Correspondance militaire de Napoléon Ier

Publié le 17 Novembre 2009

Correspondance militaire de Napoléon Ier


 

I. Considérations sur l'utilité des places fortes - Choix de Zara comme grande place en Dalmatie.


Au général Dejean.


Saint-Cloud, 3 septembre 1806.


Monsieur Dejean, vous trouverez ci-joint le rapport du directeur du génie en Dalmatie. Je lui ai fait demander comment l'Autriche pourrait attaquer la Dalmatie : il n'a point compris cette question. J'entends que, pour y répondre, il me fasse lever la frontière de la Dalmatie et de l'Autriche ; qu'il indique les points où l'armée autrichienne pourrait réunir ses magasins en Croatie, la direction qu'elle donnerait à ses colonnes pour pénétrer en Dalmatie, enfin les positions défensives de la Dalmatie du côté de l'Autriche.

 

Je lui avais fait connaître que mon intention était que Zara fût considérée comme le centre de la défensive de toute la Dalmatie : il n'a pas compris davantage ce que j'entendais par cette expression. Il a cru que je voulais que toutes les troupes fussent réunies à Zara, et que je pensais que le point de défense devait partir de cette place, soit que la Dalmatie fût attaquée par l'Autriche, soit qu'elle le fût par la frontière de Turquie, ou par un débarquement.

 

Le directeur du génie, au lieu de tâcher de répondre aux questions qu'on lui posait, s'est jeté dans des plans de campagne évidemment ridicules, puisqu'ils dépendent de la force et de la constitution de l'armée ennemie, et de la force et de la constitution de l'armée française.

 

On a demandé dans le siècle dernier si les fortifications étaient de quelque utilité. Il est des souverains qui les ont jugées inutiles et qui en conséquence ont démantelé leurs places. Quant à moi, je renverserais la question et je demanderais s'il est possible de combiner la guerre sans les places fortes, et je déclare que non. Sans des places de dépôt on ne peut pas établir de bons plans de campagne, et sans des places que j'appelle de campagne, c'est à dire à l'abri des hussards et des partis, on ne peut pas faire la guerre offensive. Aussi plusieurs généraux qui, dans leur sagesse, ne voulaient pas de places fortes, finissaient-ils par conclure qu'on ne peut pas faire de guerre d'invasion. Mais combien faut-il de places fortes ? C'est ici qu'on se convaincra qu'il en est des places fortes comme du placement des troupes.

 

Prétendez-vous défendre toute une frontière par un cordon ? Vous êtes faible partout, car enfin tout ce qui est humain est limité : artillerie, argent, bons officiers, bons généraux, tout cela n'est pas infini, et, si vous êtes obligé de vous disséminer partout, vous n'êtes fort nulle part. Mais renfermons-nous dans la question.

 

La Dalmatie peut-être attaquée par mer, et ses ports et havres ont besoin de batteries qui les défendent. Il est plusieurs îles qui sont importantes. Il existe plusieurs forts auprès des grandes villes et des principaux ports qui peuvent aussi avoir de l'importance ; mais cette importance est secondaire. La Dalmatie du côté de terre, a une frontière étendue avec l'Autriche et la Turquie. Il existe plusieurs forts qui défendent les défilés ou passages des montagnes. Ces forts peuvent être utiles ; mais leur utilité est secondaire.

 

Les uns et les autres sont des forts de campagne, quoique de fortification permanente, et je les appelle ainsi, parce qu'ils peuvent servir pour mettre à l'abri un détachement, un bataillon, soit contre un débarquement, soit contre une invasion, pendant que l'armée française serait supérieure en Dalmatie, quoique cependant elle se trouvât momentanément inférieure au point du débarquement ou de l'invasion. Avant que la grande supériorité de l'ennemi soit bien constatée, ces forts, soit du côté de mer, soit du côté de terre, si l'on attaque la Dalmatie par mer ou par terre, ces forts, dis-je, peuvent servir et aider aux mouvements et aux manoeuvres défensives de l'armée française ; mais ils tombent du moment que la supériorité de l'ennemi sur l'armée française est bien constatée.

 

Il n'est aucun moyen d'empêcher une armée double ou triple en forces de l'armée que j'aurais en Dalmatie d'opérer son débarquement sur un point quelconque de quatre-vingts lieues de côtes, et d'obtenir bientôt un avantage décidé sur mon armée, si sa constitution est proportionnée à son nombre.

