Boris III et le NDH

Publié le 18 Novembre 2009

L'empereur Boris III et le NDH


1. Les initiatives bloquées du souverain


 

Si l'on aborde la question de l'attitude de la cour bulgare à l'égard du NDH, nous pourrions dire dans les grandes lignes que la politique de Boris III envers la Croatie n'allait pas au-delà de la prudence et de la sympathie réservée. Cette politique découlait du fait qu'au cours de la guerre l'empereur n'avait pas été en mesure de mettre sur pied ses propres blocs régionaux ou de conclure des pactes risquant toujours de provoquer la réaction de l'Italie et de l'Allemagne. Boris III devait faire preuve d'une vraie flexibilité politique par égard pour l'Italie avec laquelle la Bulgarie était en conflit à cause de la Macédoine occidentale. Il était clair que l'Allemagne ne tolérerait pas parmi ses alliés de discordances qui se seraient reflétées négativement sur le bloc de l'Axe. C'est par de telles considérations que l'empereur était guidé lorsqu'en décembre 1941, dans un entretien avec le ministre des Affaires étrangères Lorkovic, il conseilla au gouvernement croate d'être "patient" et de "ne pas s'affronter avec ses voisins" sans autre nécessité. Voilà pourquoi la Bulgarie se tint nominalement à l'écart du litige entre la Croatie et l'Italie quant à la Dalmatie ainsi que du contentieux entre la Croatie et la Hongrie en raison du Medjumurje. Dans un entretien datant de janvier 1942 avec le comte croate A. Slaveticki Orsic, l'empereur avait fait savoir qu'un arrangement bilatéral avec la Croatie l'exposerait aux suspicions de l'Italie. L'empereur ne souhaitait pas perdre la confiance des Italiens qui, d'après lui, seraient "particulièrement susceptibles dans les Balkans" après leur défaite en Afrique. Il n'y a guère de doutes qu'ils auraient proclamé un pacte bulgaro-croate comme étant "une menace pour leurs intérêts présents et futurs". Même si momentanément il ne jugeait pas sage de se laisser embarquer dans une alliance avec la Croatie, il importait tout autant pour l'empereur que la prépondérance italienne dans les Balkans soit à l'avenir affaiblie. Il croyait que l'Italie finirait par reconnaître ses intérêts coloniaux en Afrique. L'empereur déclara au comte Orsic que la politique des Balkans serait abandonnée aux peuples qui y vivent "lorsque l'Italie aura en Afrique de tels succès et accroissements territoriaux que le centre de gravité de ses intérêts se déplacera du nord vers le sud de sorte que les Balkans les intéresseront moins". [120] Lorsque ce moment sera advenu, il faudra probablement réserver une rencontre au plus haut niveau entre les Croates et les Bulgares, une rencontre que la partie bulgare ne cessait de différer. Le 16 juin 1941, le ministre Filov annota dans son journal que Boris III n'avait pas l'intention d'accepter l'invitation croate de visiter Zagreb, en considérant que de tels gestes symboliques étaient prématurés. L'empereur jugeait comme une tâche plus importante celle de maintenir la confiance des Italiens et d'empêcher les intrigues serbes contre la Bulgarie. Il se trouvait dans une situation pour le moins délicate à cause de Mikhailov car son éventuelle rencontre à Zagreb aurait pu être entendue comme une réhabilitation de l'ORIM. [121]

 

Bien qu'il n'existe pas de documents classiques pour l'attester, il semble que l'empereur avait une faible estime pour les aptitudes d'A. Pavelic à diriger l'Etat. Faisant figure de traditionaliste en matière politique, Boris III n'était pas personnellement enclin envers "les révolutionnaires" et il semble que c'est justement ainsi qu'il voyait Pavelic. Des réflexions de l'empereur sur le NDH datant d'avril 1942 n'avaient sans doute rien de fortuit car elles aboutissaient au doute que "les révolutionnaires" ne puissent posséder les qualités d'hommes d'Etat et qu'ils "n'aient pas de véritable pensée pour une politique constructive". [123] Il ne faut pas perdre de vue que ce n'est qu'en avril 1943 que sera traduit à Sofia le livre de Pavelic Le Docteur Ante Pavelic a résolu la question croate (Dr. Ante Pavelic razrijesio hrvatsko pitanje - Traduction bulgare : Dr Ante Pavelic razresi hrvatskija upros). Le journal Nova Hrvatska du 28 avril releva qu'il s'agissait du "premier livre au contenu politique imprimé en Bulgarie après la création du NDH". Nous ajouterions quant à nous, le premier et le dernier d'un tel caractère.

 

Un épisode datant d'avril 1942 lié à la visite amicale à Zagreb de hauts militaires et de députés nationaux avec le général Petar Penev à leur tête nous laisse suggérer la retenue que manifestait l'empereur à l'égard du régime oustachi. Parmi les impressions que les membres de la délégation exprimèrent à leur retour il avait été enregistré que le phénomène "d'insécurité" et de "forte opposition" était plus ou moins perceptible en Croatie. Le général Penev parla d'une "forte haine inhabituelle" qui régnait envers les Italiens mais aussi de l'ombre de la violence du régime qui planait sur les Serbes et les Juifs. En dépit de cela, les invités bulgares prononcèrent de nombreuses louanges sur le compte de leurs hôtes de Zagreb. Filov nota dans son journal que l'empereur était "inquiet" en raison du comportement des représentants bulgares qui avaient tenté de s'insinuer dans les faveurs des autorités à Zagreb. L'empereur qualifia tout cet épisode d'avoir été une "odyssée croate"*, qui lui répugnait tout autant que la rhétorique vantarde des politiciens bulgares qu'il assimilait à une vulgarisation de la politique.

