tant que partenaire stratégique pour la Bulgarie, et réciproquement, il n'existait pas de pacte bilatéral formel entre les deux pays. Comme nous le verrons, la dimension principale des relations bulgaro-croates pour la période 1941-1944 s'était réduite à des liens culturels et économiques. La politique officielle bulgare s'était obstinée à une amitié sans attaches formelles. La raison provenait de ce que la Bulgarie n'avait pas été en position de conclure des pactes bilatéraux avec ses alliés naturels tant que la guerre avait persisté. Ce fait incontestable découlait de l'obligation de ne pas perturber le côté monolitique de l'Axe. En même temps, les nationalistes bulgares radicaux rejetaient la politique isolationniste du gouvernement et prônaient vivement un pacte entre la Bulgarie et le NDH, qui aurait dû renforcer les deux pays par rapport à la Serbie et l'Italie. C'est ainsi que dans la politique bulgare à l'égard du NDH l'on trouve un système à double niveau : la politique officielle (de la cour et du gouvernement) et la politique du bloc national de droite dans le cadre de l'opposition.

 

En 1941, l'ambassadeur Zidovec avait résumé de la façon suivante la position du gouvernement bulgare à l'égard du NHD : "Le gouvernement actuel montre en apparence la plus grande amitié à notre égard, mais lorsqu'il s'agit d'un service ou d'une aide véritable, combien mineure fût-elle je l'ignore, alors les actes ne suivent pas les belles paroles. Cependant, dans mon travail ici je garde toujours devant les yeux le peuple bulgare tel qu'il sera demain tout autant que je garde devant les yeux l'importance que l'amitié bulgaro-croate aura dans le futur." [79]

 

La Bulgarie fut parmi les premières à avoir reconnu le NDH en tant qu'état souverain lors de la séance gouvernementale du 19 avril. La décision d'établir des relations diplomatiques régulières date quant à elle du 22 avril 1941. [80] Une représentation diplomatique permanente à Sofia entama ses travaux à la fin du mois de juillet. Avant qu'une mission diplomatique croate permanente n'ait été ouverte, les premiers contacts officiels avec les autorités bulgares avaient été établis par Krunoslav Draganovic, prêtre et membre de la direction de l'Institut pour la colonisation. En mai 1941, c'est en tant qu'émissaire croate qu'il avait fait office d'intermédiaire en faveur des soldats croates capturés parmi les rangs de l'armée yougoslave ayant déposé les armes (17 avril 1941). Draganovic avait séjourné à Skopje où il avait rencontré Miljan Cekada, l'évêque catholique de l'endroit. Il avait visité les Croates à Janjevo ainsi que les religieuses croates de St Vincent de Paul qui avaient fondé un monastère et une école aux abords de Plovdiv.

 

L'ambassadeur Zidovec prit ses fonctions le 29 juillet 1941. Il avait pour bras droit Stjepan Mosner [81], le délégué pour la presse et les relations culturelles.

 

Sofia était aux yeux du gouvernement croate une capitale quelque peu en marge des événements européens et c'est pourquoi ce gouvernement avait surtout destiné une mission de propagande à l'ambassade locale. Le ministre des Affaires étrangères M. Lorkovic avait préalablement recommandé à Zidovec d'établir des relations cordiales avec les cercles gouvernementaux en Bulgarie ainsi que d'exploiter les relations traditionnellement bonnes avec les partisans de la VMRO. Zidovec remit ses lettres de créance à l'empereur Boris le 5 août 1941. Dans son discours d'ouverture, l'ambassadeur Croate fit allusion aux étroites relations bulgaro-croates en exprimant son assurance que "la Bulgarie agrandie et l'Etat indépendant croate restauré seraient dans le Sud-est les piliers d'une nouvelle Europe et les champions de la justice, de l'ordre et du progrès." L'empereur confirma que "l'instauration de l'Etat indépendant libre des Croates était accueillie chez tous les Bulgares avec une joie sincère", et il promit son "appui franc et la pleine collaboration du gouvernement bulgare". [82]

 

C'est Jordan Meckarov, un juriste et un journaliste sans expérience active dans la diplomatie, qui assuma la fonction d'ambassadeur bulgare à Zagreb. [83] Meckarov remit ses lettres de créance à Pavelic le 14 juillet 1941. Parmi les autres membres de la légation, il convient de citer le premier conseiller Kiril Stojkov, le délégué militaire et officer de l'état-major général August Petrov ainsi que le délégué à la culture et la presse Petar Lungov. L'ambassade était située au centre de Zagreb sur la Place Jelacic.

 

La Bulgarie avait assuré la Croatie de son soutien pour que soit maintenu l'état indépendant. Tout de suite après que le NDH eut été reconnu en 1941, le gouvernement bulgare envoya des signaux clairs indiquant qu'il soutiendrait les intérêts croates et qu'il éviterait des arrangements avec d'autres états pouvant aller à l'encontre des intérêts de la Croatie. En octobre 1941, le président du Gouvernement Bogdan Filov pria Zidovec d'annoncer au gouvernement croate que la Bulgarie "de manière générale ne disposait d'aucune formule politique dans laquelle elle serait entrée, laquelle formule aurait été dirigée contre la Croatie". Ainsi, par exemple, Sofia n'avait eu aucun motif pour se laisser entraîner dans l'antagonisme entre la Hongrie et la Croatie. A la même époque, en novembre 1941, Zidovec fut habilité par le gouvernement à déclarer que la Croatie se fiait entièrement à la Bulgarie et que ce gouvernement garantissait fermement qu'elle ne conclurait pas d'accord avec la Roumanie aux dépens de la Bulgarie. [84] Il s'agissait d'une allusion au concept de sécurité collective dans le Sud-est de l'Europe que défendait la Roumanie et qui visait à ce que sur le modèle de la Petite Entente soit créée une alliance avec la Croatie, laquelle aurait assumé le rôle de l'ex-Yougoslavie, et également avec la Slovaquie qui aurait substitué l'ex-Tchécoslovaquie.

 

La position officielle de la Bulgarie allait avoir un effet encourageant pour le gouvernement croate lorsqu'en septembre 1941 les relations de la Croatie à l'égard de l'Italie et de la Hongrie se détériorèrent, à la suite de quoi circulèrent des pronostiques selon lesquels le NDH ne se maintiendrait pas. Popov conseilla au gouvernement croate de se concentrer sur les priorités internes et d'organiser au plus tôt les forces armées d'environ 200.000 hommes. [85]

 

Les implications pratiques de la collaboration bulgaro-croate pour la période 1941-1944, à propos desquelles l'on entend se prononcer ici, portent sur la culture et l'économie. Dans les autres domaines, notamment militaire, les deux pays ne s'étaient engagés à aucunes obligations formelles. Il faut noter que les lois bulgares n'autorisaient pas la formation de cadets militaires à l'étranger. La collaboration militaire entre le NDH et la Bulgarie fut réduite à des visites protocolaires, à l'achat d'armes ou d'autres nécessités militaires. En octobre 1942 le général d'aviation Vladimir Kren visita Sofia et y reçut la médaille de St Alexandre II avec les épées. Au même moment, un petit groupe de cadets et d'officiers croates arriva à Sofia pour y bénéficier d'une instruction militaire et se perfectionner.

