Elvira Kohn

Publié le 19 Novembre 2009

Elvira Kohn


 

Des photographies de nuit et d'intérieurs sans flash ! C'est ce que vous permet l'appareil ERMANOX, petit, simple à manipuler et discret. Exposition courte et instantanée. Par cette publicité datant de 1925 était présenté un nouveau type d'appareil photographique dont l'objectif avec un rapport F:2 permettait une extraordinaire luminosité dès lors où il laissait passer la lumière. Grâce à ces caractéristiques il était possible de photographier sans flash, ce qui permettait des clichés "instantanés". En 1930 apparut sur le marché un nouvel appareil - le Leica - qui pouvait charger un rouleau de film sur lequel on pouvait prendre trente-six vues. Ces innovations ouvrirent la voie à la profession des photoreporters modernes. En 1936, lorsque le magazine LIFE fut lancé et lorsque Robert Capa fit ses fameuses photographies sur la guerre civile en Espagne, la majorité des professionnels utilisaient un appareil Leica.

 

C'est justement un tel appareil que Miho Ercegovic avait offert à sa photoreporter Elvira Kohn lorsqu'elle fut déportée à Kupari avec d'autres juifs de Dubrovnik. Monsieur Ercegovic était à la fois éditeur et libraire ainsi que le propriétaire de Foto Jadran, où étaient employés de nombreux photojournalistes parmi lesquels figurait Elvira Kohn depuis l'année 1932.

 

Elvira Kohn était née à Rijeka mais elle avait déménagé pour Vinkovci un an après la mort de son père. C'est là qu'elle avait terminé l'école et appris le métier de photographe. A cette époque, il existait déjà une riche tradition photographique qui remontait à la seconde moitié du 19ème siècle, lorsque les premiers ateliers photographiques avaient été ouverts. Dès les tout premiers débuts y avaient été employées des femmes photographes. A Zagreb, dès l'année 1857, les jumelles Barbara et Terezija Lentsch avaient offert des services de daguerréotypie et de photographie mais elles avaient aussi recouru aux méthodes tout juste inventées du négatif sur plaque de verre (ambrotypie) et sur toile (panotypie). Au tournant du siècle, Amalia Mosinger Weiss (la mère de Franjo Mosinger) avait dirigé un studio avec son mari dans la Rue Ilica n°8, tandis que Sofija Hering en avait fait autant dans la Rue Gajeva. Durant l'entre-deux-guerres c'est Antonija Kulcar et son studio Foto Tonka qui se distingua comme la plus fameuse chroniqueuse de la vie sociale (ses photographies ont été publiées dans le magazine Svijet). Outre d'avoir enregistré les événements mondains, elle fut l'une des premières à s'être essayée à photographier des nus.

 

A la différence de tante Tonka, dont on se souvient surtout pour ses photos studios et ses portraits, Elvira Kohn était davantage portée sur le documentaire et elle avait travaillé et amélioré sa technique pendant dix ans comme photoreporter jusqu'à ce qu'elle ne soit déportée.

 

C'est clandestinement qu'elle avait réussi à introduire son Leika dans le camp sur Rab, où elle avait été transférée depuis Kupari en 1943, et à y faire des clichés historiques. Après la chute de l'Italie et la libération du camp, elle était passée en zone libre où elle avait travaillé à la section de propagande du Conseil antifasciste de la libération nationale de la Croatie (ZAVNOH), ainsi que comme première photoreporter de guerre pour le journal Vjesnik. Sont restées fameuses ses photos d'enfants et de réfugiés à Topusko, de blessés à Petrova Gora, de la 3ème session du ZAVNOH, du rassemblement sur la Place du ban Jelačić après que Zagreb eut été libérée ainsi qu'une quantité d'autres réalisées durant la guerre. Sur ses photos elle accorde une attention appuyée aux nombreux détails sans pour autant affecter l'intégrité de l'ensemble, en créant de la sorte de riches associations et un éventail d'interprétations.

 

A partir de 1945, elle met un terme à la profession de photoreporter. Dès lors, elle vivra relativement retirée et dirigera jusqu'à sa retraite le département photographique au Quartier de l'Armée populaire yougoslave à Zagreb. Ses photographies seront publiées dans de nombreux livres, revues et catalogues mais il ne lui sera donné de voir une exposition rétrospective qu'à l'âge de 85 ans, en 1997. Elle est décédée à Zagreb en 2003, dans sa quatre-vingt-dixième année. Elvira Kohn fut l'une des premières photoreporters croates, et à ce jour l'une des meilleures.

 

Source : Barbara Blasin & Igor Marković, Ženski vodić kroz Zagreb (Guide féminin au travers de Zagreb), Meandar, Zagreb, 2006, p. 205-211.

 

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Pays : Croatie

Ville : Zagreb

Interviewer : Lea Siljak

Date de l'interview : mai 2003

 

Elvira Kohn est une toute petite femme pétulante, âgée de 89 ans, qui se souvient avec vivacité des détails de ses jeunes jours. Elle se rémémore et raconte les récits avec passion et humour. Elvira est très modeste et effacée dans ce qu'elle fait. Autrefois photographe professionnelle et photoreporter active, Elvira est aujourd'hui à la retraite et vit seule dans son paisible appartement au centre de Zagreb. Il y a de nombreux accessoires juifs dans son appartement auquel elle tient avec fierté. Même si son appartement est petit et modeste, il procure un sentiment de chaleur.


J'ignore d'où provenaient mes arrière-grands-parents paternels. Selon mon nom de famille - un nom allemand - je suppose qu'ils venaient probablement d'Allemagne et s'étaient installés dans ce qui est aujourd'hui la Croatie.

 

Je n'en sais également guère plus sur mes grands-parents paternels. Ils s'étaient beaucoup déplacés autour des villes dans la Slavonie orientale et avaient fini par s'installer et vivre dans la petite ville de Golinci, tout près d'Osijek. 

 

Mon arrière-grand-père, Ignatz Kohn, né en 1859, tenait un magasin ; il vendait des provisions, du textile et des habits dans son magasin à Golinci. Mon arrière-grand-mère, Berta Kohn, née Deutsch, venue au monde en 1865, était une femme au foyer. Ils sont morts jeunes à l'âge de 56 et 51 ans respectivement, et je ne me souviens pas d'eux. J'étais encore une petite enfant lorsqu'ils sont décédés.