 

* hrvatijadom


Si l'on en croit certains indices, les hautes instances bulgares auraient volontiers appuyé un gouvernement croate multi-parti. Dès la fin de l'année 1942, des rumeurs avaient filtré jusque Sofia selon lesquelles les cercles oustachis négociaient avec le HSS et que la place de président du nouveau gouvernement était réservée à Vladko Macek. La source de ces informations sur les négociations entre les Oustachis et le HSS était le journal allemand "Neue Züricher Zeitung" du 12 octobre 1942. Les personnes proches de la cour, telles le chef de l'état-major en la personne du général Nikola Mihov, estimaient qu'un consensus national était nécessaire pour la Croatie. En décembre 1942 Mihov se montra direct dans une conversation avec Zidovec lorsqu'il déclara que le gouvernement oustachi devait "trouver l'opportunité d'un accord avec tous les Croates" afin de les rassembler "pour qu'ils collaborent véritablement à construire l'Etat croate". Il songeait à l'occasion aux partisans du HSS. D'après Mihov, l'avantage de créer un gouvernement de coalition n'avait pas pour contrepartie que l'on "s'attire personnellement Macek et les autres vieux politiciens qui ne peuvent pas comprendre les temps nouveaux et les nécessités nouvelles" mais plutôt que l'on "attire le peuple, par conséquent, tous ceux qui auparavant étaient partisans du HSS". [124]

 

A la mi-août 1943, le ministre Filov demanda sans détour à Zidovec si une initiative officielle avait été prise en vue de former un gouvernement croate multi-parti. Ayant à l'esprit l'Italie qui était sur le point de sortir de la guerre mais aussi l'éventualité d'un gouvernement multi-parti, Filov annonça au cours de l'entretien qu'une réunion bulgaro-croate au plus haut niveau devrait avoir lieu sous peu. Zidovec nota à ce propos : "Filov dit que le cours des événements impose une collaboration toujours plus étroite entre la Bulgarie et la Croatie. J'ai déjà évoqué ici que maintenant va bientôt arriver le moment propice où Filov effectuera une visite en Croatie (en retour de la visite du ministre Lorkovic dès 1941), ainsi que l'éventuelle réunion entre l'Empereur bulgare et notre Leader. Filov a confirmé que dans la nouvelle situation qui naîtra après la clarification finale en Italie cet objet deviendra effectivement d'actualité." [125]

 

Toujours est-il que Boris III n'a jamais contesté la légitimité fondamentale de l'Etat croate. A cet égard la conversation entre Boris III et l'ambassadeur Zidovec du 17 avril 1942 est la plus indicative. Sans doute mu par le sentiment d'exposer sans entraves le fond de sa pensée, l'empereur dira qu'une évolution progressive convenait mieux pour les petits pays comme la Croatie. Sur base de son expérience personnelle, Boris concevait que les petits pays ne puissent "avancer que très progressivement, prudemment et avec circonspection". Pour le moment présent, la chose primordiale pour le peuple croate était d'avoir son propre Etat car c'était "le noyau autour duquel tous se rassemble par la suite". L'empereur aborda ensuite le thème de l'occupation italienne, ce en quoi il touchait au vif des sentiments nationaux croates. Il estimait que le gouvernement croate devait protéger sa position en différant le conflit avec les Italiens. Au regard de la Dalmatie, il était d'avis que Pavelic et le gouvernement devaient faire preuve de plus de patience et de ténacité en vue de recouvrer le territoire perdu. Il ne fallait pas risquer la survie de l'Etat à cause d'un geste fautif. Un pays auquel avaient été arrachés ses territoires historiques nécessitait une politique stable afin de pouvoir un jour les récupérer. Bien que l'empereur eût partagé des liens familiaux avec la dynastie italienne et qu'il fût un grand fervent de la culture italienne, il se solidarisait moralement avec la Croatie dès lors où il s'agissait des intempestifs appétits territoriaux de l'Italie. De surcroît, il exprima comme point de vue que la force motrice essentielle de la politique italienne dans les Balkans était la peur des Slaves. En même temps, l'empereur ne cachait pas sa répugnance envers le panslavisme derrière lequel se tenait l'hégémonie russe. Il croyait que les Croates étaient spirituellement et politiquement liés à l'Occident. Il résuma quasiment les mêmes idées dans une conversation avec Zidovec le 17 avril 1942 : "L'Italie se sent menacée par la force des Slaves, c'est pourquoi elle s'efforce de brouiller mutuellement le plus possible les peuples slaves dans la Péninsule balkanique (...) j'ai une fois encore démontré aux Italiens qu'ils ne doivent pas craindre le panslavisme. Les Serbes sont des fantasques et des panslavistes mais nous les Bulgares et les Croates sommes des gens réalistes, aussi ne voulons-nous pas la domination russe. J'ai assuré les Italiens que les Croates, quoiqu'un peuple slave, appartiennent à l'Occident et à la culture occidentale, ce qui est donc l'une des garanties que le danger panslaviste ne viendra pas du côté de la Croatie". [126] Ces réflexions de l'empereur à propos de la solidarité d'une plus large communauté de peuples qui auraient été liés par le sentiment d'une parenté slave comportaient à n'en pas douter une note émotive. Il n'y avait là rien d'extraordinaire même si l'empereur considérait que les racines bulgares n'étaient pas authentiquement slaves et qu'il fallait les chercher dans les éléments "hunno-finnois". C'était la raison pour laquelle "les Bulgares se différenciaient assez bien des Serbes et des Russes." [127]