 

Enfin, les deux pays décernèrent des décorations à leurs souverains et à diverses personnalités renommées. La plus haute décoration croate - l'Ordre de la couronne du roi Zvonimir avec les épées et les brindilles de chêne - sera décernée à l'empereur Boris à Sofia le 17 avril 1942. L'empereur renvoya la pareille à Pavelic par la décoration de l'Ordre de St Cyril et Méthode que le chef du protocole de l'empereur, Ilija Belinov, lui remit à Zagreb en octobre 1942. L'empereur avait fourni des instructions à Belinov pour que dans son discours de circonstance il souligne combien Pavelic méritait cette haute distinction du fait qu'il avait "mené une lutte commune avec les Macédoniens pour la délivrance de la Croatie et le rattachement de la Macédoine à la Bulgarie". [86] Zidovec, lui-même titulaire de deux décorations bulgares, pour mérites civils du Premier rang avec l'écharpe ainsi que de la Grande croix avec l'écharpe, avait eu pour estimation que le NDH avait décoré une centaine de personnalités bulgares.

 

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[79]  HDA, MVP NDH, PS, V. Zidovec, PI à partir du 27 décembre 1941.

[80] B. Filov, Journal, Sofia 1986, 289 et 295.

[81] Stjepan Mosner, né le 5 juillet 1912 à Zvornik. Il termina ses études à l'Ecole diplomatique en France et à l'Académie des arts plastiques de Munich. Il sera extradé vers la Yougoslavie en 1945. Le Tribunal du district de Zagreb condamna Mosner le 7 décembre 1945 à 15 années de réclusion assorties de travaux forcés et d'une déchéance de ses droits civils pour une durée de sept ans en plus de la confiscation de ses biens. Le tribunal avait inculpé Mosner pour activités à l'ambassade du NDH en Bulgarie. Dans les motivations de la décision judiciaire, il était énoncé que par ce fait il avait "aidé un pays étranger qui se trouvait en état de guerre avec la Yougoslavie". HDA, RSUP SRH, SDS, dossier num. 215 922, Jugement à l'encontre de S. Mosner, Kz 79/45, en date du 7 mars 1945.

[82] HDA, MVP NDH, PS, Discours de V. Zidovec à l'occasion de la remise de ses lettres de créance à sa majesté l'Empereur Boris III le 5 août 1945 et la réponse de sa majesté l'empereur Boris III.

[83] Meckarov restera à Zagreb jusque septembre 1944. Il refusa de passer aux côtés du "gouvernement nationaliste" de A. Cankov. En mai 1945, il rentra en Bulgarie où il sera condamné à 10 années de bagne. Zidovec note que Meckarov avait été accompagné à Sofia de la réputation d'être une personne versatile et carriériste. Le leader des combattants Kantardziev déclara que Meckarov était "un homme sans caractère, toujours près à se vendre pour une carrière", mais qu'il "n'était pas dangereux pour la Croatie précisément parce qu'il n'avait aucune orientation permanente". HDA MVP NDH, PS, V. Zidovec, PPI num. 3 en date du 29 avril 1942.

[84] HDA, MVP NDH, PS, V. T. num. 67, V. Zidovec, Notes sur l'entretien avec le ministre président Filov datant du 21 octobre 1941 ; Zidovec, V. T. num. 126/41, Notes sur l'entretien avec le ministre des Affaires étrangères Popov datant du 11 novembre 1941.

[85] HDA, MVP NDH, PS, Procès verbal de l'audition de V. Zidovec auprès de l'Udba Hrvatske datant du 26 septembre 1947.

[86] HDA, MVP NDH, PS, V. Zidovec, TPI, num. 40, datant du 26 septembre 1942.


 

2. Fidélité à Berlin

 

Il faut avant tout avoir en vue que la politique extérieure des gouvernements bulgare et croate reflétait à maints égards leur attachement à Berlin. [87] Un surplus de solidarité entre les deux gouvernements reposait là-dessus. Lorsque nous parlons de la fidélité des nationalistes bulgares et croates envers l'Allemagne, il ne faut pas oublier que ces nationalistes partageaient une certaine vision de la justice historique. En effet, l'Allemagne était à leurs yeux une grande puissance qui réorganiserait l'ordre international sur des bases plus légitimes. Cela ressort très bien au travers du discours du président du gouvernement B. Filov, qui le 19 novembre expliqua au parlement pourquoi la Bulgarie s'était rangée aux côtés de l'Allemagne : "Nous croyons en leur victoire non seulement parce qu'en tous lieux ils ont montré leur supériorité mais aussi parce qu'ils se battent, tel que je vous l'ai souligné au début, aussi bien pour une plus grande justice que pour un meilleur ordre social, et aussi pour une plus juste répartition de la richesse mondiale. Nous croyons en leur victoire car c'est à l'encontre des gardiens du vieux monde révolu qu'ils luttent pour un nouvel ordre qui apportera une plus grande félicité à l'humanité envers lequel [ordre] celle-ci a toujours aspiré avec une gande ténacité de profonde conviction. Nous croyons en définitive en la victoire des Forces de l'Axe car leur victoire sera aussi la victoire de la Bulgarie. Nous ne pouvons attendre la réalisation de notre unification nationale si ce n'est par la victoire des Forces de l'Axe et de leurs alliés, dont nous aussi faisons partie des rangs." [88]

 

S. Radev confirma ce point de vue lorsqu'il déclara que l'Allemagne était le seul pays qui offrait à la Bulgarie et à la Croatie des perspectives de "réparer les injustices qui nous sont advenues" au cours de l'histoire. [89]

 

Selon les ministres croates, la Bulgarie avait été dans son histoire une victime et non pas un agresseur. Les ministres croates soutenaient l'idée d'une grande Bulgarie qui générerait un équilibre global dans les Balkans en contrepoids à la Serbie. Mile Budak, le ministre des Affaires étrangères, déclara en mai 1943 que la Bulgarie "ne regroupait que ses pays" et que conjointement avec la Croatie elle faisait valoir le principe de "l'état national". D'après Budak, ce principe "aiderait à ce que les autres états balkaniques se développent dans leurs frontières ethniques sans tensions mutuelles basées sur des prétentions non fondées." [90] En faisant un résumé des traits principaux de la politique extérieure bulgare, Zidovec constatera en 1943 que le but principal du gouvernement était de "préserver l'indépendance et la flexibilité de sa politique", autant envers ses amis qu'envers ses ennemis et les puissances neutres, ce qui veut dire qu'il ne se laisse pas guider "par des concepts idéologiques ni par des sympathies envers quelque partie belligérante que ce soit mais uniquement au vu des intérêts de l'état et du peuple". C'est pourquoi Zidovec en conclut que dans un environnement balkanique incertain, Sofia se gardait de "toute et de la moindre précipitation ou mise à découvert des cartes". [91] Ce jugement pêche par manque d'objectivité si l'on garde en tête que la Bulgarie s'était servie d'instruments agressifs à l'égard de la Yougoslavie.