 

Toute la famille Kohn, la branche paternelle de ma famille, vivait dans l'Est de la Slavonie : à Osijek, Petrijevci, Donji Miholjac, Belisce et les villes aux alentours. La famille Kohn était une large famille : mon père avait deux frères et trois soeurs. Les deux frères, Sandor Kohn et Emil Kohn, avaient quitté Golinci pour vivre dans la ville plus grande de Podravski Podgajci. A Podravski Podgajci, Emil, le plus âgé des frères de mon père, possédait une épicerie, une boucherie et une auberge. La boucherie n'était pas un magasin casher ; c'était un magasin ordinaire qui vendait de la viande non-casher. Il était un homme aisé et prospère, mais pas très riche. Même si j'ignore beaucoup sur le côté paternel de ma famille, je sais qu'ils n'étaient pas religieux. Ils n'observaient pas la Cacherout, mais ils jeûnaient pendant le Yom Kippour et célébraient le Rosh Hashanah. C'était tout. Quand j'étais très jeune, j'avais l'habitude de leur rendre visite pendant les vacances scolaires. Je me rappelle que je passais toujours un bon moment avec la famille de mon père, même si je ne me rappelle plus de grand chose. Sandor ne s'est jamais marié, mais Emil avait une famille ; lui et sa femme avaient adopté une fille de Zagreb, mais je ne me souviens pas de son nom.

 

La plus âgée des soeurs de mon père, Malvina Kohn, est décédée avant la Seconde Guerre mondiale. La deuxième soeur Olga Cvjeticanin, née Kohn, avait épousé un non-Juif, un Serbe orthodoxe oriental appelé Jovan Cvjeticanin et ils avaient vécu à Belgrade. Personne dans la famille n'était contre le fait qu'Olga eût épousé un non-Juif. Il n'y avait jamais eu aucune dispute. Tout le monde dans la famille aimait beaucoup Jovan. La troisième soeur, Elza Fischer, née Kohn, vivait à Donji Miholjac. Elza était mariée à Ignatz Fischer de Brcko ; ils n'avaient pas d'enfant.

 

Les deux frères, Sandor et Emil, la famille d'Emil ainsi qu'Elza et son mari furent amenés à Auschwitz et assassinés. Olga a survécu à Belgrade. Parce qu'elle avait épousé un non-Juif, elle s'était convertie à sa religion et était devenue une Orthodoxe orientale. Personne dans la famille ne s'y était opposé. Le père de Jovan était un prêtre orthodoxe oriental et c'est lui qui avait baptisé Olga. Je me rappelle que quelqu'un m'avait une fois raconté l'anecdote suivante : le père de Jovan alors qu'il baptisait Olga lui avait dit : "Même si tu acceptes maintenant la foi d'un autre homme, n'oublie jamais qui et ce que tu es réellement". Olga a survécu parce qu'elle s'était convertie. Elle est morte à Belgrade autour de 1990. Elle n'avait pas d'enfant.

 

Mon père, Bernard Kohn, était né en 1887 à Koska, tout près de Nasice. C'était un vendeur et il avait rencontré ma mère à Vinkovci. Pour une brève période, mes parents ont vécu à Vienne, en Autriche, où mon frère Aleksandar est né en 1912. Je pense qu'ils avaient vécu à Vienne étant donné le genre de travail de mon père. C'était un vendeur et un manager dans une firme qui s'occupait de produire des textiles. De Vienne, ils déménagèrent pour Rijeka, à nouveau à cause de son travail, où je suis née en 1914, juste quand la Seconde Guerre mondiale a débuté. Durant la guerre, mon père avait été un soldat austro-hongrois [dans l'armée KuK] [1] et il fut emprisonné par les Serbes à Nis en 1915. A l'endroit où il avait été capturé, il y avait beaucoup de patients atteints du typhus et mon père fut également infecté par le typhus. Il est mort en 1915 à Nis et c'est là qu'il est enterré. Je n'avais qu'un an lorsque mon père est décédé et je ne l'ai pratiquement pas connu. Tout ce que je sais sur mon père provient des histoires que ma mère m'avait racontées et de quelques photos que je possède encore.

 

Après que mon père fut décédé en 1915, mon grand-père maternel, Leopold Klein, vint à Rijeka pour amener ma maman, mon frère Aleksandar et moi-même dans une maison de Vinkovci. Je me souviens beaucoup mieux de mes grands-parents maternels que ceux paternels parce que ma maman, mon frère et moi avions vécu dans leur maison à Vinkovci, et c'est avec eux que j'ai passé ma jeunesse.

 

Mon grand-père était né à Ruma en 1872. J'ignore comment sa famille était parvenue à Ruma. Mon grand-père avait un frère, Matijas Klein, qui vivait à Vukovar, et une soeur dont je ne me souviens pas du nom. Je me rappelle seulement qu'elle était mariée à un homme appelé Soper et qu'elle vivait avec lui à Vienne. Ils avaient un fils, Alojz Soper, mais je ne sais rien d'autre sur eux. Ma grand-mère, Rozalija Klein, née Weiss, était née à Velika Kopanica en 1877, et la famille Weiss avait vécu à Slavonski Brod et les villes environnantes. J'ignore comment mes grands-parents s'étaient rencontrés, mais après s'être mariés ils avaient fini par venir vivre à Vinkovci, et c'est là qu'ils sont restés jusqu'à ce qu'ils furent amenés à Stara Gradiska [2] en 1942.

 

Mes grands-parents maternels avaient cinq enfants : ma mère, ses deux soeurs et deux frères. Les deux frères, Samuel et Dragutin Klein, furent amenés à Jasenovac [3] en 1942 et assassinés. Le plus âgé, Samuel, avait deux fils : Mirko et Vlado. Vlado est mort d'une maladie à Vinkovci avant la guerre, et Mirko a été assassiné à Jasenovac alors qu'il avait quinze ans. L'autre frère, Dragutin, avait épousé une Catholique et ils eurent un fils. Même si Mirko provenait d'un mariage mixte et que l'on disait que les enfants de mariage mixte seraient épargnés, il fut pourtant amené à Jasenovac en 1942 et assassiné.

 

Une des deux soeurs de ma mère, Adela Klein, quitta sa ville natale de Vinkovci en 1929 et s'en alla vivre au Brésil. Un de ses amis d'enfance était parti pour le Brésil avant elle, il avait contacté Adela de là-bas et avait suggéré qu'elle vienne aussi. Là, Adela épousa un Juif allemand appelé Erich Stiel et elle a eu une fille avec lui, Estera. Parce qu'elle vivait au Brésil, Adela n'a jamais fait l'expérience directe des tragédies de la guerre. Adela est venue me rendre visite à Zagreb deux fois après la guerre, et une fois elle est venue avec Estera. Je suis restée en contact avec Adela sur un plan régulier et nous avons toujours été en bons termes jusqu'à sa mort en 1983. Sa fille Estera est encore vivante et elle vit à Sao Paolo, au Brésil. Estera a deux enfants mais elle est séparée.

 

L'autre soeur, Tereza Klein, épousa un Juif appelé Marko Ruzic ; Marko a été assassiné à Jasenovac en 1942. Ils avaient eu deux filles : Zlata et Zdenka. Zlata avait déménagé pour Dubrovnik avant que la guerre ne commence et elle avait travaillé comme coiffeuse. Durant la guerre, elle fut amenée au camp de Feramonti en Italie mais elle a survécu. 