 

Il m'est également impossible d'empêcher une armée plus forte, qui déboucherait par la frontière d'Autriche ou de Turquie, d'obtenir des avantages sur mon armée en Dalmatie.

 

Mais faut-il que 6, 8 ou 12,000 hommes, que les événements de la politique générale peuvent me porter en Dalmatie, soient détruits et sans ressources après quelques combats ? Faut-il que mes munitions, mes hôpitaux et mes magasins disséminés à l'aventure, tombent et deviennent la proie de l'ennemi, du moment qu'il aurait acquis la supériorité en campagne sur mon armée de Dalmatie ? Non ; c'est ce qu'il m'importe de prévoir et d'éviter. Je ne puis le faire que par l'établissement d'une grande place, d'une place de dépôt qui soit comme le réduit de toute la défense de Dalmatie, qui contienne tous mes hôpitaux, mes magasins, mes établissements, où toutes mes troupes de Dalmatie viennent se reformer, se rallier, soit pour s'y renfermer, soit pour reprendre la campagnes, si telles sont la nature des événements et la force de l'armée ennemie. Cette place, je l'appelle place centrale. Tant qu'elle existe, mes troupes peuvent avoir perdu des combats, mais n'ont essuyé que les pertes ordinaires de la guerre ; tant qu'elle existe, elles peuvent elles-mêmes, après avoir pris haleine et du repos, ressaisir la victoire, ou du moins m'offrir ces deux avantages, d'occuper un nombre triple d'elles au siège de cette place, et de me donner trois ou quatre mois de temps pour arriver à leur secours ; car, tant que la place n'est pas prise, le sort de la province n'est pas décidé, et l'immense matériel attaché à la défense d'une aussi grande province n'est pas perdu.

 

Ainsi, tous les forts situés aux débouchés des montagnes sont destinés à la protection des différentes îles et ports ne sont que d'une utilité secondaire. Mon intention est qu'on ne travaille, pour améliorer ou augmenter leurs fortifications, que lorsque je connaîtrai les détails de chacun d'eux, et que lorsque les travaux de la place principale seront arrivés à un degré suffisant de force, et que mes munitions de guerre, mes hôpitaux, mes magasins d'habillement et de bouche seront centralisés dans ma place de dépôt, qui doit fournir ce qui est nécessaire à la défense des localités, mais de manière qu'en peu de temps tout puisse se reployer sur cette place, afin d'éprouver, en cas d'invasion de la part de l'ennemi, la moindre perte possible.

 

Une place centrale une fois existante, tous les plans de campagne de mes généraux doivent y être relatifs. Une armée supérieure a-t-elle débarqué dans un point quelconque, le soin des généraux doit être de diriger toutes les opérations de manière que leur retraite sur la place centrale soit toujours assurée.

 

Une armée attaque-t-elle la frontière turque ou autrichienne, le même soin doit diriger toutes les opérations des généraux français. Ne pouvant défendre la province toute entière, ils doivent voir la province dans la place centrale.

 

Tous les magasins de l'armée y seront concentrés, tous les moyens de défense s'y trouveront prodigués, et un but constant se trouvera donné aux opérations des généraux. Tout devient simple, facile, déterminé, rien n'est vague quand on établit de longue main et par autorité supérieure le point central d'un pays. On sent combien de sécurité et de simplicité donne l'existence de ce point central et combien de contentement elle met dans l'esprit des individus qui composent l'armée. L'intérêt de sa conservation agit assez sur chacun pour que l'on sente que l'on est là en l'air : d'un côté, la mer couverte de vaisseaux ennemis ; de l'autre les montagnes de la Bosnie peuplée de barbares ; d'un troisième côté, les montagnes âpres de la Croatie, presque impraticables dans une retraite, lorsque surtout il faut considérer ce pays comme pays ennemi. Trop d'inquiétude anime l'armée si, dans cette position, elle n'a pas pour tous les événements un plan simple et tracé ; ce plan simple et tracé, ce sont les remparts de Zara. Quand, après plusieurs mois de campagne, on a toujours pour pis aller de s'enfermer dans une ville forte et abondamment approvisionnée, on a plus que la sûreté, la sûreté de l'honneur.