 

En comparant les cercles gouvernementaux croates et bulgares, on pourrait dire que les hauts cercles bulgares étaient d'esprit plus flexible. Ils bénéficiaient d'un grand avantage lorsqu'il s'agissait de la connaissance des relations balkaniques. Zidovec attestera ultérieurement qu'il avait effectivement rencontré peu de politiciens en Bulgarie qui étaient "aussi convaincus de la victoire allemande totale et assurée que n'en était convaincue la politique officielle du NDH". Pas même les germanophiles comme le général Lukov n'étaient exposés outre mesure aux suggestions allemandes. Pour eux, "la foi en leur organisation" passait pour plus urgente et ils "ne voulaient pas arriver au pouvoir avec l'aide des Allemands mais plutôt par leur propre force". [92] Bon nombre d'individus et de courants au sein du gouvernement bulgare conservaient leur libre critique à l'égard de l'Allemagne. Des analystes compétents, comme l'était assurément Ivan Altinov, chef du Département politique du ministère des Affaires étrangères, n'étaient pas des plus séduits par la propagande manichéenne confrontant deux idéologies antagonistes. En mai 1943, Altinov avait confié à Zidovec que le mot d'ordre allemand en faveur d'une "juste lutte pour un nouvel ordre et pour l'espace vital" était déjà usé et qu'il s'agissait d'une "arme de la propagande allemande qui se répète depuis déjà un peu trop longtemps" [93] Il n'empêche que bon nombre d'entre eux acceptaient la logique selon laquelle l'Allemagne et la Grande-Bretagne étaient nécessaires l'une à l'autre et finiraient par s'orienter vers une sorte d'accord qui arrêterait l'URSS et le communisme.

 

Les politiciens bulgares étaient conscients que l'alliance avec l'Allemagne aboutirait à la solution du tout ou rien. Evaluant la part de risque et de profit dans une telle alliance, Alexandar Cankov affirma que "Si la guerre devait être perdue, tous nous nous effondrerions comme l'Allemagne." Dans une certaine mesure, les cas de la Roumanie et de l'Italie étaient différents car elles allaient "pouvoir instaurer un nouveau gouvernement". [94] T. Kozuharov, ex-ministre et rédacteur du journal "Slovo", considérait que les Allemands n'avaient pas le droit de reprocher aux Bulgares de mener une "politique indécise". Au contraire, une telle politique était indispensable pour le peuple bulgare car il se pourrait que les "petits peuples se trouvent dans un effroyable danger dans l'éventualité d'une défaite allemande. Non seulement leur état serait détruit mais le peuple lui-même serait détruit". [95] Telles étaient les déductions de Kozuharov en avril 1943.

 

Lorsque nous évoquons la politique des deux gouvernements, il importe de souligner que ni la Bulgarie ni le NDH, en tant que satellites de l'Allemagne, n'avaient été en mesure de créer leur propre système de sécurité collective et qu'ils avaient été contraints de soutenir le système global de l'Axe. En janvier 1942, Popov expliqua à Zidovec que les alliés de l'Allemagne "doivent vouloir la victoire allemande", et c'est pourquoi "nos petits soucis actuels ne sont pas importants, ni les litiges frontaliers, etc., mais plutôt faut-il travailler sur ce large niveau". [96] Répétons que le gouvernement bulgare n'avait pas projeté durant la période de la guerre d'organiser ses relations avec la Croatie sur base d'un pacte politique et militaire. Lorsque Zidovec, en février 1943, lors d'une conversation avec Filov, avait fait des allusions dans le sens d'un pacte pacifique et de la sécurité collective, le président du gouvernement bulgare s'en était partiellement trouvé surpris. Il considérait que dans l'immédiat il ne fallait pas rendre trop manifeste l'amitié bulgaro-croate. L'armée bulgare était néanmoins prête à agir efficacement contre les tchetniks serbes et à les empêcher de passer en Croatie à partir de la Serbie. Filov promit à Zidovec d'intercéder auprès des Allemands en faveur des intérêts croates. Son gouvernement envisageait dans un proche avenir de permettre à la Croatie d'acheter des armes bulgares. [97]

 

Il semblerait qu'à l'origine Pavelic lui-même n'avait pas fait preuve d'un trop grand intérêt pour les événements en Bulgarie. Le gouvernement non plus n'avait pas senti le besoin de créer sa propre stratégie au niveau des Balkans. Pavelic s'appuyait sur l'Allemagne et il se focalisait sur les événements intérieurs. C'était un signe évident d'une plongée dans l'isolement qui allait durer jusqu'au milieu de l'année 1943, lorsque le gouvernement se concentrera avec davantage d'attention sur les développements externes. On attribue à Pavelic le remplacement de l'ambassadeur à Sofia en août 1943 comme faisant part de sa décision d'examiner plus en profondeur l'éventualité d'une Croatie aux côtés de la coalition anti-hitlérienne. En l'absence de documents, nous ne pouvons que spéculer sur une initiative en ce sens. En se basant sur les sources des renseignements japonais, Zidovec avançait dès avril 1943 que la Grande-Bretagne voyait d'un oeil positif le fait que la Croatie ne se soit pas "laissée bolchevisée" et que Londres après la guerre pourrait "soutenir la Croatie, c'est à dire l'état croate". [98]

 

A cette époque, le gouvernement bulgare creusait les différentes options de pourparlers et il envisageait d'entreprendre des démarches indépendantes auprès des adversaires du bloc. On commença par sonder le terrain parmi les cercles diplomatiques américains. Le gouvernement ne croyait pas en l'objectivité de la diplomatie britannique qui soutenait la Grèce et la Yougoslavie au détriment de la Bulgarie. On s'attendait à ce que les USA, qui faisaient figure de puissance anticolonialiste la plus vigoureuse, manifestent davantage de compréhension envers la Bulgarie. Les premiers contacts informels avec les représentants américains seront établis à Istanbul en mai 1943, via le négociant Georgij Kiselov. Les contacts avec la mission américaine en Suisse seront maintenus par Georgi Kioseivanov, ministre plénipotentiaire. [99]

 

Les conversations que Zidovec mena à l'époque avec les hauts fonctionnaires bulgares indiquaient que le gouvernement bulgare envisageait une paix séparée. Dans une conversation avec Zidovec, datant du 8 avril 1942, le ministre Filov se déclare pour "l'attente et l'observation" parce que "la situation générale et les potentialités des parties belligérantes" étaient entièrement floues.