 

Après la guerre, Zlata s'en est allée vivre en Israël où elle est restée jusqu'à sa mort il y a cinq ans. Zdenka avait épousé un Juif qui a été assassiné à Jasenovac. Elle avait été amenée avec mes grand-parents et sa mère Tereza à Stara Gradiska en 1942. Zdenka était enceinte quand ils sont arrivés dans le camp. Lorsque les Oustachis [4] virent qu'elle était enceinte, ils la tuèrent, ouvrirent son utérus, en sortirent l'enfant et mirent des pierres à l'intérieur. Je ne sais pas qui m'a raconté cela mais malheureusement il y a toujours quelqu'un pour rester en vie et raconter la vérité.

 

Mon grand-père Leopold possédait un magasin à Vinkovci. C'était une épicerie où vous pouviez obtenir du sucre, de la farine, du pain, du lait et d'autres produits alimentaires. Ce n'était pas un bien grand magasin, mais il possédait une variété de produits alimentaires et des articles ménagers y étaient également vendus. Mon grand-père avait achevé une sorte d'école professionnelle ; c'était obligatoire de terminer ce type d'école afin d'obtenir un permis pour ouvrir une épicerie. Mon grand-père travaillait lui-même dans le magasin et il y avait un employé. Le magasin était ouvert le samedi mais mon grand-père ne travaillait pas le samedi étant donné qu'il se rendait toujours à la synagogue à ce moment-là. C'était toujours l'autre travailleur, un non-Juif, qui travaillait dans le magasin le samedi.

 

Mon grand-père était un grand farceur, et je pense avoir hérité cela de lui. Il était toujours de bonne humeur, toujours souriant et heureux, juste comme je le suis. Il était très intéressé par les étoiles et l'astronomie, et était très curieux sur la façon dont évoluaient les étoiles et le soleil. Je me rappelle qu'il possédait ce livre, très vieux et déjà jauni, écrit par un certain prophète à propos de ce qui adviendrait. C'était une sorte de livre prophétique, pas juif à ce qu'il me semble, mais il n'en était pas moins préoccupé par ce qui y était écrit. Je ne me rappelle pas de ce qui était écrit dans ce livre, mais je me rappelle que mon grand-père était très concerné par l'astronomie qui l'intéressait énormément.

 

Grand-mère Rozalija avait achevé l'école primaire obligatoire et elle était capable de lire et d'écrire, mais c'était une femme au foyer. A cette époque, il était habituel pour une femme d'être une ménagère et de ne pas travailler. Ma grand-mère était une femme qui travaillait dur, une ménagère prévoyante et attentionnée, une mère et une grand-mère, et une excellente cuisinière. C'était une femme douce et gentille.

 

Ma mère Gizela Kohn, née Klein, était née à Vinkovci en 1892. C'était une femme merveilleuse. Elle était toujours souriante, même si elle avait eu une vie difficile, et tout le monde l'aimait pour son sourire. Ma mère était une femme grande, mince, à la peau foncée, aux cheveux bruns, et belle. Même si elle était une ménagère, elle avait travaillé dans un petit magasin tout près de la gare de Vinkovci, où elle vendait des journaux, des confisseries et des choses du genre. Mais elle n'y a pas travaillé longtemps. Elle aidait principalement ma grand-mère à la maison et prenait soin de mon frère et moi. Ma mère avait perdu son mari alors qu'elle était encore une jeune femme avec deux enfants. Elle fut une mère merveilleuse pour nous, attentionnée et d'un grand soutien, toujours compréhensive et aimante. Après que son mari, mon père, eut disparu, ma mère dut affronter une autre tragégie dans sa vie. En plus de perdre son mari, elle a également perdu son fils.

 

Mon frère aîné Aleksandar avait terminé l'académie du commerce à Osijek. La soeur de mon père Olga Cvjeticanin, mariée et installée à Belgrade, n'avait pas d'enfants. Elle et son mari aimaient beaucoup mon frère et ils l'avaient invité à venir pour vivre à Belgrade. Ils l'aidèrent à trouver un travail comme comptable dans une compagnie anglaise à Belgrade appelée Konac. Après le premier mois d'essai, mon frère avait été accepté pour travailler dans la compagnie à temps plein, car ils étaient satisfaits de son travail. Il avait touché son premier salaire et avait envoyé 100 dinars à ma mère. Peu de temps après cela, mon frère a subi un accident et il est décédé. Un jeune garçon, roulant à bicyclette, a heurté mon frère et l'a renversé. Mon frère est tombé, il a cogné la bordure avec sa tête et il est décédé. Ce fut en 1937. Cela représenta un choc terrible pour toute la famille. Il a été enterrré à Belgrade dans un cimetière juif. Même si ce fut une tragédie, je sais où se trouve sa tombe aujourd'hui ; eut-il vécu un peu plus longtemps, les Allemands l'auraient tué et je n'en saurais rien.

 

A Vinkovci nous avions d'abord vécu dans une maison à proximité de la gare dans la Rue Kolodvorska. Lorsque la Première Guerre mondiale fut achevée, je n'avais que quatre ans. Etant donné que Vinkovci possédait une grande gare, beaucoup de trains passaient à travers la ville et les soldats rentraient chez eux. La guerre était finie et les soldats tiraient en l'air : ils célébraient la victoire. Je me rappelle m'être tenue à la fenêtre avec ma mère et avoir regardé les soldats. Alors que nous regardions, je lui avais dit, "Ils ne vont rien nous faire parce qu'ils savent que nous n'avons pas de papa." Je m'en rappelle si bien, je m'entends même en train de dire cela ! Je n'avais que quatre ans mais je vivais toujours avec la conscience de ne pas avoir de père.

 

Après la rue Kolodvorska, nous avons déménagé dans la Rue Daniciceva, puis dans la Rue du Roi Alexandre, c'était son nom alors, j'ignore comment elle s'appelle aujourd'hui. Nous vivions dans une maison à un étage avec trois chambres, une cuisine et une salle de bain. Nous n'avions pas l'eau courante mais nous avions un puits dans notre arrière-cour. Vinkovci possédait une usine à gaz, aussi avions-nous le gaz et pas d'électricité. Nous l'utilisions pour le chauffage et la cuisson. A part quelques arbres fruitiers et un petit jardin, nous n'avions rien d'autre dans l'arrière-cour.

 

Mon grand-père voulait que nous parlions l'allemand dans la maison étant donné que c'était sa langue maternelle. Ma grand-mère parlait le croate avec nous et il était mécontent quand nous parlions le croate et ne parlions pas l'allemand. Cependant, nous parlions principalement le croate dans la maison. Pour les expression juives, nous utilisions la prononciation yiddish ; par exemple nous disions Shabos [Chabbat], barhes [Challah], matzos [Matzah].