 

Nonobstant ces sentiments aux résonnances slaves, l'empereur nourrissait des vues dynastiques classiques en ce qui concerne la désignation du duc Aymon d'Aoste-Savoie comme roi des Croates. Cela ressort assez bien au travers de l'entretien du 21 avril 1941 qu'il avait mené avec le duc à Rome. Boris III projeta sur Aymon beaucoup de sa fierté dynastique en lui conseillant de ne pas se laisser instrumentaliser par les Oustachis. Il estimait que le duc devait immanquablement différer son départ pour la Croatie tant qu'une armée régulière n'y serait pas organisée et que n'y serait pas convoqué le Sabor croate devant lequel il aurait prêté serment. Il lui recommanda en outre d'abandonner pour un certain temps le pouvoir effectif à Pavelic. Du reste, Boris n'avait-il pas gouverné la Bulgarie selon les mêmes principes au cours des quinze premières années ?

 

Si l'on en revient aux écrits de Zidovec, il semble que Boris III n'avait pas eu l'intention de maintenir jusqu'au bout une position d'immobilisme vis-à-vis de la Croatie. Il laissa entendre que dans un proche avenir les deux états devraient se renforcer face aux ennemis communs. Il songeait par là à la Serbie. Il mentionna également l'Italie à propos de laquelle il répéta "qu'elle craint le panslavisme et se sent menacée par l'entente des Slaves, c'est pourquoi elle s'efforce de brouiller le plus possible les peuples slaves dans la Péninsule balkanique". Zidovec avait ressenti l'audience du 16 avril 1942 auprès de Boris III comme l'annonce plus qu'évidente d'une approche bulgaro-croate plus offensive compte tenu des événements en gestation. L'empereur avait révélé à Zidovec la stratégie suivante : "Je sais que pour la Bulgarie le plus important est l'amitié avec la Croatie et que nous sommes de fait pas mal liés par le destin. Nos relations dans le passé en attestent tout autant. Des raisons géographiques, géopolitiques et économiques le démontrent au même titre. Par conséquent nos peuples doivent se lier le plus étroitement possible. Je sais qu'au moment décisif la Croatie et la Bulgarie seront épaule contre épaule. Cependant, il vaut mieux en ce moment que personne ne le remarque".

 

L'empereur croyait que la crise de l'Italie donnait les mains libres à la Bulgarie afin de défendre les intérêts bulgares en Macédoine occidentale. Il voyait d'une manière analogue la situation du gouvernement croate par rapport à la Dalmatie. Attestant avoir lui-même autrefois voyagé en Dalmatie, l'empereur affirma que celle-ci appartenait en tout état de cause à la Croatie : "Je sais bien que c'est votre pays qui vous est précieux et d'une importance vitale tandis qu'à l'inverse le karst dalmate ne représente de toutes façons rien pour l'Italie - si l'on regarde la réalité des choses." L'empereur ne fera mention à Zidovec d'aucun plan bulgaro-croate ni n'évoquera une alliance militaire et politique, il dira seulement que pour l'instant il ne voulait pas trop parler afin de ne pas provoquer une réaction prématurée (des Allemands et des Italiens). En attendant ce moment décisif, l'empereur comptait sur la flexibilité de Pavelic et sur la diminution des tensions entre Zagreb et Rome. Par l'entremise de Zidovec, l'empereur faisait savoir à Pavelic qu'il n'y avait pas d'autre alternative que de se concentrer sur la construction et la stabilité du pays. C'est avec un soin particulier qu'il mesura ses paroles lorsqu'il commenta l'agitation intérieure en Croatie. Il émit le jugement pertinent que l'on ne se débarassait pas de la guérilla selon la formule militaire classique. La révolte "ne peut être liquidée par la force", car la force "provoquerait la fuite de nouvelles personnes dans les forêts". C'est pourquoi il suggère au gouvernement croate d'offrir l'amnistie aux insurgés et de leur faciliter l'émigration assortie d'une juste indemnisation de leurs biens. Restant fidèle à lui-même, l'empereur exposa sa manière de voir selon quoi "la progression pas à pas dans la politique des petits peuples et pays [est] la plus grande sagesse". Il assura une fois encore Zidovec avoir toujours intercédé auprès des Italiens en faveur des intérêts croates. Pour Zidovec, ces observations de l'empereur évoquaient un quasi-embryon de coalition bulgaro-croate au moment où l'Italie passait par un affaiblissement. Au début du mois de mai 1942, Zidovec rentra à Zagreb afin de transmettre verbalement les messages de l'empereur à Lorkovic et à Pavelic. Toutefois, ce dernier, pour des raisons qui ne sont compréhensibles qu'à lui-même, prit la chose avec on ne peut "plus d'impassibilité". Zidovec en déduira par la suite que Pavelic n'avait tout simplement pas compris ce que l'empereur lui annonçait. [129] Il exposera alors comme point de vue que l'empereur au moment de la chute de l'Italie fasciste avait prévu de "sortir de la réserve concernant les relations avec la Croatie". En effet, lors de leur dernier entretien du 16 août 1943, l'empereur avait dit que "le moment était venu où la collaboration croato-bulgare devait se révéler en acte et dans une lutte résolue qui devait être menée". [130]