 

Ivan Altinov, un éminent analyste du ministère des Affaires étrangères, est quant à lui beaucoup plus précis. Il explicite et soutient que la Bulgarie ne peut à long terme lier sa sécurité au futur de l'Allemagne : "Dans la mesure où on en arriverait à une paix de compromis, la Bulgarie aura à mettre sa position sur la corde raide (...) De ce fait la Bulgarie, comme d'ailleurs tout autre état, ne peut que mener sa propre politique indépendante et elle ne peut ni ne doit s'identifier avec aucune autre puissance étrangère ni avec un pays étranger ni avec une politique étrangère". Le 20 mai, Altinov s'adressa directement à Zidovec avec la thèse selon laquelle l'Allemagne ne pouvait sérieusement compter que sur les deux options qu'étaient "la paix de compromis ou la défaite", et c'est pourquoi "la Bulgarie et la Croatie doivent tout d'abord songer à l'avenir de leurs propres peuples et états." [100] Il en résulte clairement que la Bulgarie n'allait pas être fidèle à l'Allemagne à n'importe quel prix.

 

En août 1943 Pavelic fait soudainement retirer Zidovec de Sofia et nomme à sa place l'habile politique Stijepo Peric. Le nouvel ambassadeur croate remet ses lettres de créance à Filov le 2 septembre 1943. [101] Peric avait-il reçu avant son départ l'ordre d'entrer en contact avec les services secrets alliés à Istanbul et de les intéresser au maintien de l'état croate ? En raison du manque de documentations précises, nous ne pouvons que spéculer sur ce que Peric devait entreprendre en ce sens. Peric lui-même expliqua sa mission à Zidovec de la façon suivante : "En gros voilà pourquoi je suis venu en Bulgarie. Tel que les choses évoluent aujourd'hui on pourrait en venir à une paix de compromis. Si par conséquent on devait réellement en arriver là, et lorsque seront conduites des négociations à ce propos, alors la Bulgarie pourrait assez bien aider la Croatie et intercéder en notre faveur. De ce fait, ma véritable mission commencera à ce moment-là et seulement alors je sortirai de la réserve et ferai ce qui est nécessaire." [102] Cependant, en novembre 1943, Peric sera rapatrié afin d'assumer la fonction de ministre des Affaires étrangères.

 

A Sofia seront encore remplacés deux représentants croates. A la fin du mois de décembre 1943 la légation sera confiée à l'amiral Djuro Jakcin. Après sa mort impromptue, c'est Nikola Rusinovic qui reprit le poste en avril 1944. Il remit ses lettres de créance au prince Cyril le 26 avril 1944 à Cankorija, une localité à environ 70 kilomètres de Sofia, laquelle était à cette époque sous le coup des bombardements alliés.

 

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[87] A propos de cette fidélité, l'ambassadeur allemand Beckerle constata en octobre 1941 que : "La Bulgarie avait obtenu la Macédoine et la Thrace grâce à la seule Allemagne et cela le peuple bulgare le sait, de même que le Gouvernement bulgare. Ce Gouvernement bulgare actuel est loi de pouvoir représenter un véritable gouvernement national mais un tel gouvernement est d'autant plus lié à nous car il est entièrement dépendant de nous et il ne vit que de nous". HDA, MVP NDH, PS, V. Zidovec, V. T. num. 69, Notes sur l'entretien avec l'ambassadeur allemand.

[88] HDA, MVP NDH, PS, T, num. 18/41, Discours du ministre président M. prof. Dr. Filov au Parlement national datant du 9 novembre 1941.

[89] HDA, MVP NDH, PS, V.T. num. 179/41, Notes sur l'entretien de V. Zidovec avec S. Radev datant du 27 novembre 1941.

[90] Nikolaj Kocankov, Blgaria i Nezavisimata Hrvatska Drazva 1941-1944, Politiceski i diplomaticeski otnosenia, Sofia 2000, 61.

[91] HDA, MVP NDH, PS, V. Zidovec, PPI, num. 12 datant du 3 juillet 1943.

[92] HDA, MVP NDH, PS, V. Zidovec, PPI, num. 3 datant du 6 février 1943 ; PPI, num. 4 datant du 27 février 1943.

[93] HDA, MVP NDH, PS, V. Zidovec, PPI, num. 9 datant du 24 mai 1943.

[94] HDA, MVP NDH, PS, V. T. num. 178/41, V. Zidovec, Notes sur l'entretien avec A. Cankov datant du 26 novembre 1941.

[95] HDA, MVP NDH, PS, V. Zidovec, TPI, num. 17 datant du 24 avril 1943.

[96] HDA, MVP NDH, PS, V. Zidovec, TPI, num. 3 datant du 17 janvier 1942.

[97] HDA, MVP PS, V. Zidovec, PPI, num. 3 datant du 6 février 1943. En mai 1943 de concert avec le haut commandant militaire de l'Allemagne, l'armée bulgare (61ème régiment de la 24ème division) participa aux opérations allemandes contre les partisans dans le Sandjak et au Monténégro.

[98] HDA, MVP NDH, PS, V. Zidovec PPI, num. 7 datant du 13 avril 1943.

[99] E. Statelova et S. Grncarov, Istorija na nova Blgarija, 623-624. Rizzo Babuscio, le chef du bureau du Ministère italien des Affaires étrangères confirma également en juin 1943 que Kioseivanov avait reçu de la part de l'empereur "des instructions discrètes afin d'entrer en contact avec les puissances anglo-saxonnes". DDI IX/10, doc. 479, page 625, R. Babuscio au conseiller de l'ambassade italienne à Berne, Adolf Alessandrini, le 6 juin 1943.

[100] HDA, MVP NDH, PS, V. Zidovec PPI, num. 7 datant du 13 avril 1943 ; PPI, num. 9 datant du 24 mai 1943.

[101] En interrogeant les raisons de son remplacement soudain, Zidovec accusa Peric et ses ambitions diplomatiques personnelles. En effet, après que l'Espagne eut refusé son accréditation, il avait fallu trouver un autre poste pour Peric, à Sofia. Peric était réputé pour être italophobe, aussi le gouvernement bulgare avait-il faussement interprété son arrivée à Sofia comme le souhait qu'aurait la Croatie de tracer la voie pour une intervention énergique contre les Italiens. Zidovec nota qu'Ivan Altinov, le chef du Département politique des affaires étrangères, lui avait déclaré à l'occasion de la venue de Peric : "Nous comprenons que la politique croate par le fait qu'elle nous envoie comme ambassadeur un homme qui est dans un tel conflit avec les Italiens, souhaite souligner les intérêts communs croato-bulgares ainsi que la nécessité de notre résistance commune contre l'Italie." HDA, RSUP SRH, SDS 013.0.56, V. Zidovec, Moje sudjelovanje u politickom zivotu (Ma participation dans la vie politique), page 85.