 

Il est facile pour peu que l'on médite sur ce qui vient d'être dit et que l'on jette un coup d'oeil sur la Dalmatie de voir que Zara doit être la place centrale ou de dépôt. Elle doit l'être, car, lorsque mes ennemis m'attaqueront en Dalmatie, je serai ami ou ennemi de l'Autriche. Si je suis ami de l'Autriche, la supériorité des ennemis ne sera que de bien courte durée ; j'ai trop de moyens d'y faire passer des secours. Cette hypothèse est trop favorable, et, dans ce cas, il convient que la place de dépôt soit le plus près possible de l'Isonzo, par où je puis faire passer mes secours : or la place de la Dalmatie la plus proche de l'Isonzo est Zara.

 

Si au contraire, je suis en guerre avec l'Autriche, ce qui est l'hypothèse la plus probable, la place de Zara m'offre beaucoup d'avantages. Les 10 ou 12,000 hommes que j'ai en Dalmatie, se réunissent à Zara et peuvent se combiner avec mon armée de l'Isonzo, et par là entrent dans le système de la guerre ; les Autrichiens ne peuvent pas les négliger ; ils seront donc obligés de placer un même nombre d'hommes pour les tenir en échec, et par ce moyen la Dalmatie ne m'affaiblit pas. En occupant par mes armées beaucoup de terrain, je ne dois point perdre de vue de les faire concourir toutes à un plan de campagne général, de n'éprouver aucun affaiblissement, ou que le moindre possible, de cette grande extension que les intérêts du commerce et de la politique générale exigent sous d'autres points de vue.

Si les Autrichiens croient utile d'attaquer la Dalmatie, et l'attaquent en effet avec des forces très-supérieures, mon armée assiégée dans Zara est plus près d'être secourue par mon armée d'Italie.

 

Enfin Zara doit être la place de dépôt, parce qu'elle l'est ; que c'est le seul point de Dalmatie qui soit régulièrement et fortement fortifié, ou du moins telle est l'idée que j'en ai prise d'après les renseignements et les plans que m'a envoyés le génie ; que je ne ferais point en six ans, et avec bien des millions, ce qui déjà existe à Zara ; que la province est accoutumée à y voir sa capitale, et qu'il me faudrait de véritables raisons pour y forcer les habitudes.

 

Mais s'ensuit-il dont que toutes mes troupes doivent être réunies autour de Zara ? Certainement non. Mes troupes doivent occuper les positions que mes généraux jugeront les plus convenables pour un camp destiné à se porter sur tous les points de la frontière. Mais l'emplacement que doivent occuper ces troupes dépend de leur nombre, des circonstances, qui changent tous les mois. On ne peut attacher aucune importance à prévoir ce qu'il convient de faire là-dessus.

 

Conclusion. - Le quartier général permanent sera à Zara. Tous les magasins d'artillerie, du génie, de l'habillement, des vivres, des hôpitaux, seront à Zara ; on garnira tous les autres points autant qu'il le faudra pour la défense journalière, mais Zara sera le centre de la défense de la Dalmatie. C'est donc actuellement au génie à me présenter des projets pour rendre Zara digne du rôle qu'elle est appelée à jouer un jour.

 

On m'a envoyé des plans, mais aucune description du local environnant, et tant que le génie ne donnera pas la description exacte à 1,200 toises autour de la place, je ne comprendrai rien et ne pourrai pas avoir d'idées nettes.

 

Zara, étant destinée à réunir tout le matériel et le personnel de la division française en Dalmatie, n'aura jamais moins de 3,000 hommes et peut-être jusqu'à 8,000 hommes de garnison.

 

On peut prendre beaucoup de maisons nationales puisqu'il y a beaucoup de couvents ; et d'ailleurs, quand la garnison est plus forte qu'elle ne devrait être, des baraques et des blindages logent les troupes.

 

Il parait que Zara a 600 toises depuis l'ouvrage à corne jusqu'à la mer, et seulement 200 toises de largeur. Une garnison ainsi renfermée ferait une triste défense ; elle n'aurait point de sortie, et, après que l'ennemi aurait construit quelques redoutes, elle se trouverait bloquée par des forces très inférieures. Ce n'est point s'étendre trop que de donner 5 à 600 toises de largeur à la place de Zara ; l'ennemi se trouverait alors éloigné de la ville et du port, serait obligé de donner à sa ligne de circonvallation près de 3,000 toises, et serait, sur chacun de ces points, attaquable par la garnison tout entière.