 

Dans notre maison à Vinkovci où j'habitais avec mes grands-parents, mon frère et ma mère, la famille respectait la religion juive et les traditions. Nous n'étions pas très religieux, mais il y avait certains éléments de la religion juive et des traditions que nous respections. Il n'y avait pas de porc dans la maison ; c'était strictement interdit. Jamais nous n'avons eu de porc. Autrement, la viande que nous mangions n'était pas casher ; du moins je ne pense pas que c'était abattu selon les strictes règles casher. Ma grand-mère et ma mère cuisinaient le vendredi pour le samedi de sorte que nous ne cuisinions pas le samedi. Elles préparaient le Challah pour le vendredi soir et pour le samedi. Nous allumions des bougies le vendredi soir et avions un repas de fête, habituellement du poisson, de la soupe de poulet et du poulet. Nous avions du vin rouge. Le samedi, nous mangions toujours du cholent, qui était préparé la veille. Le gros de la nourriture était conservé dans le puits dans l'arrière-cour parce qu'autrement cela aurait mal tourné. Nous avions une jeune servante appelée Ivka, de Brcko, qui ne vivait pas avec nous, mais venait à l'occasion pour aider ma mère et ma grand-mère. Elle n'était pas juive de sorte qu'elle nous aidait principalement le vendredi et le samedi. Par exemple, le samedi elle allait au puits où était conservé le cholent, elle le rentrait et le réchauffait pour nous en vue du déjeuner.

 

Nous allumions également des bougies pendant Hanoucca. Pour la Pessa'h nous mangions des matzot, et je me rappelle que ma grand-mère faisait de délicieux gâteaux de matzot. Nous avions un repas du Séder. Bien sûr, nous célébrions toutes les fêtes comme le Rosh Hashanah, et nous avions toujours un beau déjeuner ou dîner. Nous jeûnions pendant le Yom Kippour. Cela tenait plus de la tradition que de la stricte religion dans ma famille. Comme on dit : les coutumes ont maintenu le Judaïsme, et non pas les prières.

 

Il y avait de nombreux jeunes hommes qui étaient à l'armée à Vinkovci étant donné qu'une base militaire y était installée. C'était une coutume que les familles juives invitent les soldats juifs pour un repas dans leur maison durant le Rosh Hashanah ou le Séder ou d'autres jours de fête. La communauté juive à Vinkovci envoyait une lettre à la base militaire en les informant qu'à une certaine date avait lieu une fête juive et en demandant gentiment pour une permission afin que les soldats juifs quittent la base ce jour-là. Il existait une liste de toutes les familles juives qui invitaient les soldats à se joindre à elles pour les jours de fête. Toutes les familles juives n'invitaient pas des soldats, seules celles qui le voulaient. Ma famille avait toujours des soldats invités pour le déjeuner ou le dîner pendant le Rosh Hashanah ou d'autres jours de fête.

 

Il existait une grande et belle synagogue à Vinkovci. Nous l'appelions le temple. Les femmes et les hommes s'asseyaient séparément : les hommes en bas et les femmes au balcon. En bas au milieu, il avait la bimah où se tenait le rabbin, et en face de la bimah il y avait un placard encastré et à l'intérieur se trouvaient les rouleaux de la Torah. La synagogue était pleine de gens. Les Juifs venaient prier le samedi et les jours de fête. Ma famille allait à la synagogue à chaque jour de fête. Nous allions plus souvent à la synagogue le samedi matin que le vendredi soir. Quand ils étaient dans la synagogue, mes grands-parents se couvraient la tête. Mon grand-père portait une petite calotte sur sa tête. Ma grand-mère possédait un foulard noir en dentelle qu'elle nouait juste sur sa tête. Autrement, ils ne se couvraient pas la tête, seulement durant l'office dans la synagogue.

 

A Vinkovci, il y avait un rabbin et un chantre. D'une certaine façon je ne me rappelle pas si bien du chantre. Le rabbin était appelé le Dr Frankfurter. Il arborait une grande barbe. J'ai entendu dire que lorsque les Allemands sont arrivés à Vinkovci, ils ont noué sa barbe et ont mis un grand ruban rouge dessus. Puis ils lui ont donné un balai et l'ont fait nettoyer les rues. Je ne suis pas sûre s'il existait un magasin casher à Vinkovci qui vendait de la nourriture casher ; je ne me rappelle pas. Mais il y avait un homme qui abattait la viande selon les règles cacheroutes. Il allait chez les gens chaque fois que quelqu'un avait besoin de lui et abattait les poulets et la volaille. Je ne pense pas qu'il y avait un mikveh à Vinkovci.

 

J'ai fréquenté l'école publique, l'école primaire et secondaire régulière à Vinkovci. Il n'existait pas d'école juive. Il y avait des élèves de toutes sortes de religions et de nationalités dans cette école et mes amis étaient pareillement juifs et non-juifs. Dans ma classe en particulier, il y avait 30 élèves, dont 13 étaient des Juifs, environ 10 des Orthodoxes orientaux vu qu'il y avait beaucoup de villages serbes autour de Vinkovci, et le reste était des Catholiques et peut-être quelques Evangéliques. Même s'il n'existait pas d'école juive, il y avait une instruction  religieuse juive, qui était obligatoire. Chaque samedi nous avions des cours de religion et nous recevions des notes ; cela faisait partie du curriculum de l'école. Nous avions un professeur de religion dont le nom était Pollak. Il nous enseignait l'hébreu, le Talmoud, la Torah, un peu d'histoire et de traditions juives. Le samedi nous ne devions pas fréquenter les classes dans l'école, mais nous devions aller à la synagogue. Nous devions également obtenir une affirmation écrite signée par le rabbin Frankfurter disant que nous avions été à l'office le samedi matin, et nous devions apporter cette affirmation à l'école. C'était comme une confirmation que nous avions été à la synagogue au lieu d'être en classe.

 

Il existait une communauté juive à Vinkovci et en général il y avait une vie juive riche et animée. Nous célébrions Hanoucca et Pourim ensemble et avions des soirées pour les jours fériés. Celles-ci se déroulaient au centre culturel à Vinkovci et non pas dans le bâtiment de la communauté. Je suppose qu'il n'y avait pas assez de place dans le bâtiment de la communauté pour de telles célébrations parce qu'un tas de gens venaient pour célébrer. Les Juifs étaient ceux qui organisaient et participaient aux célébrations, bien entendu. Nous donnions des spectacles pendant Hanoucca et Pourim. Il était coutumier de se déguiser et d'arborer un masque pour Pourim. Nous dansions, chantions des chansons juives et fréquentions d'autres Juifs, nos amis, et nous passions toujours un bon moment.