[102] HDA, RSUP SRH, SDS 013.0.56, V. Zidovec, Moje sudjelovanje u politickom zivotu, page 91.


 

3. Les traités entre états

 

Le désir de s'appuyer mutuellement sur un plan économique et culturel résultera par la signature de plusieurs traités bilatéraux entra la Bulgarie et le NDH.

 

Le premier traité entre les deux pays sera signé à Zagreb le 25 septembre 1941. Il s'agit du Traité sur les transactions monétaires et de marchandises. Sa validité fut prolongée en décembre 1942 et en août 1943. [103] Le bilan commercial entre les deux pays n'était pas très dynamique car la Bulgarie devait accorder la préférence à l'Allemagne en matière d'exportation. La Banque nationale croate avait prévu une compensation bulgaro-croate pour un montant s'élevant à 30 millions de kunas. Il convient de noter qu'environ 1.200 horticulteurs bulgares travaillaient en Croatie et que pour l'année 1942 ils avaient réalisé des dépôts bancaires d'environ 40 millions de kunas. [104] La Croatie était particulièrement intéressée par l'importation de laine, d'armes et de denrées alimentaires bulgares, sans pour autant parvenir à s'assurer un statut commercial privilégié pour lesdites rubriques. En novembre 1942, le Gouvernement bulgare fournit environ 5.000 fusils. En décembre de la même année, la demande pour la fourniture d'autres matériels militaires se verra signifiée un refus tandis que les tentatives d'importer des étoffes bulgares pour les costumes militaires restèrent vaines. Les négociations sur les compensations s'enlisèrent. La Croatie n'avait pas pu fournir les articles promis, aussi s'endetta-t-elle brusquement.

 

Le 8 décembre 1941, les ministres Lorkovic et Puk signèrent à Sofia l'Accord sur la collaboration culturelle, par lequel les deus pays s'engageaient à échanger et populariser l'héritage littéraire et artistique. Les ministres seront reçus et décorés par l'empereur Boris en personne. [105]

 

Les intellectuels avaient toujours constitués un trait d'union important entre les Bulgares et les Croates. [106] 

 

Auparavant, Zagreb avait suscité l'intérêt auprès des étudiants bulgares car elle leur permettait une formation moderne dans les facultés techniques, pharmaceutiques et médicinales. Dès l'année 1863 avait été notée l'arrivée des premiers élèves bulgares au séminaire de rite catholique oriental à Zagreb. Si l'on remonte à cette période, un événement culturel revêt des connotations délicates pour les historiens croates. Il s'agit de l'initiative prise par l'évêque Strossmayer se rapportant aux dotations financières à l'occasion de l'impression du recueil de Konstantin et Dimitrije Miladinov intitulé "Poèmes populaires bulgares", qui avait vu le jour à Zagreb le 24 juin 1861. Le recueil est aujourd'hui encore au centre d'un faisceau d'interprétations contradictoires et il sert d'argument à diverses appartenances nationales. Compte tenu notamment du rôle de Strossmayer lui-même [107], il ne faut pas s'étonner si du côté croate une attention lui a été consacrée.

 

Pour l'année 1940, environ 250 étudiants bulgares avaient obtenu leur diplôme à l'université de Zagreb, la plupart dans les études de droit, de médecine et d'agronomie. Certaines données dont nous disposons réfèrent qu'environ 700 étudiants bulgares avaient suivi une haute formation en Croatie entre les années 1941 et 1945. C'est en septembre 1941 que la société éducative et culturelle académique bulgare "Knez Simeon Trnovski" avait été fondée. Au milieu de l'année 1943, les critères pour la venue d'étudiants bulgares à Zagreb allaient être renforcés. Zidovec notera que "la question du séjour des étudiants bulgares lors des études à Zagreb procure des soucis à nos autorités, autant du côté politique qu'économique". Il constate au passage que parmi la population estudiantine "se trouve un grand nombre de communistes". Il ne manque pas de conclure que "le marché noir de ces étudiants nuit beaucoup à notre économie". Prenant en compte les compensations passives vis-à-vis de la Bulgarie, l'ambassade croate conditionna le départ des étudiants bulgares pour Zagreb à un dépôt pécuniaire à la banque à hauteur de 40.000 kunas par année d'étude. [108]

 

Le 18 février 1943, les ministres de la Justice Andrija Artukovic et Konstantin Partov signèrent à Sofia l'Accord de réglementation sur la protection légale et l'assistance juridique réciproque en matière de droits commerciaux et civils. [109] S'agissant de la protection des personnes et des biens, les citoyens croates et bulgares sur le territoire des deux pays étaient assimilés dans leurs droits. Le 28 juin 1943, les ministres de la Justice Josip Dumandzic et Konstantin Partov signèrent à Zagreb l'Accord d'extradition et d'assistance juridique en matière pénale. [110]

 

***

 

[103] Pour le texte de l'accord voir : Nezavisna Drzava, Medjunarodni ugovori 1941 (à continuer de maintenant NDH MU), Hrvatska Drzavna tiskara, Zagreb, 195-198. L'accord fut ratifié le 8 mars 1943. Cette année-là, la Banque nationale de Bulgarie échangea la kuna en dessous de sa valeur nominale en affirmant qu'il n'y a qu'ainsi qu'elle pouvait contrôler efficacement la contrebande d'argent croate.

[104] N. Kocankov, Blgaria i Nezavisitama, 99-100.

[105] NDH, MU 1943, 102-105. La Bulgarie tergiversa avec la ratification du traité de sorte que Zidovec en conclut en mars 1942 que l'amitié bulgaro-croate stagnait et que se développait une amitié entre la Bulgarie, l'Italie et la Hongrie. HDA, MVP NDH, PS, V. Zidovec, TPI, num. 10 datant du 7 mars 1942.

[106] Des informations générales sur la communauté culturelle entre les deux peuples peuvent être trouvées dans : R. Bozilova, Bugari i Hrvati kroz stoljeca, u djelu Hrvtasko-Bugarski uzajamni odnosi kroz stoljeca, Macedonia press, 1999, 86-102.