 

La fortification actuelle de Zara doit être considérée comme la forteresse ; 1,500 hommes seraient aujourd'hui plus que suffisants pour la défendre pendant bien du temps. Il faut établir des fortifications pour une garnison de 4, 5, 6 et 8,000 hommes, qui puisse avoir tous les avantages, harceler l'ennemi et l'obliger à venir l'assiéger avec des forces doubles.

 

La manière d'exécuter les nouveaux ouvrages est d'une importance majeure ; les sommes qu'on peut avoir à y dépenser sont limitées, ainsi que le temps nécessaire pour les achever. Ces ouvrages doivent être conduits de manière qu'à la fin de chaque année ils obtiennent tous un nouveau dégré de force. La Dalmatie n'est, après tout, qu'un avant-poste. Quelque importance qu'elle ait, de sa conservation ne dépend point la sûreté de l'Empire. On ne peut donc y dépenser que des sommes très-bornées, lorsque l'on voit surtout que sur nos côtes nos établisssements maritimes ne sont pas suffisamment garantis, et que sur une partie de nos frontières notre système de fortification est à créer ; 3 ou 4,000 francs paraissent donc être le maximum de ce que l'on peut, chaque année, dépenser à Zara. Il faut donc que tous les ouvrages qu'on établira remplissent deux conditions :

 

1re condition : - Eloigner l'ennemi du corps de place et lui donner des sorties de tous côtés, de manière que l'ennemi ne puisse pas bloquer aisément la place ;

 

2ème condition : Que l'ennemi soit obligé de prendre les nouveaux ouvrages avant d'entrer dans la place : or il ne peut y entrer que par l'ouvrage à corne ; donc il faut que ces ouvrages contribuent à la défense de l'ouvrage à corne.

 

C'est donc de ce côté qu'il faut porter tous les ouvrages d'une fortification permanente qui ajouteront à la défense réelle. Des camps retranchés, des ouvrages de campagne qu'on peut tracer et préparer, étendront la défense de Zara bien au-delà du port, toutes les fois que la garnison sera nombreuse et composée de la réunion de toute l'armée. Mais comme l'argent et tous les moyens destinés à la fortification de Zara sont bornés, il est convenable que tous les ouvrages de fortification permanente soient employés à augmenter la résistance du seul côté par lequel on peut entrer dans la place. Alors de nouveaux ouvrages d'une bonne fortification, placés de manière à flanquer et protéger le côté de l'ouvrage à corne, exigeront autant de sièges différents. L'ennemi sera obligé de les prendre les uns après les autres. Ainsi se succéderont les mois qui donneront aux secours le temps d'arriver.

 

Je n'approuve donc point le projet de fortification qu'a tracé le directeur du génie, en qui je reconnais d'ailleurs de l'habileté et la connaissance de son métier. Je n'adopte point ls projets proposés, par la seule raison que l'ennemi peut les négliger et s'emparer de la place sans les attaquer. Dès lors ils ne constituent pas la défense directe ; ils peuvent exiger une armée assiégeante plus forte et rendre la défense plus meurtrière et plus brillante, mais ils ne retarderont pas réellement la reddition de la place.

 

L'ouvrage qu'on propose de construire au lazaret a l'avantage de défendre l'ouvrage à corne. Mais ce fort est bien faible ; situé à 400 toises de la place ; il n'en reçoit aucun secours ; il n'est donc pas d'un bon système de mettre ainsi un ouvrage en l'air; à une aussi grande distance des points de protection ; il est donc évident qu'il faut le soutenir avec un autre ouvrage placé à la tête de la vallée Vicinoni.

 

L'ouvrage à corne du projet est l'ouvrage le plus considérable que le directeur propose ; il donne des sorties, mais ne contribue en rien à la défense de l'ouvrage à corne de la place. Ne serait-il pas préférable de placer ce nouvel ouvrage à corne de manière qu'il eût des flancs sur celui de la place, et que l'ennemi fût obligé de s'emparer du nouvel ouvrage avant de cheminer sur la place ?

 

S'il n'y avait point de raison de porter sa défense jusqu'au lazaret, le nouvel ouvrage qu'on aurait construit à la tête de Valle Vicinoni pourrait remplir tous les buts et ne faire cependant qu'un seul fort. On appuierait sa droite par un ouvrage à 200 toises de la place, afin que cet ouvrage tirât des feux plus immédiats du fort à la tête des valli et de l'enceinte de la place.