 

Ce qui symbolise avec le plus de force "les louvoiements" de l'empereur Boris est assurément le rôle qu'il manqua de jouer sur un large plan lors des événements liés à l'effondrement de l'Italie. Si l'on fixe son attention sur cette période contestée, il convient de relever la déclaration de Zidovec à propos de la cour bulgare comme centre de gravité potentiel dans la rupture des relations entre l'Allemagne et ses alliés d'Europe de l'Est. On ne peut douter que l'empereur Boris III eût possédé une série de qualités diplomatiques qui faisaient de lui un intermédiaire extrêmement propice entre les blocs belligérants. Gardant à l'esprit ses relations avec la cour britannique, les agents secrets japonais à Sofia le déclarèrent être la personne la plus indiquée pour cette tâche. On cita le conseiller dans l'ombre de l'empereur, l'architecte Jordan Sevov, qui officiait comme personne en charge du contact britannique. Zidovec le décrivit comme un personnage "souterrain" et secret tout en croyant qu'il "joue un grand rôle à l'arrière-plan". [131] Sevov disposait d'excellentes relations à Istanbul en sa qualité d'architecte et de superviseur des travaux à la cour du pacha. Son prestige était déjà grand à l'époque où il avait personnellement connu Kemal Atatürk (1881-1938), le fondateur de la Turquie moderne. Les voyages fréquents de Sevov en Turquie n'avaient pas échappé aux services secrets japonais qui croyaient qu'il s'y rendait en mission secrète. En janvier 1944, le chargé d'affaire croate Stjepan Mosner présume que la régence utilise les services de Sevov en Turquie mais aussi qu'il "entretient des contacts avec les Anglais" et qu'à Ankara "il a établi des relations avec le commandant en chef des forces alliées au Moyen-Orient". [132] En mai 1944, Mosner informe le ministère des Affaires étrangères croate qu'en Turquie Sevov "recueille des informations sur l'affrontement futur entre les Soviétiques et les Anglo-américains", probablement pour le compte des services allemands. [133]

 

On trouve parmi les cercles de la diplomatie italienne des suppositions analogues sur le double jeu de la Bulgarie. Leonardo Vitetti, qui était le directeur général du Département pour l'Europe et la Méditerranée au ministère des Affaires étrangères italien, attira l'attention du ministre Ciano en novembre 1942 sur les écrits du "Daily Sketch" de Londres du 8 octobre 1942. Les écrits en question affirmaient que l'empereur Boris jouait "un double jeu" avec les Allemands et qu'il tentait de se rapprocher des alliés occidentaux afin de s'assurer une issue en cas d'effondrement allemand. L'empereur aurait prétendument déclaré à un diplomate occidental que la Bulgarie n'avait pas pu empêcher l'occupation allemande mais qu'à titre personnel il ne s'opposerait pas à ce que les alliés occidentaux occupent son pays. Les contacts de l'empereur avec Moscou se réduisaient à la garantie faite à Molotov que la Bulgarie ne rompraient pas les relations avec l'URSS malgré les pressions allemandes. En même temps, l'ambassade de Lisbonne transmettait des affirmations selon lesquelles en cas de défaite de l'Allemagne, la Bulgarie s'informerait sur ses propres possibilités de paix auprès des gouvernements de Washington et de Londres, en se servant de ses bonnes relations avec la diplomatie turque. [134] Le chef des combattants, Asen Kantardzijev, obtiendra la confirmation que "l'empereur soutient dès maintenant les relations avec les Anglais". En novembre 1942, il dira à Zidovec : "un de ces chemins mène par Lisbonne et l'autre par la Turquie et Smyrne." [135]

 

En décembre 1942, Zidovec était enclin à croire les services de renseignement japonais ayant constaté que Boris III était resté frustré d'une réponse positive de la part des Anglo-américains et qu'en conséquence la Bulgarie "assumera l'ensemble de la défense des Balkans" pour le compte des Allemands. Cela sous-entendait l'étouffement de la révolte "sur tout le territoire de la Serbie et de la Croatie". [136]

 

Quoi qu'il en soit, le rôle de l'empereur dans le scénario de la reddition de l'Italie n'est pas entièrement élucidé. En essayant de percer cette énigme, Zidovec émet pour conclusion que par son indécision Boris III avait en grande mesure "volatilisé" le plan anglo-américain visant à arracher à l'Allemagne les instables pays balkaniques. En expliquant après-coup les événements, il affirme que l'annonce de la capitulation de l'Italie avait provoqué une forte commotion au sein de la haute politique des satellites balkaniques mais que Boris n'avait visiblement pas voulu prendre le risque d'affaiblir l'ensemble du bloc. En résumé, l'empereur avait douté de l'issue positive d'une Bulgarie qui serait passée du côté anglo-américain et il n'avait donc pas pu se décider à suivre la voie pacifique du roi italien Victor Emmanuel III mais au contraire avait cherché à gagner du temps.