 

Parmi la communauté juive il y avait aussi un Club de la jeunesse juive et j'en étais membre. Nous avions l'habitude de nous rencontrer dans la bâtiment de la communauté et nous discutions, apprenions un peu d'hébreu et un peu d'histoire juive, échangions des connaissances et des idées, ou simplement passions un moment ensemble. Parfois nous recevions des visites de la jeunesse de la Communauté juive de Vukovar ou d'autres communautés juives, ou nous leur rendions visite. Nous échangions alors avec nos camarades juifs et parlions de la vie juive dans d'autres endroits. C'était toujours intéressant et j'appréciais de rencontrer des Juifs d'autres endroits. Nous avions beaucoup de lectures et de discussions sur les idées concernant la création d'un Etat juif. Je suppose que nous étions d'orientation sioniste et que nous cultivions l'idéologie sioniste. Il n'y avait pas de camp d'été, du moins selon mes souvenirs, mais nous organisions des visites entre les villes ainsi que des échanges.

 

A Vinkovci, j'ai terminé l'école primaire publique, quatre classes de l'école secondaire publique et après ça j'ai appris la photographie dans un magasin de photos privé appelé Seiler. Dans ce studio photographique, j'ai appris le métier et suis devenue une photographe qualifiée. J'étais très intéressée par la photographie et j'ai appris à énormément aimer cet art. Au début, bien entendu, je ne travaillais que dans le studio photographique mais avec le temps je suis devenue moins intéressée à prendre des photos statiques et à dire aux gens de se tourner à gauche, à droite, de sourire, etc. Par après j'ai appris la profession et j'ai gagné de l'expérience. Je voulais devenir une photoreporter. Je voulais travailler à l'extérieur du studio, prendre des photographies d'événements et de gens. De nombreux commerçants et photographes venaient au studio photographique Seiler où je travaillais, et une fois l'un d'entre eux m'a demandé si j'étais intéressée à travailler dans un studio photographique à Dubrovnik. Il avait déclaré qu'on avait besoin de quelqu'un avec mes qualifications et que je pourrais travailler comme photoreporter.

 

Je suis partie pour Dubrovnik en 1932. Au début j'ai vécu seule mais plus tard j'ai trouvé un appartement plus grand et je m'y suis installée, et ma mère est venue de Vinkovci pour vivre avec moi. A Dubrovnik ma mère ne travaillait pas. Elle n'était employée nulle part. Elle prenait soin de notre maison et de moi. A part pour mon travail, je n'avais à me soucier de rien parce que ma maman était là.

 

Je travaillais dans un magasin de photo appelé Jadran, qui était situé au coin de la Rue Zudioska où se trouvait la synagogue de Dubrovnik et où elle se trouve encore aujourd'hui. Les propriétaires n'étaient pas juifs. Le propriétaire avait pour nom Miho Ercegovic, et son fils s'appelait Velimir Ercegovic. A l'intérieur du magasin il y avait trois sections : une librairie, une papeterie et un studio photographique. Je travaillais dans le studio photographique. Mes tâches principales consistaient à prendre des photos de divers événements quotidiens qui avaient lieu à Dubrovnik et dans ses environs : des événements culturels, des manifestations politiques, des manifestations liées à l'Eglise, telles que la messe, le baptême ou d'autres manifestations liées à l'Eglise. Parfois les gens me demandaient de prendre des photos de leurs enfants aux fêtes d'anniversaire ou lorsqu'un enfant été né. J'aimais toujours prendre des photos d'enfant. Parfois je prenais des photos pour des journaux et les journalistes écrivaient une histoire en rapport avec la photo. Jamais je n'ai écrit pour les journaux, je ne faisais que prendre des photos.

 

Je me rappelle bien d'un événement à Dubrovnik : en avril 1942, le NDH avait été proclamé un Etat Indépendant de Croatie [5]. A cette occasion, une grande cérémonie et célébration avait eu lieu à Dubrovnik. Tous les officiels de haut rang du NDH étaient venus à Dubrovnik et ils avaient demandé que cette cérémonie soit photographiée. A part moi, il y avait deux autres hommes à Dubrovnik qui travaillaient comme photoreporters ; cependant, ce jour-là ils étaient déjà occupés à travailler ailleurs. A l'époque les Juifs étaient déjà obligés de porter un badge. Partout ailleurs en Croatie, les Juifs devaient porter une étoile jaune mais à Dubrovnik nous portions sur le côté droit de la poitrine un badge jaune pareil au cuivre sur lequel se trouvait la lettre noire 'Z' [Zidov=Juif]. Mon patron avait dit aux officiels que les autres photoreporters étaient occupés mais que la signorina [mademoiselle en italien] Elvira - c'est ainsi qu'ils avaient l'habitude de m'appeler à Dubrovnik - était disponible pour prendre des photos. "Si vous n'y voyez pas d'inconvénient. Vous savez, elle est juive", leur avait dit mon patron, et ils avaient répondu que cela ne les dérangeait pas du moment que toute la manifestation était photographiée.

 

La cérémonie principale avait eu lieu en face de l'église St-Blaise, et tous les officiels se tenaient devant les escaliers de l'église. Le professeur Kastelan et sa soeur étaient parmi les officiels ainsi que de nombreux autres fonctionnaires et Catholiques profondément religieux. La cérémonie avait début et j'avais commencé à prendre des photos. Je possédais alors un Leica. Je me tenais là et je prenais des photos avec mon Leica d'un côté et le badge de l'autre. Après un bref moment, j'ai remarqué que la soeur du professeur Kastelan lui murmurait quelque chose à l'oreille et ils m'ont regardée tous les deux. Ils m'ont regardée pendant un certain temps, et, tout en observant cela, j'avais commencé à reculer vers la foule. Je voulais que cela passe inaperçu, et je m'étais lentement déplacée et avais disparu dans la foule. Bientôt la soeur a descendu les escaliers, marché au travers de la foule, est venue droit sur moi et m'a demandé d'arrêter immédiatement de prendre des photos. A sa demande, j'ai arrêté et j'ai quitté la manifestation.

 

J'ai tour raconté à mon patron. Il a mis de côté les photos déjà prises et ne les a jamais publiées dans les journaux. Quelques jours plus tard, certains officiels du NDH sont venus au studio pour récupérer quelques-unes des photos que j'avais prises et pour demander pourquoi les photos ne se trouvaient pas dans les journaux. Velimir, le fils du propriétaire, leur a dit que c'était impossible. Il a expliqué que le tenancier avait détruit tous les films étant donné que la signorina Elvira avait reçu l'ordre d'arrêter de prendre des photos et qu'ils avaient cru qu'il était même interdit de développer les quelques photos que la signorina Elvira avait réussi à prendre. Les officiels du NDH étaient furieux, bien entendu, mais il n'y avait rien qu'ils puissent faire. Ces photos n'ont jamais été développées.