[107] Au regard des historiens bulgares, les frères Miladinov appartiennent exclusivement au cercle culturel, linguistique et national bulgare. Les historiens yougoslaves voient les choses d'une autre manière. Par exemple, D. Toskovski, dans le livre Radjanje makedonske nacije, Belgrade 1969, 89-90, affirme que D. Miladinov était intérieurement déchiré entre ce qui est "slave-macédonien et slave-bulgare" et que cette oscillation résultait "de tout un complexe d'un [sentiment] macédonien indifférencié, trouble et latent", lequel à cette époque se retrouvait également chez d'autres Macédoniens. Les historiens bulgares considèrent que l'exaltation du nom macédonien dans le recueil (Zbornik) des frères Miladinov est en fait "un des plus grands faux des communistes yougoslaves". C'est précisément l'expression qu'avait employée Velizar Encev, à la fois un historien et ex ambassadeur de la République bulgare en Croatie, dans son écrit Falsifikat jugoslavenskih komunista, paru dans le "Vjesnik" en date du 2 mai 1998.

Dans le débat ayant trait au statut du Recueil des frères Miladinov, en particulier à propos du rôle de l'évêque Strossmayer, les auteurs croates penchent pour différents points de vue. A. Kadic dans l'étude Strossmayer i Bugari, Hrvatska revija (à continuer de maintenant : HR), 4, 1970, 725-740, ne remet pas en question le caractère bulgare du recueil dans lequel, selon ses dires, seraient imprimés 660 poèmes populaires bulgares pour la plupart rassemblés en Macédoine. Parmi les auteurs qui voient en K. et D. Miladinov les protagonistes de la littérature macédonienne, le plus cohérent est A. Kalogjera dans son Braca Miladinovi - legenda i zbilja, Rijeka 2001. Selon ses recherches, le Recueil contient 660 poèmes dont 584 sont "originellement macédoniens" et 76 bulgares. C'est pourquoi Kalogjera aborde de manière polémique la question sur le rôle même de J. Strossmayer. Il est en effet persuadé que l'aide de Strossmayer à Miladinov n'était pas d'une nature totalement "idéaliste" et qu'elle doit être liée au mouvement uniate qui était apparu dans quelques villes du vilayet de Salonique en 1873. Kalogjera présente la thèse insuffisamment étayée selon laquelle le cercle rassemblé autour de Strossmayer avait modifié le concept original de Miladinov en brisant ses idéaux et la prise de conscience nationale. Kalogjera affirme que Franjo Racki, le principal mentor de K. Miladinov, avait au su de Strossmayer "constamment exercé une pression sur Konstantin avec pour intention que le Recueil, et à travers lui les deux frères, soient impliqués dans l'action de convertir au rite uniate les orthodoxes macédoniens moyennant quoi était indirectement mise en oeuvre la politique de l'évêque croate concernant l'union entre l'Eglise catholique et l'Eglise orthodoxe." L'auteur affirme sans ambages que K. Miladinov en dépit d'être né en Macédoine, laquelle était à l'époque sous l'autorité de l'empire turc et de l'Eglise grecque, était conscient de sa nationalité macédonienne. Le cercle de Strossmayer avait pour mission de "convaincre (persuader) Konstantin de conférer l'appellation de bulgare au Recueil et qu'il le fasse consentir (rapprocher) à l'uniatisme". C'est pourquoi Strossmayer était convaincu que Konstantin avait été victime d'une conjuration gréco-russe étant donné que ces pays "redoutaient la création d'une triple monarchie austro-yougoslavo-hongroise qui aurait menacé le panslavisme russe." Toutefois, Kalogjera considère plus probable que les frères Miladinov aient succombé au typhus en prison plutôt que d'avoir été empoisonnés. Cf. Kalogjera, Braca Miladinov, 18-23 et 42-43.

Une approche plus complexe sera offerte lors du congrès de slavistes croates et macédoniens qui sous l'appellation de Dani Brace Miladinov (Les journées des Frères Miladinov) se déroula à Zagreb et à Djakovo les 24 et 25 juin 2001. L'avis prévalut que le Recueil des frères Miladinov avait été crucial pour le développement de la langue et de la littérature macédonienne mais qu'en même temps il suggérait l'impossibilité d'appréhender l'ensemble du problème tant qu'on ne prenait pas en compte l'imprégnation des langues et des littératures slaves du Sud durant la phase initiale de reconnaissance des propres identités nationales. C'est précisément grâce à son esprit assimilateur que le Recueil des frères Miladinov rattachent les cultures croates, macédoniennes et bulgares. Lors du congrès il fut également offert d'entendre que Strossmayer avait tenté de convaincre K. Miladinov afin qu'il change le concept du recueil et introduise des poèmes populaires bulgares étant donné que pour le milieu culturel de l'époque l'appellation de "macédonien" était déconcertante. En effet, cette dénomination était comprise dans son sens géographique et l'on croyait que sur ce territoire vivaient des Grecs et des Bulgares. F. Begovic, Braca Miladinov nakon 140 godina ponovno u Zagrebu, Makedoniju i Hrvatsku povezuju kuce od rijeci, "Vjesnik" datant du du 1er juillet 2001.

Il faut signaler qu'a été imprimé un recueil bilingue des poèmes de K. Miladinov. Da vidam Ohrid, Struga, da vidam, Da vidim Ohrid, Strugu da gledam, Zagreb-Pula, 2001. L'auteur de l'étude introductive, B. Pavlovski, qualifie le Recueil des frères Miladinov de "livre capital de la culture macédonienne au 19ème siècle" et présente Miladinov comme un poète du renouveau macédonien. Pavlovski souligne également que "personne ne peut réfuter le fait que le Recueil des frères Miladinov soit composé de poèmes populaires de deux entités nationales qui ont droit à leur propre identité culturelle et linguistique". Cf. B. Pavlovski, Konstantin Miladinov - Od Struge do Stambola, 75-127.

[108] HDA, MVP NDH OPBI V. T. Num. 113/43, conditions pour l'admission des étudiants bulgares aux études à Zagreb, Sofia 5 août 1943.

[109] HDA, NDH, MU, 1943, 102-115.

[110] Ibid., 159-170.

 

 

4. La collaboration culturelle

 

La Société d'amitié bulgaro-croate, fondée à Sofia le 20 juin 1941, constituait une solide assise pro-croate parmi les personnalités en vue de la vie publique bulgare.

 

Il n'y a guère de doute que les contemporains avaient pu en appeler à des relations culturelles séculaires entre les Croates et les Bulgares. Si l'on remonte dans le passé, on constate que la première société croate à Sofia avait porté le nom de Coopérative croate (Hrvatska zadruga). Elle avait eu pour embryon le cabinet de lecture croate qui avait été ouvert par les travailleurs typographiques croates. C'est sur invitation du gouvernement bulgare qu'ils étaient arrivés à Sofia en 1880 afin de mettre en branle la "Drzavna pecatnica" (l'Imprimerie de l'Etat). Le poste de directeur de l'imprimerie avait été confié à Ivan Lovric, né à Sisak. La colonie de Croates installés à Sofia comptait à l'époque une trentaine de membres qui avaient créé leur salle de lecture et par la suite leur orchestre de tamburaš . A la tête de la Communauté croate se trouvait Stjepan Jurinic [111]. L'activité de la Communauté croate fut interrompue à la fin de l'année 1897. Le professeur Karlo Sirovatka devait la relancer brièvement mais la société fut formellement éteinte en 1915.

