Vatroslav Mimica

Publié le 8 Novembre 2009

Vatroslav Mimica

 

Il est avec Dušan Vukotić l'un des pionniers les plus prestigieux de la célèbre école de Zagreb qui apporta au cours des années 50 un sang neuf à l'animation mondiale. Il s'essaye d'abord dans le long métrage de fiction : Dans la tempête (U oluji, 1952), le Jubilé de monsieur Ikle (Jubilej gospodina Ikla, 1955) ; puis il signe quelques scénarios pour des oeuvres d'animation de Duan Vukoti, Nikola Kostelac, Ivo Vrbani et réalise lui-même avec l'aide d'Aleksandar Marks et Vladimir Jutria puis plus tard de Zlatko Bourek de nombreuses petites bandes à la fois tragiques et mélancoliques, attentives à la situation inconfortable de l'homme dans la société : l'Epouvantail (Strašilo, 1957) ; Un homme seul (Samac, 1958) ; Happy End (id.) ; Chez le photographe (Kod fotografa, 1959) ; L'inspecteur rentre chez lui (Inspektor se vraća kući, id.) ; l'Oeuf (Jaje, id.) ; Petite Chronique (Mala Kronika, 1962) ; Typhus (Tifusari, 1963).

 

Plus metteur en scène que dessinateur, moins percutant, moins insolent que certains de ses confrères mais particulièrement doué pour la composition dramatique et l'arrière-plan intellectuel et philosophique, Mimica s'éloigne peu à peu de l'animation pour aborder avec des résultats inégaux la fiction, s'intéressant notamment à des sujets épiques et spectaculaires. Parmi ses longs métrages les plus remarqués, citons : Prométhée de l'île de Viševica (Prometej sa otoka Viševice, 1964) ; Lundi ou mardi (Ponedjeljak ili utorak, 1966) ; l'Evénement (Događaj, 1969) ; Anno Domini 1573 (Seljačka buna 1573, 1975) ; la Vengeance du faucon (Banovi Strahinja, 1981). 

 

Source : cinema.mcm.net

 

 

 

 

 

Interview :

 

Que pensez-vous des films sélectionnés par le Festival d’Amiens pour la rétrospective « Voyage à travers le cinéma croate » ?
Je n’ai pas pu voir toute la sélection, mais je suis persuadé qu’elle est pertinente. Bien sûr, chacun a ses propres critères, mais je pense qu’en Croatie, nous n’avons rien à nous reprocher au niveau de la production cinématographique. Même si nos films ne se retrouvent pas assez souvent dans les festivals de catégorie A...

 

Pourquoi pensez-vous cela ?
Nos films ne trouvent peut-être pas assez de soutien, notamment en termes logistiques ou de réseaux d’influence. Derrière les films croates, il n’y pas de grand capital ou de mécanismes qui permettraient de faire avancer les choses. Même nos films de qualité ne s’imposent pas toujours dans les grands festivals, alors que l’on y projette des films qui ne sont pas forcément meilleurs que les nôtres. Tout simplement, les films croates n’entrent pas facilement dans certains cercles ou certains cadres.

 

 

Il y a cinquante ans, cela ne semblait pas poser problème – en tout cas, pas pour vous puisque votre court métrage d’animation L’Épouvantail (Strašilo, 1957) a été sélectionné à Cannes, et Le Solitaire (Samac, 1958) a reçu le Grand Prix à Venise.
Une bonne partie du problème a toujours été lié à notre mentalité. Les spectateurs croates ont mal reçu nos films. Ils les ont critiqués sans raison. Déjà à l’époque, quand j’ai réalisé le court métrage d’animation Chronique du quotidien (Mala kronika, 1962), j’avais été accusé d’introduire des thèmes étrangers et non pas croates. D’ailleurs, nous avons projeté notre première sélection de films animés à Cannes sans l’accord des autorités. Aujourd’hui, le Festival d’Amiens apprécie cette approche de « contrebandiers » qui a permis d’ajouter de nouvelles idées aux vieux clichés conventionnels. Mais il n’est pas question de politique dans tout cela. Je parle de la dimension spirituelle au sens large, d’une nouvelle vision du monde et de la création d’un nouveau langage cinématographique. La fin des années cinquante et les années soixante ont été marquées par la création d’une nouvelle syntaxe. Tout ce qui nous paraît normal aujourd’hui, tout ce qui est utilisé dans chaque publicité, était une nouveauté à l’époque : le montage alterné, l’association libre, le montage des attractions, etc. Les spectateurs ont très vite accepté ce langage car ils le préféraient à l’ancien.