 

En général, j'ai un grand respect pour les citoyens de Dubrovnik dans la façon dont ils avaient traité les Juifs durant la guerre. Ils furent très corrects avec nous. Je n'ai jamais caché le fait que je sois juive. Il y avait une actrice croate bien connue de Dubrovnik dont le nom était Marija Kohn. Son père avait épousé une femme catholique et s'était converti au catholicisme mais il n'avait pas changé son nom. Pour cette raison, le nom Kohn était bien connu à Dubrovnik et quand quelqu'un entendait que mon nom était Kohn, on me considérait automatiquement aussi bien comme une Catholique. Je soulignais néanmoins toujours que j'étais juive.

 

Il y avait une communauté juive et une synagogue dans la Rue Zudioska. Je pense qu'il y avait une centaine de Juifs à Dubrovnik. Je n'avais pas tellement pris part à la vie de la communauté. J'assistais toujours à l'office et aux célébrations durant les principaux jours de fête mais c'était tout. C'était une communauté séfarade. Dubrovnik était une petite ville et tout le monde se mélangeait ; je ne ressentais pas le besoin de prendre part à la vie communautaire. Je me sentais juive, me déclarais juive, avais des amis juifs mais je ne ressentais pas le besoin d'en faire plus. Je travaillais le samedi de sorte que je n'allais pas à la synagogue mais parfois j'assistais à l'office le vendredi soir. Ma mère était davantage impliquée dans la vie communautaire parce qu'elle disposait de plus de temps libre. Elle était très amie avec d'autres femmes juives et souvent elles se rendaient visite les unes aux autres.

 

J'avais beaucoup d'amis à la fois juifs et non-juifs. C'était une petite ville et nous nous connaissions bien les uns les autres. J'ignore comment j'attirais les gens à moi, mais j'avais beaucoup d'amis et ils m'aimaient tous. Quand je suis arrivée à Dubrovnik ce fut durant janvier et février 1932, une saison lorsque viennent moins d'étrangers, et lorsque celui qui vient est remarqué. Ainsi avais-je été remarquée. J'avais rencontré un jeune homme charmant qui travaillait dans le studio photographique. Il m'avait introduit à quelques personnes, qui m'avaient alors introduite à quelques autres, et ainsi de suite. Ma bonne amie était Mara ; elle était de Dubrovnik et elle travaillait dans la librairie qui faisait partie du magasin où je travaillais. Elle n'était pas juive mais c'était une très bonne jeune femme. Bon nombre de gens étaient bons et très gentils avec moi.

 

Je n'avais pas ressenti beaucoup d'antisémitisme à Dubrovnik avant la guerre. Peut-être juste avant que ne débute la guerre, l'antisémitisme avait-il été ressenti plus individuellement que collectivement. Mon patron, Miho Ercegovic, avait un partenaire appelé Gesel. Ce M. Gesel avait dit à mon patron qu'il devait licencier toute personne juive. Il savait que j'étais juive. Aussi mon patron, qui était très bien disposé à mon égard, avait-il dû me licencier mais il ne le fit qu'officiellement de manière à ne pas attraper de problèmes. Il m'avait laissé travailler "non officiellement" pour lui et j'avais continué à faire mon travail et à prendre des photos et de la sorte j'avais pu gagner ma vie. C'était justement lorsque le NDH avait été proclamé un Etat et que les Oustachis étaient arrivés au pouvoir.

 

Nous fûmes forcés de porter un badge depuis que le NDH avait été proclamé en 1942. Il existait d'autres lois discriminatoires contre les Juifs ; en plus de porter le badge, il nous était interdit de travailler dans les services publics et étatiques, et nous étions privés de la liberté de circuler. Nous étions autorisés à aller à la plage ou au marché uniquement jusqu'à une certaine période de la journée ; un couvre-feu nous avait été imposé. A Dubrovnik, le pouvoir de l'Etat était aux mains des Croates, c'est à dire des Oustachis, et le pouvoir militaire aux mains des Italiens. Ce fut notre chance que là-bas les Italiens soient au pouvoir. Les Allemands, en collaboration avec les Oustachis, avaient essayé de nous amener dans leurs camps de concentration, mais les Italiens leur avaient bien fait comprendre qu'ils étaient au pouvoir à Dubrovnik et que c'était le droit italien de faire ce qu'ils voulaient avec nous. Et étant donné que le pouvoir militaire était plus important que le pouvoir de l'Etat, nous étions placés, d'une certaine façon, sous la protection des Italiens.

 

La Communauté juive avait informé tous les Juifs vivant à Dubrovnik, les Juifs qui par hasard s'étaient trouvés là ainsi que les Juifs qui étaient venus à Dubrovnik pour fuir ou pour se cacher, qu'un certain jour de novembre 1942 nous serions amenés et que nous pouvions prendre avec nous ce que nous estimions être nécessaire. J'étais avec ma mère. Nous fûmes emenées à bord d'un gros paquebot italien et de nombreuses personnes de Dubrovnik étaient venues nous voir partir. Parmi elles se trouvait mon patron Miho Ercegovic. Quand je l'ai vu, je l'ai approché et lui ai rendu son appareil photo. Et il a dit, "Non, tu le garde, et tout ce qui arrive sera capturé sur pellicule". Nous fûmes d'abord amenés à l'hôtel Vrek à Gruz, à quelques kilomètres de Dubrovnik. Là, nous sommes restés pour deux mois et au début janvier 1943 nous avons été emmenés à Kupari. Il y avait environ 1.200 Juifs.

 

Kupari est à environ douze kilomètres de Dubrovnik et là nous avons été internés dans un hôtel tchèque qui était situé en bord de mer. C'était un grand hôtel qui était délimité avec des fils barbelés. Nous étions seulement autorisés à nous promener à l'intérieur de la clôture en fer barbelé. Les soldats italiens étaient partout ; il y avait aussi des gardes italiens qui ne nous quittaient pas de vue un instant. Ils ne nous permettaient pas d'aller au-delà de la clôture ou au rivage parce qu'ils pensaient que quelqu'un pourrait s'éloigner à la nage. Ainsi nous devions rester à l'intérieur de l'hôtel ou juste se promener un peu autour. Nous recevions de la nourriture mais je préfèrerais ne pas m'en souvenir : c'était des légumes secs dans de l'huile ainsi qu'un morceau de pain. Nous avions alors à partager ce morceau de pain en trois parties, un pour le petit déjeuner, le second pour le déjeuner, et le troisième pour le dîner. Une de mes amies de Zagreb m'avait envoyé un colis avec de la nourriture ; nous étions autorisés à recevoir un colis par mois. Mais même la nourriture qu'elle m'avait envoyé devait être sèche de manière à pouvoir être conservée. En mai 1943, lorsque le camp d'internement sur Rab [6] eut été construit, nous fûmes transférés de Kupari sur l'île de Rab. Il n'y avait pas de détenus religieux ou pratiquant et personne n'observait aucunes traditions ou lois juives. Du moins je ne me rappelle pas que quelqu'un l'ait fait.