 

Zidovec avait estimé que la tendance de l'Italie à se retirer de la guerre avait débuté dès le milieu de l'année 1942, lorsque plusieurs navires qui transportaient du pétrole pour le général Rommel avaient été envoyés par le fond. Selon des informations non vérifiées venant des services de renseignement japonais, la position des navires avait sciemment été révélée par la flotte italienne afin de saboter les plans allemands pour Suez. Zidovec déploiera plus tard un large éventail d'arguments expliquant pourquoi Boris III avait refusé le scénario de la défection de l'Allemagne. Toutes cettes raisons restent néanmoins nébuleuses étant donné le manque de documents adéquats. Si l'on suit Zidovec, l'élément crucial était que l'empereur n'avait pas voulu croire que la Grande-Bretagne et les USA seraient capables d'"organiser l'Europe sans l'Allemagne et de la protéger de la Russie et du communisme qui était pour lui le principal ennemi". Cette déclaration n'est pas contradictoire avec le fait que l'empereur disposait d'excellentes relations à la cour britannique et que même durant le conflit ses hommes de confiance n'avaient pas rompu les contacts. En même temps, l'empereur devait compter avec un très fort courant de l'opinion publique chez qui la victoire militaire des Britanniques "infusait la peur dans les os". Selon Zidovec, c'est précisément là que réside la clé pour comprendre la politique oscillante et prudente de l'empereur. [137]

 

En tentant à posteriori de percer les plans de guerre de l'empereur, Zidovec attribua une importance particulière à l'audience d'adieux du 16 août 1943. Le rapport original de cette audience n'a pas été conservé mais uniquement la description ultérieure faite par Zidovec et qui date de l'année 1948. Toujours est-il que Zidovec avait acquis la forte impression que l'empereur n'avait pas eu l'intention de suivre la recette du roi italien et qu'il avait refusé "le plan de guerre anglo-américain pour 1943". Zidovec croyait que l'empereur avait très tôt été mis au courant des plans de la dynastie italienne pour abattre le fascisme et Mussolini. Dans une conversation avec Zidovec, l'empereur avait en effet évoqué ses propres paroles du 17 avril 1942, lorsqu'il avait assuré que la Dalmatie ne resterait pas durablement en possession de l'Italie. En même temps, Zidovec avait acquis l'impression que pour des raisons nationales et dynastiques l'empereur n'avait pas pu consentir à l'élimination complète de l'Allemagne et qu'il avait déposé tous ses espoirs dans "une paix de compromis générale". Avec l'écart chronologique de quatre ans, Zidovec en déduira que : "L'empereur personnellement, et plus particulièrement le peuple bulgare, avait une aversion envers les Anglais ainsi qu'une méfiance en raison d'une expérience pénible débutant avec le Congrès de Berlin et se prolongeant par la suite. C'est pourquoi l'empereur n'avait pas pu se fier à l'Angleterre en cet instant et livrer le destin de l'état et de la dynastie à son bon vouloir. Justement ces raisons dynastiques avaient été pour lui importantes et décisives en tout état de cause (...). Craignant d'un côté l'Angleterre et de l'autre l'Union soviétique l'empereur avait considéré que la seule issue était de conserver l'Allemagne comme cette troisième puissance qui lui était nécessaire pour louvoyer. Par la menace de la paix russo-allemande l'empereur avait voulu extorquer la paix à l'Angleterre et à l'Amérique, soit une paix de compromis générale dans laquelle l'Allemagne aurait à vrai dire été rejetée en arrière dans ses frontières et aurait perdu la prédominance en Europe, mais [où] la Bulgarie s'en serait relativement bien sortie, en particulier la position de la dynastie et la sienne personnelle auraient été renforcées". [138]

 

Jules Blondel, l'ambassadeur français à Sofia qui en septembre 1942 se mettra au service du général de Gaulle, nous parle quelque peu des subtilités de l'empereur à l'heure d'établir les priorités nationales. Blondel rapporte les paroles de l'empereur selon lesquelles la Bulgarie n'avait pas pu empêcher l'arrivée de l'armée allemande sur son territoire mais qu'un jour venu celle-ci ne créerait pas non plus d'obstacles aux forces occidentales. [139]

 

Nous ne saurons jamais si Boris III était en état d'effectuer un revirement radical du côté des alliés occidentaux car il décéda soudainement le 28 août 1943. Après l'arrêt de la percée allemande au sud de Koursk et les offensives réussies de l'Armée rouge sur Harkov, Hitler avait invité Boris III le 14 août 1943 dans son état-major sur le front de l'Est et il lui avait posé comme ultimatum formel que l'armée bulgare s'insère dans le conflit sur ce secteur. L'empereur ne céda pas. Ce fut là sa dernière apparition sur la scène militaire.

 

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[120] HDA, MVP NDH, PS, V. Zidovec, Rapport de M. Adam le comte Orsic-Slaveticki sur sa visite auprès de Sa Majesté l'empereur Boris III le 20 janvier 1942.

[121] B. Filov, Journal, 322. L'Empereur n'avait cessé de différer la rencontre avec Pavelic. H. Statev témoigne que l'empereur lui avait déclaré lors d'une entrevue datant du 28 janvier 1943 "qu'un jour cela se réalisera de toutes façons mais qu'aujourd'hui les temps sont tels que chacun doit être assis à sa barre". HDA, MVP NDH, PS, V. Zidovec, PPI, num. 3 datant du 6 février 1943.

[122] HDA, RSUP SRH, SDS 013.0.56, V. Zidovec, Ma participation dans la vie politique, pages 58-60.

[123] B. Filov, Journal, 451-452 et 455.