 

Il aurait encore l'avantage d'appuyer la droite d'un camp retranché qui aurait sa gauche à Valle di Conte. Si la garnison était de plus de 3 ou 4,000 hommes, on pourrait en peu de jours faire des lignes qui deviendraient bientôt assez respectables pour que l'ennemi ne s'amusât point à les attaquer, et fît un meilleur emploi de ses munitions en marchand droit sur la porte qui doit le faire entrer dans la place. Tout ce qu'on pourrait désirer, c'est que ce camp retranché eût un réduit en fortification permanente, tant pour ne pas risquer de perdre son monde si jamais le camp était forcé, que pour avoir des sorties directement sur la rive droite du port. Ces réduits sont très-faciles à faire, puisque la rive droite n'est qu'à cent toises de l'enceinte. Mais l'intérêt de ces ouvrages est secondaire. Ils ne peuvent être faits que lorsque les autres ouvrages qui remplissent la seconde condition, d'obliger l'ennemi à les attaquer avant de prendre la place, auront déjà un degré de force convenable ; or on sait qu'avec 300,000 francs par an on ne pourra atteindre ce but qu'après quelques années.

 

Ainsi donc il faut : 1° un projet de fortification permanente pour la tête de Valle Vicinoni, qui flanque l'ouvrage à corne et appuie la droite du camp retranché et puisse donner refuge à une portion de troupes si jamais ce camp était forcé ; 2° un tracé de camp retranché ; 3° deux ou trois petites lunettes de fortification permanente sur la rive droite du port, qui servent de réduit au camp retranché.

 

Je désire que le premier inspecteur me fasse un tracé, sur le plan, qui réalise ces idées, indépendamment des détails de localités qui me sont inconnus, l'explique à un officier du génie intelligent qui se rende sur les lieux et fasse, avec le directeur, le véritable tracé. Cet officier restera quinze à vingt jours à Zara, de manière à voir tout par lui-même à une lieue de distance et dans tous les sens, et à pouvoir répondre à toutes les demandes qu'on lui fera. Il rapportera avant la fin d'octobre un plan de la place, des profils et des sondes tout autour et dans le port, le nivellement du terrain à 1,200 toises, du moins pour les points où cela peut être nécessaire, une description du local qui fasse connaître le terrain.

 

Le nouveau tracé me sera soumis pour qu'on puisse y travailler sur-le-champ. Comme les fonds sont déjà faits, le directeur peut dès à présent commencer les approvisionnements. Mais il ne fera travailler qu'après avoir reçu les instructions définitives du premier inspecteur. Je présume que l'hiver n'empêchera pas de travailler, et que l'on pourra commencer dès le mois de novembre.

 

Je désire que vous donniez des instructions conformes à cette dépèche au général Marmont, commandant mon armée en Dalmatie, que vous en donniez également au génie et à l'artillerie et aux vivres, pour que les idées soient fixes et convenues. Quelque chose qui arrive, le général français en Dalmatie a bien manoeuvré, lorsque, attaqué par des forces supérieures, il est parvenu à réunir tous son personnel et son matériel à Zara, et qu'il a trouvé des munitions de guerre et de bouche pour y rester un an ; car 6 ou 8,000 hommes de garnison doivent, contre 12 ou 18,000 hommes, dans une si bonne position et avec les fortifications déjà existantes, faire une longue et vigoureuse défense.

 

 

 

II. Instructions pour le général Marmont commandant en Dalmatie.


Au Prince Eugène.


Saint-Cloud, 28 juillet 1806.


Mon Fils, j'ai reçu votre dépêche de Venise, en date du 21. Le commandant de la marine a montré en général peu d'activité. Il n'avait pas besoin de grand ordre pour expédier à Raguse quelques chaloupes avec des munitions, du moment qu'on a su que cette place était bloquée. Je vous écrit, par ma dernière lettre, que mon intention n'était pas qu'on évacuât Raguse. Ecrivez au général Marmont qu'il en fasse fortifier les hauteurs. Qu'il organise son gouvernement et laisse son commerce libre ; c'est dans ce sens que j'entends reconnaître son indépendance. Qu'il fasse arborer à Stagno mes drapeaux italiens ; c'est un point qui dépend aujourd'hui de la Dalmatie. Donnez-lui ordre de faire construire sur les tours de Raguse les batteries nécessaires, et de faire construire au port de Santa-Croce une redoute formée en maçonnerie. Il faut également construire dans l'île de Lacroma un fort ou redoute ; les Anglais peuvent s'y présenter, il faut être dans le cas de les y recevoir.