 

L'île de Rab était également sous le pouvoir italien. Il existait deux camps : un pour les Slovènes et l'autre pour les Juifs. Les Slovènes avaient été emprisonnés par les Italiens exactement comme nous. Les deux camps étaient strictement séparés et aucune communication ou contact entre les deux camps ne pouvait avoir lieu. Il y avait un homme, un Slovène, qui était un électricien et qui avait reçu l'ordre de réparer certaines pannes électriques ou chose du genre dans notre camp. Il était le seul du camp slovène avec qui nous avions un certain contact mais même cela était très rare et limité étant donné que les Italiens le gardaient à l'oeil pendant qu'il accomplissait sa besogne.

 

Le camp juif, appelé Kampor, était divisé en deux camps : le camp de Dubrovnik, où je me trouvais avec ma mère et d'autres Juifs de Dubrovnik, et le camp de Kraljevica. Les Juifs qui avaient réussi à s'enfuir de Zagreb, de Karlovac et des environs étaient arrivés à Crikvenica et ils avaient été internés par les Italiens à Kraljevica, juste à quelques kilomètres de Crikvenica. Passé une période, ils furent transférés de Kraljevica à Rab et internés dans le camp à côté du notre. Les deux camps, le camp de Dubrovnik et de Kraljevica, étaient séparés et chacun était entouré d'une barrière de fil barbelé. Nous étions autorisés à rencontrer les Juifs du camp de Kraljevica durant la journée mais uniquement de midi à deux heures de l'après-midi, dans la période la plus chaude de la journée. D'autres fois, il était strictement interdit que nous nous voyions. Il existait des cas de parents installés dans un camp et leurs enfants dans l'autre, selon l'endroit où untel s'était trouvé lorsque la guerre avait débuté, mais au moins ils pouvaient se voir pendant un court moment pendant la journée. J'étais heureuse d'être avec ma mère.

 

Il y avait environ 1.200 Juifs dans le camp de Dubrovnik et peut-être le même nombre ou éventuellement un peu plus dans le camp de Kraljevica. Nous étions logés dans des baraques ; dans le camp de Kraljevica, il y avait des baraques en bois, et dans le camp de Dubrovnik elles étaient faites en briques. Les baraques étaient longues et quelque peu étroites. Il y avait environ 30 personnes par baraque. Les lits étaient des lits superposés : une personne dormant en haut et une en bas. Les lits étaient les uns à côté des autres, des deux côtés de la baraque. Les toilettes étaient à l'extérieur, éloignées ; aller aux toilettes était comme aller en excursion. Les toilettes étaient en un endroit et tout le monde dans le camp utilisait les mêmes installations, mais il y avait plusieurs cuvettes de W.C., pas seulement une. Il y avait de l'eau dans le camp, mais pendant plusieurs semaines l'unité centrale qui fournissait l'eau avait été rompue de sorte que des citernes avec de l'eau avaient été délivrées au camp. Nous recevions un litre d'eau par personne par jour, et cela était censé être suffisant pour boire et pour l'hygiène personnelle.

 

Nous avions une petite quantité de nourriture qui ne suffisait pas pour nous maintenir toute la journée. C'était également dégoûtant. Pour le petit déjeuner, nous avions du café qui n'était pas du vrai café mais une mixture au goût affreux, et un morceau de pain pour toute la journée. Ce morceau nous le divisions en trois parties de manière à avoir un petit morceau pour le déjeuner et un petit morceau pour le dîner. Pour le déjeuner, on nous donnait un peu de soupe, des légumes secs préparés avec de la vieille huile fétide, ou des pâtes avec de l'huile. Les pâtes étaient habituellement servies pour le dîner ; des gros macaronis noirs avec de l'huile. Même aujourd'hui, lorsque je vois quelqu'un verser de l'huile sur sa nourriture, je ressens du dégoût. Parfois on nous servait du goulasch avec de la viande et des pommes de terre, mais seulement des petites quantités de viande.

 

Chacun de nous avait son tour pour travailler à la cuisine ; c'était comme une visite de politesse, une visite obligatoire, peut-être une ou deux fois par semaine. Nous ne faisions qu'aider dans la cuisine pour préparer la nourriture ; les cuisiniers faisaient la cuisine, pas nous. Je me rappelle qu'une fois cela avait été mon tour de travailler à la cuisine et ce jour-là avait été servi du goulasch avec des pommes de terre. Les soldats avaient apporté des gros paniers remplis de pommes de terre déjà cuites et nous étions supposés peler les épluchures. Lorsque les soldats sont venus pour récupérer les pommes de terre, ils ont regardé à l'intérieur du panier, puis nous ont regardé et demandé : dove sono gli potati ? [italien pour : où sont les pommes de terre]. Ils nous avaient donné des pommes de terre à peler, et bien entendu nous en avions mangé plus de la moitié, qui ne l'aurait fait ? Nous avions faim ! Les soldats furent très énervés et depuis lors ils nous ont toujours donné des pommes de terre crues, or c'était impossible de manger des pommes de terre crues.

 

Nous avions l'habitude de nous lever vers 6h ou 6h30 du matin. Le petit déjeuner nous était apporté dans les baraques par les soldats à 7h00 et à ce moment nous devions déjà être debout et prêts pour le petit déjeuner, c'est à dire cet horrible café et un morceau de pain. Après le déjeuner, nous avions chacun nos obligations qui devaient être remplies durant la journée. Dans le camp, chacun devait travailler ou faire quelque chose d'autre durant la journée. Les Italiens ne nous obligeaient pas à travailler dans un endroit particulier ; nous pouvions choisir où nous voulions travailler. On aurait dit que c'était un travail volontaire alors que nous étions en fait obligés de faire quelque chose, ce n'était que l'endroit que nous pouvions choisir. Mais parfois même le lieu de travail été déterminé.

 

Il y avait quelque chose comme un lieu de couture où allaient les femmes qui voulaient y travailler. Les boutons tombaient des uniformes des soldats ou d'autres choses du genre, de sorte que les femmes allaient faire ces travaux. Quiconque y travaillait se voyait donner une portion supplémentaire de nourriture ; c'était comme un travail volontaire, nous n'étions pas forcées de le faire. Par pur dépit, je refusais de coudre des boutons sur les uniformes des soldats et jamais je ne suis allée travailler là. Aussi, les Italiens construisaient toujours des routes et les hommes allaient généralement creuser et construire ces routes. C'était un dur labeur physique. Les hommes qui travaillaient là se voyaient également donner une portion supplémentaire de nourriture. Il existait également une clinique médicale dans le camp et généralement les Juifs emprisonnés qui étaient médecins y travaillaient. De plus, il y avait une école pour les petits enfants afin qu'on leur apprenne à lire et à écrire de manière à ce qu'ils ne restent pas illetrés. Les détenus qui étaient professeurs travaillaient là et ils enseignaient les rudiments du langage et des mathématiques, les choses élémentaires. Les Italiens autorisaient cela.