 

Ce changement de langage dont vous parlez est particulièrement évident si l’on compare vos films d’animation comme L’Épouvantail (Strašilo), qui nous rappelle inévitablement les films Disney, et Le Solitaire (Samac) qui était déjà un film très moderne. Pour ce changement de langage, avez-vous suivi vos propres instincts ou étiez-vous influencé par des modèles ?
Je me suis tourné vers le film d’animation par curiosité. J’ai d’abord été le scénariste de Vladimir Tadej. J’ai collaboré avec lui au théâtre Kerempuh, où j’écrivais des parodies. J’aimais la plaisanterie. Au tout début, tout cela n’avait pas l’air très subversif. L’un des principaux responsables des changements apportés par l’Ecole de Zagreb fut Nikola Kostelac. Un homme cultivé, originaire de Zagreb, qui a recueilli avec beaucoup de soin diverses revues recensant les tendances émergentes du graphisme et de l’illustration. A partir de ce moment-là, nous avons compris que Disney n’était pas tout, et que nous pouvions nous exprimer différemment. Nous avons donc quitté les figurines en caoutchouc basées sur des cercles, et découvert le triangle, les formes carrées et les autres possibilités du graphisme moderne : une nouvelle méthode d’animation s’est imposée et un nouvel esprit est né. Le monde de la petite bourgeoisie au goût raffiné ne nous convenait pas, et, même si cela peut paraître pathétique aujourd’hui, nous étions la génération qui a grandi et qui a été intellectuellement formée dans l’ombre d’Hiroshima et de l’Holocauste. Pour nous, les meurtres collectifs représentaient la perte de l’individualité, y-compris dans la mort. C’est un fardeau moral très lourd, et c’est pour cette raison que nous avons ressenti la nécessité de parler différemment. Le monde n’était plus si beau et nous ne voyions pas la vie en rose.

Il est important de souligner que nous n’étions pas les seuls. Stephen Bosustow, le premier dissident de Disney, s’est fait connaître avec la création de l’entreprise américaine UPA, mais aussi avec ses nouvelles formes de dessin, même si à l’époque il était toujours proche du style et de l’esprit de Disney. En Pologne, Borowczyk et Lenica ont eux aussi recherché de nouvelles formes, de nouveaux dessins et de nouvelles animations. Le changement était dans l’air du temps, et forcément, certaines de ces idées se sont concrétisées. Zagreb Film a été crée par l’ « Association des professionnels du cinéma », avec pour objectif de casser le monopole de Jadran Film. Mais l’espace de travail était encore petit. Quand l’équipe du film d’animation s’est formée, nous avons bénéficié d’un grand espace, une ancienne halle de Jadran Film, dans la rue Vlaska. Nous nous y réunissions, les équipes se multipliaient, les collaborations naissaient. Nous étions ouverts aux autres, il n’y avait pas de problèmes d’ego. La communication et les échanges étaient constants, et de manière très spontanée un nouveau moyen d’expression s’est crée. Une belle image me vient à l’esprit : celle d’un ruisseau. Le ruisseau coule, le gravier se forme.


 

Comment le travail d’animation a-t-il influencé vos œuvres de fiction, notamment votre célèbre trilogie moderniste ?
Il ne faut pas oublier que j’ai fait trois longs métrages avant de faire des films d’animation. Ensuite, je suis revenu vers le film de fiction. En tant que vrai enfant de son temps, je ne pouvais pas me séparer du cinéma et de son histoire. C’était ça mon problème. Je n’ai jamais suivi de cours de cinéma, mais je me formais en regardant les classiques, en passant des nuits à rembobiner et analyser les films des autres. J’ai appris la dramaturgie de David Lean, la mise en scène de William Wyler. Mes premiers films je les ai faits en partant de là. Déjà pour mon deuxième film, la comédie Jubilej gospodina Ikla (Ikl’s Anniversary, 1955), j’ai été plus audacieux. J’ai été encouragé par Oktavijan Miletic, un cher ami, un vétéran du cinéma qui aimait les blagues, même s’il était considéré par beaucoup comme trop strict et sérieux. Ce film a eu beaucoup de succès, et quand il a été à l’affiche du cinéma Lika à Zagreb, la file des spectateurs remontait toute la rue. Mais très vite, il a été retiré de la programmation de la salle parce que, soi disant, il parlait de la petite bourgeoisie. C’était le climat de l’époque.

Au moment où je me suis de nouveau intéressé au film de fiction, le monde entier a connu un changement. Nous avions pris ses distances avec le triomphalisme de la guerre, que je n’ai jamais pleinement partagé, mais qui était un phénomène propre à ma génération et donc forcément à une partie de moi- même. Dans Prométhée de l’île de Viševica (Prometej s otoka Viševice, 1964), je me suis particulièrement intéressé à la dramaturgie de l’histoire. Le combat de deux mondes en un seul homme. L’utilisation de la photographie à gros grain pour les scènes historiques, mélangées lors du montage, avec la photographie à grain plus fin des scènes du présent, ont donné une vraie particularité à ce film. Cette nouvelle forme nous a amené à un nouveau montage, discontinu, et au premier abord confus, mais qui, au fil du temps, s’unifie à l’histoire. On me demande souvent pourquoi avec L’Evénement (Dogadjaj, 1969), j’ai abandonné ce langage cinématographique.