[124] HDA, MVP NDH, PS, V. Zidovec, PPI, num. 14 datant du 17 décembre 1942. Comme on le sait dans les négociations finales entre Lorkovic et Kosutic (mais aussi I. Farolfi), qui furent menées à Zagreb les 8 et 27 août 1943, les dirigeants du HSS refusèrent l'idée de créer un gouvernement commun. Cette problématique est plus largement traitée dans mon livre : N. Kisic Kolanovic, Mladen Lorkovic, Ministar urotnik, Zagreb, 1998.

[125] HDA, MVP NDH, PS, V. Zidovec, PPI, num. 16 datant du 12 août 1943.

[126] HDA, MVP NDH, PS, V. Zidovec, IPI num. 2 datant du 23 avril 1942.

[127] C'est précisément l'explication que Boris III avait fourni à l'ambassadeur italien M. Magistratti. DDI, IX/10, doc. 55, page 80, Rapport de M. Magistratti à Mussolini datant du 24 février 1943. S'agissant de la question de l'ethnogenèse, les plus anciens habitants de la Bulgarie étaient les tribus thraces des Mèses, des Tribales et des Bèses. Au 1er siècle, le territoire de l'actuelle Bulgarie avait été conquis par les Romains. Les Slaves commencèrent à s'installer au 6ème siècle tandis qu'allaient commencer à pénétrer sur ce territoire les Bulgares, un peuple d'origine hunno-ougrien, en provenance du sud de la Bessarabie. Encyclopédie militaire, tome 2, Belgrade 1971, 104-105.

[128] B. Filov, Journal, 324.

[129] HDA, MVP NDH, PS, V. Zidovec, IPI, num. 2 datant du 23 avril 1942. Zidovec lors de l'enquête de 1947 déclara qu'en présence de Lorkovic il avait verbalement déposé le compte rendu à Pavelic et qu'il avait "pu remarquer que tout cela fut à vrai dire un avis intéressant pour Pavelic mais rien de plus". HDA RSUP SRH, Procès verbal de l'audition de V. Zidovec auprès de l'Udba pour la Croatie le 1er octobre 1947.

[130] HDA, RSUP SRH, 012.0.60, V. Zidovec, Ajout à l'index systématique et réel, note du 12 mars 1948.

[131] Zidovec note également que Boris III estimait "l'objectivité" de Sevov de sorte qu'il s'appuyait souvent sur ses opinions concernant différents individus. Zidovec réfère que Sevov exerçait la fonction de "chef des services secrets de la cour" mais que son influence sur eux avait faibli au cours de l'année 1943, HDA, MVP NDH PS, V. Zidovec, Prikaz danasnje Bugarske, livre 2, Portret Jordana Sevova.

[132] HDA, MVP NDH OPBI, S. Mosner, Politicki izvjestaj num. 1-4, datant du 1er janvier au 29 février 1944.

[133] HDA, MVP NDH, PS, Num. V.T. 12/44 datant du 17 mai 1944, S. Mosner. Harhitekt Sevov u Turskoj (S. Mosner, L'architecte Sevov en Turquie).

[134] DDI, IX/9, doc. 295, pages 297-298, Le directeur du Département pour l'Europe et la Méditerranée Vitetti au ministre des Affaires étrangères Ciano, le 11 novembre 1942.

[135] HDA, MVP NDH, PS, V. Zidovec, PPI, num. 14 en date du 15 novembre 1942.

[136] Rioci Umeda, qui avait formellement exercé la fonction de délégué pour la presse à l'ambassade japonaise à Sofia, pronostiqua que les forces bulgares s'engageraient davantage sur le territoire de la Grèce, de l'Albanie et du Monténégro. HDA, MVP NDH, PS, V. Zidovec, PPI, num. 20 datant du 31 décembre 1942. Ce n'est qu'en juin 1943 que sera réalisé un accord bulgaro-allemand en vertu duquel l'armée bulgare occupa la Serbie jusqu'au Danube, à l'exception de Belgrade et de Bor qui restèrent sous administration allemande.

[137] HDA, RSUP SRH, SDS 013.056, Procès verbal de l'audition de V. Zidovec auprès de l'Udba de Croatie datant du 1er octobre 1947.

[138] HDA, RSUP SRH 012.060. V. Zidovec, Supplément à l'index systématique et réel, feuille XXII datant du 14 mars 1948.

[139] HDA, MVP NDH, PS, Rapport de S. Mosner sur la situation en Turquie, Annexe au rapport de V. Zidovec PPI, num. 16 du 2 février 1942.


2. Boris III quitte la scène internationale


 

L'ambassadeur Zidovec fut reçu en audience d'adieux auprès de Boris III le 16 août 1943. Lors de la rencontre, l'empereur donna l'impression d'être un homme "sain et fringuant". Le jour suivant, le 17 août, c'est en bonne condition physique que l'empereur se retira dans son pavillon de chasse sur la montagne de Rila à une altitude de presque 3.000 mètres. Il y séjourna une semaine. Après avoir regagné Sofia le 24 août, le hasard voulut que ce soit sur une charte de décoration pour l'ambassadeur croate que l'empereur eût apposé sa dernière signature. En effet, au cours de la nuit, les signes de la maladie se manifestèrent soudainement. L'équipe de médecins à laquelle s'étaient rapidement associés deux cardiologues allemands confirma que l'empereur avait subi une attaque cardiaque et qu'après un éventuel rétablissement il resterait longtemps absent de la vie publique. Ayant pris en compte que l'empereur n'avait pas fait de testament politique, le gouvernement prépara en secret la régence que le Parlement était censé désigner suivant la voie constitutionnelle. La santé de l'empereur ne cessa de se détériorer et le 27 août le gouvernement publia un communiqué officiel sur sa maladie. Boris III décéda le 28 août mais l'on se garda de transmettre de mauvais présages à l'opinion publique. La disparition du souverain bulgare provoqua un deuil général parmi la nation.