 

La Société d'amitié bulgaro-croate à Sofia était chargée de la promotion politique et culturelle du NDH. En 1941, la société avait rassemblé environ 400 membres et bénéficé d'un soutien matériel de la part du gouvernement bulgare. Ceux qui se distinguèrent parmi ce milieu furent : le président de la Société Konstantin Stanisev, médecin et président du Comité national des confréries macédoniennes en Bulgarie (1925-1934), ensuite Andrej Tosev, vice-président de la Société et partisan des libéraux nationaux, enfin Vasil Seizov, secrétaire de la Société et par ailleurs journaliste. Stanisev s'était personnellement lié avec Pavelic dès l'année 1929, lorsqu'ils avaient signé à Sofia la charte de collaboration des nationalistes macédoniens et croates. Stanisev représentait à l'Assemblée le groupe parlementaire macédonien. Il sera également président du Comité national macédonien entre 1925 et 1932. Zidovec écrivit à propos de K. Stanisev qu'outre son éducation et sa culture il était "un grande figure macédonienne" et un homme qui "compte parmi nos amis les plus grands, les plus prestigieux et historiquement les plus méritants dont nous disposons en Bulgarie". [112] A. Tosev avait été ministre président en 1934, diplomate de carrière, auteur politique et l'"un des conseillers de l'empereur". Il connaissait particulièrement bien le contentieux italo-croate et plaidait pour que la Croatie ne soit pas sacrifiée aux intérêts italiens. [113] Seizov était également un grand ami de la Croatie. En 1913, c'est en tant que jeune homme qu'il avait émigré de la Macédoine pour la Bulgarie et c'est là qu'il termina l'école normale de pédagogie. Il se perfectionna à la Haute école de pédagogie de Zagreb en 1927, et se lia alors personnellement avec Pavelic. Zidovec déclara avoir reçu de Seizov et de Stanisev l'enseignement le plus précieux sur la vie politique bulgare. [114]

 

C'est le 14 juillet 1941 qu'avait été fondée la société d'amitié croato-bulgare à Zagreb, à la tête de laquelle se trouvait Ivan Orsanic, le commandant administratif de la Jeunesse oustachie. Auparavant avait oeuvré à Zagreb le Ligue académique yougoslavo-bulgare qui était née en juillet 1937. En février 1941, Ivan Esih, un homme de lettres, traducteur et chef du Département de l'instruction publique des Gouvernement du ban de la Banoniva, avait suscité la création de la Société croate des amis du peuple bulgare à Zagreb. [115]

 

Une initiative importante à mettre au crédit de la Société croato-bulgare à Zagreb et à celui de la Société bulgaro-croate à Sofia fut d'avoir imprimé la revue bilingue croato-bulgare Zagreb-Sofia, laquelle avait été conçue comme un trimestriel culturel. Dans le premier numéro, sorti à Zagreb le 22 décembre 1942, le rédacteur en chef Djuro Teufel nous révèle la ligne qu'entendait suivre la rédaction : "Le Zagreb-Sofia se doit d'être le miroir de l'ensemble de la création spirituelle et matérielle du peuple croate et bulgare". Toutefois, cette tradition créatrice n'était pas "suffisamment connue de notre public pour qu'elle puisse devenir un facteur décisif dans l'établissement de nos relations d'amitié réciproques". Il faut surtout relever que la revue Zagreb-Sofia était un sorte de tentative pour promouvoir la culture du Sud-est européen. Les intellectuels croates et bulgares tentèrent de sortir de leur isolement et de communiquer avec l'Occident. Un simple coup d'oeil sur l'éditorial d'Ivan Orsanic, le président de la Société croato-bulgare, nous servira à mesurer le sérieux de leurs engagements : "L'habitude était de ne considérer et de ne regarder l'Europe qu'en fonction de son Occident tandis que l'Est de l'Europe signifiait quelque peu la négation de la pensée européenne. Il est néanmoins de la responsabilité et du devoir du peuple bulgare et croate d'agrandir l'Europe sur ce même continent européen ainsi que d'introduire sa propre individualité dans le coloris occidental". [116]

 

Moyennant diverses manifestations, les sociétés d'amitiés à Zagreb et Sofia avaient enclenché et maintenu le mécanisme d'imprégnation de ce qui était l'authentique vie artistique et intellectuelle de la Croatie et de la Bulgarie. En 1941 était apparue une phase d'euphorie dans laquelle, pour reprendre les termes de l'écrivain bulgare Stilijan Cilingrinov, un arriéré de vingt ans avait été suppléé. [117] Compte tenu des circonstances de la guerre, on pourrait dire que les initiatives culturelles allant de 1941 à 1944 avaient atteint des proportions réellement enviables.

 

Les tournées théâtrales furent particulièrement nombreuses au cours de cette période de quatre ans. Pour ne donner que quelques exemples des événements de la vie musicale, citons la prestation de la diva d'opéra Marijana Radev dans le rôle de Carmen en juin 1943 à Sofia ; celle de la diva Nelly Karova le 15 juin 1942 au Théâtre national croate qui interpréta le rôle de Djula dans l'opéra "Ero s onoga svijeta" de Jakov Gotovac ; le séjour de l'Orchestre Philharmonique impérial de Bulgarie sous la direction de Sasa Popov en juin 1942 ou encore l'invitation de la pianiste Melita Lorkovic. Une grande publicité sera accordée à M. Budak, qui faisant autorité dans le monde des lettres avait à ce titre visité Sofia à la mi-avril 1942. La représentation de son Ognjiste au théâtre de Sofia, lequel cette année-là avait affiché jusqu'à 23 drames à son répertoire, signifia la première mise en scène à l'étranger de cette oeuvre de Budak. En août 1943 sera exécuté à Zagreb le drame moderne bulgare de Raco Stojanov, Majstori, au Théâtre national croate.