 

 

Je voulais justement vous poser la question (rires). Vous avez abandonné ce langage au moment où tout le monde l’adoptait !
Le film a d’ailleurs été choisi par le Festival d’Amiens pour mon hommage...


 

Parmi vos films, c’est aussi l’un de mes préférés...
Il ne me déplaît pas non plus. Récemment, il est passé à la télévision. Je l’ai regardé jusqu’au bout avec mon épouse, et le lendemain je n’avais pas mauvaise conscience. Je me sentais normal. Le film était en ordre. C’est un de mes films préférés, après Kaja, je vais te tuer ! (Kaja, ubit cu te !, 1967). Pavle Vuisic était un grand comédien, j’adorais travailler avec lui. En effet, L’Evénement réunit des formes anciennes et nouvelles. Il est moderne dans l’âme. Au début j’étais prisonnier de l’histoire, je courrais derrière l’histoire. Cela se ressent toujours dans les films car tout devient prévisibe. La prévisibilité est la chose la plus dangereuse pour une histoire. Dans L’Evénement, j’ai traité l’histoire comme un élément parmi les autres, j’étais au-dessus de l’histoire, je la maîtrisais.


 

L’Evénement , le film par lequel vous vous êtes éloigné des années 60, est en quelque sorte l’exemple de ce qui est devenu une tendance ces dernières années à l’échelle internationale – un « thriller horrifique », un film de genre dans lequel la nature joue un rôle important. C’était intentionnel ?
J’ai passé une bonne partie de ma jeunesse parmi les Partisans, mais j’étais un enfant de la ville et l’expérience de la nature pour moi, ressemblait à un miracle. J’étais enchanté par les scènes irréelles qu’elle procure. Quand vous marchez toute la nuit, et arrivez le matin dans une forêt de chênes recouverte par les traces du brouillard à l’aube, ce sont des choses incroyables. J’ai vraiment senti la terre, et ce contact je l’ai concrétisé pour la première fois dans le film L’Evénement. On retrouve ce même sentiment dans Anno Domini 1573 (Seljacka buna 1573, 1975), ou dans La Vengeance du faucon (Banovic Strahinja, 1981). Mes films des années 60 ont un côté urbain, mais on sent déjà la terre dans Sulejman Velicanstveni (Suleiman the Conqueror), que j’ai fait pour les Italiens en 1961. Les débuts étaient probablement là.


 

Le combat dans L’Evénement, tout comme la bataille dans La Vengeance du faucon, rappelle inévitablement Kurosawa. Le cinéma japonais a-t-il eu une influence sur votre travail ?
Oui. Quand Kurosawa a présenté Rashomon (1950) à Venise, le film a fait l’effet d’une bombe atomique, spirituellement. Rashomon fut un choc pour toute ma génération, une invention énorme. A partir de ce moment, personne n’a pu regarder Kurosawa sans une profonde d’admiration.


 

Kurosawa a piqué l’une de vos scènes... ?
Mais non, il n’a rien piqué... Quand Anno Domini 1573 (Seljacka buna 1573, 1975) traversait une phase difficile, phase par laquelle sont passées toutes mes oeuvres, le film est arrivé jusqu’au FEST à Belgrade où une jeune Italienne l’a vu et l’a acheté pour la distribution italienne. Quelques mois plus tôt, elle avait acheté Dersu Ouzala de Kurosawa, qui fut un grand succès en Italie. En présentant la version italienne d’Anno Domini 1573 à Milan, j’ai rencontré Kurosawa. Il a regardé le film, et il m’a dit qu’il avait beaucoup aimé ma façon de filmer la bataille. Après la première de Kagemusha, l’ombre du guérrier (1980), les critiques venaient me voir en me disant : « Bravo, Mimica : Kurosawa, a vu quelque chose en Anno Domini 1573 ! »


 

Anno Domini 1573 ou encore La Vengeance du faucon sont devenus vos plus grands succès. Vous les avez réalisés dans ce but ?
Chacun de mes films dérive du précédent, mais je n’ai jamais travaillé de façon à m’épargner pour le suivant. Je m’investissais complétement dans chaque projet. Une fois un film terminé, je ressentais toujours un vide difficile à supporter. C’est pour cela que j’enchaînais souvent sur un autre film. Avec le temps, quand j’arrivais vers la fin d’un projet, je préparais déjà l’esquisse du scénario pour le suivant. Ainsi est né Anno Domini 1573, un projet auquel j’étais très attaché émotivement, car jeune j’ai été partisan dans la brigade de Zagorje. Le plus grand problème fut la reconstitution historique. Mais grâce aux compétences de mes collaborateurs, nous avons pu faire un film historique où les gens ne marchent pas les jambes écartées, et n’agitent pas leurs mains comme s’ils étaient sur la scène d’un opéra. Il n’est pas facile de retranscrire la réalité.