 

La nouvelle de la mort de Boris III fut annoncée en Croatie le 29 août. En présentant son oeuvre d'homme d'Etat, la presse signala qu'il avait été "un souverain constitutionnel rigoureux", qui s'en était tenu à la légalité jusqu'aux "dernières limites sans même épargner sa personne". On pensait par là à sa conversion religieuse puisque la constitution bulgare prescrivait que le tenant du trône bulgare devait être de confession orthodoxe. Ayant inscrit à son actif le gain de la Dobrudja méridionale ainsi que la plus grande partie de la Macédoine, la presse croate qualifia l'empereur de "grand Rassembleur" de la Bulgarie. Le journal "Hrvatski narod" écrivit à propos de l'empereur qu'il fut un habile dirigeant parce qu'étant "un des adversaires les plus tenaces des diktats pacifiques et des partisans du révisionnisme" il avait néanmoins réussi à éviter "tout motif à quelques conflits que ce soit qu'auraient pu exploiter les adversaires de la Bulgarie". [140]

 

En Croatie, tous les hommages de la nation seront rendus à Boris III. Une séance de deuil de la part du Gouvernement aura lieu le 30 août et elle sera présidée par Pavelic. Le même jour, dans l'église orthodoxe de la Ste Transfiguration, se déroulera une cérémonie religieuse en l'honneur du défunt Boris III et en faveur d'une longue vie au prince-régent Simeon II Trnavski. Le corps diplomatique se joignit à Pavelic et aux membres du Gouvernement.

 

L'inhumation de l'empereur se déroula à Sofia le 5 septembre 1943. Assista à la cérémonie une délégation officielle croate dans laquelle se trouvaient Mehmed Alajbegovic, le ministre des Affaires étrangères, les généraux Vilko Begic et Djuro Dragicevic ainsi que le colonel oustachi Erih Lisak.

 

De son vivant, Boris III avait exprimé le voeu d'être enterré au monastère de Rila qui avait été le berceau littéraire slave au 10ème siècle. Sa tombe deviendra rapidement un lieu de pèlerinage pour de nombreux Bulgares. C'est à partir du monastère de Rila qu'après la guerre le nouveau gouvernement bulgare transféra le corps de l'empereur au tombeau situé dans le parc du château impérial Vrana.

 

Si dans un communiqué du gouvernement bulgare la mort de Boris III était attribuée à des causes naturelles, son caractère brusque et inattendu allait pourtant alimenter des rumeurs typiques de l'instabilité politique des Balkans. Des affirmation non fondées circulèrent dans les couloirs selon lesquelles l'empereur avait été empoisonné par des agents britanniques, ou encore par les Allemands, les Italiens, les communistes et même qu'il avait attenté à ses jours. [141] 

 

La soeur de l'empereur, la duchesse Evdokija, rejeta la responsabilité sur les nazis. L'énigme sur les causes de la mort du souverain bulgare persiste jusqu'à ce jour. Les historiens ne disposent cependant pas de documents qui pourraient corroborer la théorie sur la mort violente. [142]

 

Même le biographe de l'empereur, S. Gruev, n'apporte pas de réponse précise quant à savoir si un complot avait été ourdi contre l'empereur ou s'il était décédé d'une mort naturelle. Il considère toutefois la thèse du suicide comme "extrêmement improbable" compte tenu de la profonde religiosité de l'empereur. La rencontre désagréable avec Hitler avait assurément contribué à la détérioration de son équilibre interne. L'empereur rentra à Sofia "physiquement et moralement épuisé". C'est pourquoi Gruev n'est pas loin d'envisager que Boris III était dans un état similaire "au suicide passif à l'occasion duquel la mort est bienvenue en tant qu'unique dénouement au désespoir tragique". [143]

 

Les cercles turcs acceptèrent l'explication sur le décès naturel de Boris III, même s'il fut relevé qu'au cours des derniers jours il avait été soumis à une forte pression de l'Allemagne afin d'engager l'armée bulgare contre l'URSS. L'opinion publique se montra particulièrement frappée par le fait que lors de la maladie et du décès de l'empereur les alliés occidentaux avaient interrompu les opérations aériennes sur le territoire de la Bulgarie. [144]

 

C'est dans le but de réfuter les affirmation non fondées s'étant répandue à l'étranger que Filov avait communiqué des informations sur l'évolution de la maladie de l'empereur devant des journalistes nationaux et étrangers le 1er septembre 1934. [145]

 

Le gouvernement veilla à ce que la mort de l'empereur ne sème pas le trouble au sein du pouvoir interne. La régence assuma le pouvoir au nom du prince-régent Simeon II Trnovski, mineur à l'époque car il était le deuxième enfant de Boris et était né le 16 juin 1937. Ce pouvoir fut nommé sur proposition de N. Musanov au Parlement national le 9 septembre 1943. La régence comprenait le Prince Cyril, B. Filov et le général N. Mihov tandis que Dobri Bozilov avait été placé à la tête du gouvernement. Entre temps, le ministère des Affaires étrangères avait libéré les détenus politiques et proclamé l'amnistie pour les insurgés qui auraient déposé les armes. [146]

 

La disparition de l'empereur le 28 août 1943 coïncida chronologiquement avec la décision du commandement allemand pour le Sud-ouest. Il était prévu qu'au moment de la chute attendue de l'Italie, l'armée bulgare s'empare du territoire du Monténégro, du Kosovo et d'une partie de la Grèce afin de soulager les forces allemandes.