 

Le général Marmont fera les dispositions qu'il jugera nécessaires ; mais recommandez-lui bien de laisser les 3es et 4es bataillons des 5è et 23è à Raguse, car il est inutile de traîner loin de la France des corps sans soldats. Aussitôt qu'il pourra, il renverra en Italie les cadres des 3es et 4es bataillons. Si cela pouvait se faire avant l'arrivée des Anglais, ce serait un grand bien. Ecrivez au général Marmont qu'il doit faire occuper les bouches de Cattaro par le général Lauriston, le général Delzons et deux autres généraux de brigade, par les troupes italiennes que j'ai envoyées et par les troupes françaises, de manière qu'il y ait aux bouches de Cattaro 6 ou 7,000 hommes sous les armes. Ne réunissez à Cattaro que le moins possible des 5è et 23è ; mais placez-y les 8è et 18è d'infanterie légère et le 11è de ligne, ce qui formera 6 bataillons qui doivent faire 5,000 hommes ; et, pour compléter 6,000 hommes, ajoutez-y le 60è.

Laissez les bataillons des 5è et 23è à Stagno et à Raguse, d'où ils pourront se porter sur Cattaro au premier événement.

 

Après que les grandes chaleurs seront passées et que le général Marmont aura rassemblé tous ses moyens et organisé ses forces, avec 12,000 hommes il tombera sur les Monténégrins pour leur rendre les barbaries qu'ils ont faites ; il tâchera de prendre l'évêque, et, en attendant, il dissimulera autant qu'il pourra. Tant que ces brigands n'auront pas reçu une bonne leçon, ils seront toujours prêts à se déclarer contre nous. Le général Marmont peut employer le général Molitor, le général Guillet et les autres généraux à ces opérations. Il peut laisser pour la garde de la Dalmatie le 81è.

 

Ainsi le général Marmont a sous ses ordres, en troupes italiennes, un bataillon de la Garde, un bataillon brescian et un autre bataillon ; ce qui, avec les cannoniers italiens, ne fait pas loin de 2,400 hommes. Il a, en troupes françaises les 5è, 23è et 79è, qui sont à Raguse et qui forment, à ce qu'il paraît, 4,500 hommes, le 81è, et les hôpitaux et détachements de ces régiments, qui doivent former un bon nombre de troupes. Il a enfin les 8è et 18è d'infanterie légère et le 11è et 60è de ligne.

 

Je pense que le général Marmont, après avoir bien vu Zara, doit établir son quartier général à Spalatro, faire occuper la presqu'île de Sabioncello, et se mettre en possession de tous les forts des bouches de Cattaro. Il doit dissimuler avec l'évêque de Monténégro, et, vers le 19 ou le 20 septembre, lorsque la saison aura fraîchi, qu'il aura bien pris ses précautions et endormi ses ennemis, il réunira 12 ou 15,000 hommes propres à la guerre des montagnes, avec quelques pièces sur affûts de traîneaux, et écrasera les Monténégrins. L'article du traité relatif à Raguse dit que j'en reconnais l'indépendance, mais non que je dois l'évacuer.

 

Des quatre généraux de division qu'a le général Marmont, il placera Lauriston à Cattaro et Molitor à Raguse, et leur formera à chacun une belle division. Il tiendra une réserve à Stagno, fera travailler aux retranchements de la presqu'île et au fort qui doit défendre Santa-Croce, ainsi qu'à la fortification du vieux Raguse et aux redoutes sur les hauteurs de Raguse. Il est fâcheux que le général Molitor ait emmené des troupes ; il aurait mieux fait de laisser tous ses efforts à Lauriston.

 

Faites-moi connaître où se trouvent les 3es bataillons du 11è et du 60è, les 3es bataillons du 8è et 18è légers, et si les ordres que j'ai donnés pour la formation des réserves en Dalmatie sont déjà exécutés.

Vous ne m'avez pas envoyé l'état de situation depuis le 1er juillet. Demandez au général Lauriston des plans des ports et du pays de Raguse. J'ai accordé 400,000 francs pour l'approvisionnement de cette place. Faites-y passer tout cela en munitions de bouche.

 

Ecrivez au sénat de Raguse qu'il fasse faire l'évaluation des pertes de la ville, mon intention étant de lui accorder un secours.

 

                                                                                                                                                                      Napoléon

 

Comm. par S.A.I. Mme la duchesse de Leuchtenberg.

 

Rédigé par brunorosar

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