La Vengeance du faucon est pour moi la continuité de cette histoire. Avant ce film, j’ai travaillé sur Legenda o junaku, un autre projet composé d’un scénario de cinq épisodes inspirés de contes populaires, et influencés par les films de samouraïs de Kurosawa. Je ne l’ai jamais tourné. Son potentiel n’a jamais été reconnu, ni par les producteurs ni par les distributeurs, et pourtant j’avais pu réunir les moyens nécessaires pour débuter le projet. Parmi ces cinq épisodes, l’une des histoires était sur Banovic Strahinja. Un été, par coïncidence, Saša Petrovic m’aborde avec le scénario de La Vengeance du faucon, alors que j’étais sur le point de terminer Posljednji podvig diverzanta Oblaka (The Last Mission of Demolitions Man Cloud, 1978). Il était déçu que l’on ne le laisse pas réaliser le projet, même si je crois aussi qu’il en était effrayé. J’ai accepté la réalisation et j’ai eu le droit de retoucher le scénario et d’y apporter ma sensibilité. Ensuite, un producteur allemand est apparu et m’a amené les comédiens étrangers.


 

On parle de vos « blockbusters », mais votre fils Sergio en a réalisé plusieurs à Hollywood, en tant qu’assistant de Steven Spielberg. Vivez-vous le rêve hollywoodien à travers votre fils ou aviez-vous l’ambition de partir vers le mythe de l’Amérique pour y construire une carrière ?
Mon fils est parti en Amérique par amour pour le cinéma, et parce qu’il ne voulait pas être le fils de son père. Il disait qu’il voulait aller dans la capitale mondiale du cinéma, et nous lui avons payé un billet d’avion. En Croatie, il a collaboré avec Jadran Film sur de nombreuses coproductions. Cette expérience lui fut très utile, mais les portes se sont véritablement ouvertes quand il a rencontré Branko Lustig. Par la suite il a travaillé sur huit ou neuf productions de Spielberg. Il a été assistant réalisateur, une fonction beaucoup plus importante dans la machinerie cinématographique hollywoodienne que chez nous en Croatie. Sergio est clairement meilleur réalisateur que moi. Et je le pense sérieusement, ce n’est pas le père aimant qui parle. En ce qui concerne mes ambitions, je n’ai jamais rêvé d’Amérique. Quand j’ai réalisé Sulejman Velicanstveni (Suleiman the Conqueror, 1961) pour les Italiens, ils m’ont proposé de nouveaux contrats avec des productions étrangères. J’ai réfléchi toute la nuit, je n’ai pas réussi à dormir, mais le lendemain j’ai refusé. Pour moi, accepter signifiait entrer dans une convention cinématographique et ne plus jamais en sortir. Je suis retourné sur mon propre territoire. Après La Vengeance du faucon, j’ai eu l’occasion d’aller aux Etats-Unis pour travailler avec Roger Corman, connu pour son désir de découvrir de nouveaux talents. Cependant, en raison de la situation dans notre pays, ce film ne s’est jamais réalisé.


 

Qu’est-ce qui s’est passé après La Vengeance du faucon ? Pourquoi depuis 1981 vous n’avez plus rien tourné ?

J’aime répondre par une boutade en disant que j’ai fait 12 longs métrages, mais que je n’en voulais pas un 13ème.


 

Vous auriez pu en tourner deux au même temps, ainsi vous seriez directement arrivé au 14ème, sans passer par le 13ème...
(Rires) Une fois le rideau tombé, je me suis senti très bien. Je n’ai plus ressenti le besoin de refaire des films. Hédoniste de nature, je profite de la vie avec ma femme, je ne manque de rien, je mène une vie paisible et bien remplie. Je n’ai pas ressenti le besoin de reprendre mon travail de réalisateur. Il s’est probablement passé la même chose que pour le film d’animation : je n’ai pas arrêté de faire de l’animation parce que je voulais passer à la fiction, mais parce que j’en avais fait le tour. Ainsi de la fiction : je n’avais plus la même soif.


 

Entretien réalisé par Velimir Grgic pour Tportal en septembre 2012. (Traduction : Marina Porobic)


 

Source : http://www.filmfestamiens.org/?-Vatroslav-Mimica-&lang=fr

 

 

Rédigé par brunorosar

Publié dans #Animation, BD et caricaturistes

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