 

Une élan peu habituel est perceptible dans la vie littéraire. C'est à l'initiative de la société amicale bulgaro-croate à Sofia qu'est imprimée en 1942 une anthologie de la poésie croate, Les lyriques croates actuels (Danasnji hrvatski liricari) ainsi que le livre Les Poètes croates de la seconde moitié du 19ème siècle (Hrvatski pjesnici druge polovice XIX stoljeca). La même année une députation des écrivains croates menée par Dragutin Tadijanovic visita Sofia. Grâce au poète et traducteur bulgare Dmitar Pantalejev (1901-1993) sera imprimée à Sofia en mars 1943 l'anthologie de la poésie croate. Les écrivains bulgares Elin Pelin et Alek Konstantinov seront traduits en Croatie. En juillet 1943, le roman de Stojan Zagorcev, Legenda Sv. Sofije, sera imprimé dans une traduction de I. Esih. [119] La poétesse bulgare Elisaveta Bagrjana (1893-1991) traduisit les poètes croates modernes et noua une amitié personnelle avec eux (G. Krklec, D. Cesarić, D. Tadijanović, etc.).

 

Le poète D. Pantelejev (août 1942) et l'écrivain S. Cilingrinov (novembre 1942) allaient être parmi une série à visiter Zagreb dans le cadre d'échanges culturels. A la mi-juin 1942, un groupe d'écrivains croates, dont faisaient partie Dobrisa Cesaric et Dragutin Tadijanovic, visita la Bulgarie. Les écrivains bulgares leur retourneront la visite à Zagreb en 1943.

 

Parmi les expositions qui méritent d'être citées, relevons celle à Sofia du photographe artistique August Frajtic. Au niveau des compétitions sportives, la plus intéressante est probablement la rencontre de football entre les représentations de la Croatie et de la Bulgarie qui eut lieu le 13 avril 1942 à Zagreb, avec pour résultat un 6-0 en faveur du pays d'accueil.

 

***

 

[111] Jurinic était arrivé en Bulgarie en 1881 et avait commencé par travailler comme professeur d'école secondaire. En 1904, il devint professeur d'université en biologie et botanique et de 1911 à 1912 il fut recteur de l'université de Sofia. F. Bucar, Hrvati i Bugari, njihovo kulturno zblizenje i bratska zajednica, Hrvatsko-bugarska smotra Zagreb-Sofia (Les Croates et les Bulgares, leur rapprochement culturel et la communauté fraternelle, La Revue croato-bulgare Zagreb-Sofia), Zagreb 1942, 26-27.

[112] Zidovec confirma que K. Stanisev avait été en 1938 grand maître de la loge. Il était devenu maçon pour des motifs exclusivement patriotiques en luttant pour "la cause macédonienne et bulgare". Son frère Aleksandar Stanisev était également un grand admirateur des Croates. Ceci dit, Zidovec considérait qu'il était bien meilleur "expert" que "politicien" car "il parlait beaucoup, ensuite oubliait", et de manière générale il ne possédait pas "la profondeur de jugement requise". HDA, MVP NDH PS, Prikaz danasnje Bugarske, livre 2, Portret Aleksandar Stanisev i Konstantina Stanisev.

[113] Tosev fut ambassadeur au Monténégro et en Serbie (de 1908 à 1912). Il était réputé pour être un adversaire politique du zvenar. Il avait pour occupation l'écriture de l'histoire diplomatique. HDA, MVP NDH, Prikaz danasnje Bugarske, livre 2, Portret Andreja Toseva.

[114] Vasil Seizov était né le 19 novembre 1889 à Kavadarci. En 1914, il se réfugia en Bulgarie où il se porta volontaire pour l'armée. Ensuite, il revint en Macédoine et poursuivit ses études. Entre temps, il s'était rapproché des communistes et en 1919 il adhéra au KPJ à Kavadarci. En 1928, Seizov émigra à nouveau en Bulgarie où il s'engagea comme journaliste au journal "Makedonija" de Sofia. Il sera également correspondant du "Hrvatski narod" et de l'agence de presse "Croatia". Zidovec mentionne que Seizov écrivit sous un pseudonyme dans les journaux "Hrvatsko pravo" et "Hrvat" ainsi que dans le "Borba" communiste. Pour la plupart, il s'agissait d'articles relatifs à la terreur macédonienne exercée à l'encontre des Macédoniens en Yougoslavie. Seizov aurait soi disant été arrêté à la suite d'une intervention de Budak et de Pavelic. HDA, MVP NDH, PS, Prikaz danasnje Bugarske, livre 2, Portret Vasila Seizova. Zidovec lors de l'enquête judiciaire en 1946 confirma que Seizov (et Stanisev) avaient été pour lui les plus précieuses sources d'information sur la vie politique en Bulgarie.

[115] HDA, Banska vlast Banovine Hrvatske, I. 87/21383/41, datant du 19 février 1941.

[116] I. Orsanic, Hrvatsko bugarsko prijatelstvo, Hrvtsko-bugarska smotra Zagreb-Sofia, num. 1, Zagreb, 1942, 3. Malheureusement, seul le premier numéro de cette publication verra le jour. Dans la revue on trouve avant tout un grand nombre d'articles consacrés à la création culturelle. F. Bucar écrit sur le rapprochement culturel des Croates et des Bulgares au fil de l'histoire. J. Zivkovic écrit sur la nouvelle lyrique bulgare. On trouve également une traduction croate des poèmes de D. Pantelejev, H. Botev et I. Vazov ainsi que des poèmes populaires bulgares. Suivent des traductions bulgares des poèmes de D. Tadijanovic. I Esih écrit sur la presse bulgare et sur la signature de la convention culturelle croato-bulgare. Ensuite viennent des articles de circonstance sur les liens entre les Bulgares et les Croates sous la plume de K. Stanisev, V. Zidovec et J. Meckarov. Finalement, quelques thèmes actuels de société sont ébauchés comme dans l'article de V. Seizov sur le NDH et dans celui de B. Haberle sur la vie sociale en Bulgarie.

[117] Cilingrinov se souvenait volontiers avoir personnellement fait la connaissance de S. Radic en 1911 et de leur solidarité instantanée à l'encontre du "chauvinisme serbe". "Hrvatski narod" en date du 17 décembre 1941.

[118] Budak avait rencontré hors protocole le président Filov. Dans son journal, ce dernier releva parmi les particularités politiques de Budak "une haine spécifique envers les Italiens" qui était apparue chez lui après que la bande croate de l'Adriatique eut été occupée. B. Filov, Dnevnik, Sofia 1986, 452 (à continuer de maintenant : B. Filov, Dnevnik).

[119] La légende veut que la capitale bulgare ait reçu son nom de Sofia d'après la fille de l'empereur byzantin Justinien, qui gouverna au 6ème siècle à Constantinople. Sophia avait abandonné la cour paternelle par amour pour le prince bulgare Hivlud et était partie pour la ville de Sredets. Les futurs seigneurs de Sredets en deviendront les Bulgares qui consacrèrent l'église de Ste Sophie en sa mémoire.

 

La suite

 

 

Rédigé par brunorosar

Publié dans #Bulgarie-Croatie

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M
Is there any information on Adam Orssich? Why did he went to Boris III ? he was archaeologist, as far as I know...
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