 

Etant donné que le rapport original de Zidovec de septembre 1943 dans lequel il décrivait les événements intérieurs en Bulgarie n'a pas été conservé, il reste à s'appuyer sur son témoignage ultérieur selon lequel la mort de l'empereur avait accéléré les restructurations internes. Zidovec confirma que les Allemands avaient participé au choix des nouveaux dirigeants bulgares. Les nationalistes insistèrent pour prendre le pouvoir en leurs mains, mais, selon les dires de Zidovec, les Allemands avaient accepté les suggestions de l'ancienne équipe gouvernementale laissant entendre qu'un soudain virage bulgare vers la droite n'aurait fait que les exposer au soupçon que l'empereur avait été liquidé sous leurs injonctions. Zidovec considère qu'après la mort de l'empereur la situation en Bulgarie n'était restée la même qu'en apparence, "car en réalité les éléments anglophiles prédominèrent du tout au tout pour lesquels le seul souci consistait à ce qu'ils sauvent la Bulgarie, ou plutôt eux-mêmes, par des louvoiements supplémentaires et par l'engagement dans les eaux anglo-américaines". [147]

 

En novembre 1943, les forces aériennes britaniques entrèrent en action contre la Bulgarie afin de la détacher de l'Axe et de la contraindre à retirer ses forces de la Grèce et de la Yougoslavie. Comme on le sait, à l'époque des préparatifs de l'opération "Overlord" les commandants de l'état-major penchaient pour l'idée d'arracher les satellites de l'Allemagne de manière à ce que soient soustraites d'importantes forces allemandes du Nord-ouest de l'Europe. Cependant, au début du mois de juin 1944, les forces alliées (5.000 navires de guerre et 13.000 avions) se lancèrent avec succès en Normandie pour abattre le "Mur de l'Atlantique" d'Hitler. Les satellites allemands furent abandonnés à leurs destins. [148]

 

***

 

[140] "Hrvatski narod" datant du 31 août 1943.

[141] Miroslav Navratil, l'ambassadeur croate à Bucarest confirma que l'ambassadeur allemand Killinger avait déclaré que soi disant "les Allemands avaient réussi à constituer un poison grâce auquel les agents anglais avaient empoisonné l'empereur". HDA, MUP SRH 012.0.60 V. Zidovec, Supplément à l'index systématique et réel, feuille XX, Note datant du 14 mars 1948.

[142] Indépendamment de ce que la mort de l'empereur aurait été liée à des causes naturelles ou à la violence, certains historiens bulgares ont conclu que la sortie de scène de Boris III avait été "son dernier grand acte politique". On entend par là qu'en raison de son décès, le départ de l'armée bulgare sur le front de l'Est était devenu sans objet. E. Statelova et S. Grncarov, Istorija na nova Blgarija, 624.

[143] S. Gruev, Korona o trni, 447-452.

[144] M. Stojilkovic, Bugarska okupatorska politika, 214.

[145] Filov a reconstitué avec précision les activités de l'empereur entre le 17 et 23 août. Le 17 août l'empereur était arrivé à Cankorija, éloigné de 70 kilomètres de Sofia. Le dix-huit, l'empereur fit une excursion à Mussala et le vingt il se promena dans les environs de Cankorija. Le soir même, il reçut S. Zagorov, l'ambassadeur bulgare à Berlin. Le 21 août, l'empereur avait été à la chasse et le 22 il reçut le ministre de la guerre avec qui il passa deux heures d'entretiens. Il rentra à Sofia le 23 août. C'est dans la soirée qu'il éprouva les premiers signes de malaise. Les médecins bulgares furent immédiatement appelés tandis que les médecins de Berlin et Vienne arrivèrent à Sofia le 24 août. Après une certaine amélioration allait survenir une double pneumonie, une apoplexie cérébrale et finalement la mort le 28 août. Filov confirma l'absence de voeux testamentaires de la part de l'empereur quant à la régence. "Hrvatski narod" datant du 2 septembre 1943. L'ambassadeur italien exposa la même chronologie des événements. DDI IX/10, doc., 730 pages 892-893, Rapport de Francesco Mamelli au ministre des Affaires étrangères Raffael Guarigli, le 30 octobre 1943.

[146] L'ambassade yougoslave à Ankara confirma en septembre 1943 que le ministre P. Gabrovski était le principal candidat des Allemands pour devenir le président du gouvernement tandis que Filov aurait assumé la fonction de régent. Cependant, le gouvernement estima que le choix de Gabrovski serait mal accepté par les Anglo-américains. M. Stojilkovic, Bugarska okupatorska politika, 214.

[147] HDA, RSUP SRH 012.0.60. V. Zidovec, Ajout à l'index systématique et réel, Note du 13 mars 1948.

[148] Après le décès de l'empereur, le Foreign Office obtint de moins en moins d'informations en provenance de Sofia. E. Barker, La politique britannique dans les Balkans, 202 et 206.

 

La suite

 


 

Rédigé par brunorosar

Publié dans #Bulgarie-Croatie

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