 

Je travaillais à l'hôpital. Sur la partie littorale, dans la ville de Rab, qui était à quatre ou cinq kilomètres du camp de Kampor, se trouvait l'hôtel Imperial, qui servait d'hôpital. Qui voulait travailler dans l'hôpital pouvait le faire, et je m'étais portée volontaire. Chaque matin, les soldats italiens embarquaient quelques-un d'entre nous sur le camion pour l'hôpital et ils nous ramenaient dans l'après-midi. Nous aidions habituellement les infirmières à stériliser les bandages et à préparer les instruments médicaux. Les patients qui étaient soignés dans cet hôpital étaient les détenus du camp de Kampor. Ma mère travaillait parfois dans le lieu de couture mais la plupart du temps elle aidait à la cuisine.

 

Le déjeuner était servi entre 12h et 14h00. Nous devions nous rendre à la cuisine pour prendre notre portion de nourriture et ensuite retourner à la baraque pour y manger. Durant ce temps, nous étions également autorisés à rencontrer les Juifs de Kraljevica. Généralement nous disposions de l'après-midi. Selon la nature du travail, quelqu'un devait parfois travailler aussi bien l'après-midi, mais d'habitude nous avions l'après-midi de libre. Parfois les Italiens nous amenaient à la plage ; ils nous permettaient de nous baigner. Ils permettaient à 20 ou 25 personnes d'aller à la plage, de sorte qu'on se relayait. Si davantage de personnes y étaient allées, cela aurait été plus difficile pour eux de nous garder à l'oeil, et il n'y en avait donc que 20 à 25 à y aller à la fois. La plage était à environ un ou deux kilomètres et nous marchions. Les Italiens nous surveillaient et nous gardaient très strictement et rigoureusement. C'était une des spécialités italiennes que de nous compter ; ils nous comptaient et recomptaient. Nous devions toujours nous aligner et ils comptaient et comptaient; avant que nous ne partions, tandis que nous marchions, tandis que nous étions à la plage, quand nous retournions en marchant ; ils nous comptaient en permanence !

 

Après être revenus de la plage, nous étions libres jusque neuf heures. D'ordinaire nous nous promenions, beaucoup d'entre nous se connaissaient déjà auparavant ou alors nous étions devenus amis durant notre emprisonnement de sorte que nous nous promenions et bavardions. A neuf heures, les lumières étaient éteintes et nous devions être dans nos lits dans les baraques. Les baraques n'étaient pas fermées la nuit. Les gardes les surveillaient et ils se promenaient dans le camp pendant la nuit de manière à ce que personne ne tente même de s'échapper. Il faisait très chaud dans les baraques, en particulier durant la nuit mais le pire était les punaises de lit. Nos baraques en étaient pleines et elles nous rendaient folles. Ces punaises mordent et sont très ennuyeuses si bien qu'il était difficile de dormir la nuit.

 

Aujourd'hui les gens disent que les Italiens n'ont en réalité tué personne directement dans le camp. Ma réponse à cela est : les Italiens tuaient et ne tuaient pas dans le camp. Ils tuaient indirectement. Ils tuaient en nous forçant à travailler, en nous donnant des petites quantités de nourriture, en nous donnant des ordres, en nous traitant comme une race inférieure. Ils étaient cruels. Souvent les détenues qui avaient des petits enfants ne se voyaient donner qu'un demi-litre de lait par enfant. Le commandant du camp  qui était parmi les pires, avait vu une mère avec son enfant dans un bras et la bouteille de lait dans l'autre, il avait approché la mère, lui avait pris la bouteille et avait renversé le lait. Ils étaient cruels de ces façons-là ; en nous affamant, nous maltraitant, nous effrayant, nous forçant à travailler.

 

Durant toute la période de notre emprisonnement dans le camp, j'avais eu mon appareil photographique avec moi. J'avais réussi à le dissimuler quand nous étions arrivés dans le camp alors même que nous avions eu à soumettre toutes nos affaires à une fouille minutieuse. Toutefois, à part la fouille initiale, j'avais dû continuer à cacher l'appareil étant donné que les Italiens fouillaient nos baraques presque chaque jour. Nous, les détenus, étions arrivés à comprendre le système malgré que ce soit très risqué. Nous faisions savoir les uns aux autres le moment et l'endroit où les fouilles commençaient de façon à ce que si la fouille avait commencé dans la baraque numéro 1 cela voulait dire que la baraque numéro 1 était libre. Un des informateurs courait pour informer les autres, qui ensuite m'informaient, et j'envoyais alors l'appareil par l'intermédiaire d'autrui à la baraque numéro 1 qui avait déjà été contrôlée. Ainsi mon appareil était-il toujours dans un endroit différent et les Italiens ne l'ont jamais trouvé, grâce à la bonne communication et aux bonnes relations parmi les détenus. Je n'ai jamais essayé de faire des photos durant notre emprisonnement parce que cela aurait été trop dangereux. Bien entendu, je n'étais pas autorisée à le faire et s'ils m'avaient attrapée, j'aurais pu me trouver dans un grand embarras de sorte que je n'ai jamais essayé.

 

L'Italie a capitulé le 8 septembre 1943 [voir la capitulation italienne] [7]. Les Italiens s'étaient enfuis de l'île de Rab en bateaux ; certains étaient parvenus à s'échapper, d'autres pas. Un groupe de garçons juifs avait attrapé le commandant principal du camp de Kampor et l'avait forcé à retourner au camp. Je ne connais pas son nom ; nous avions l'habitude de l'appeler colonello [commandant en italien]. Etant donné que Crikvenica était déjà libérée, il y avait là-bas un tribunal militaire, de sorte que les garçons juifs avaient voulu amener le colonello au tribunal. En route pour là-bas, le colonello avait réussi à trouver une lame de rasoir et il s'était entaillé les veines. Les garçons l'avaient alors ramené à l'île de Rab et ils l'avaient enterré, non pas dans le cimetière en tant que tel, mais en face du cimetière.

 

Lorsque les partisans sont arrivés de Crikvenica sur l'île de Rab, quiconque avait souhaité se joindre aux partisans avait pu se joindre à eux. Un groupe de jeunes garçons juifs s'était enrôlé et avait été envoyé à Korski Kotar. La plupart d'entre eux ne savaient pas comment se servir d'armes et beaucoup d'entre eux ont donc perdu leurs vies rapidement après avoir été libérés de Rab.

 

J'avais immédiatement décidé de me joindre aux partisans. Ils avaient demandé à chacun de nous individuellement ce que nous voulions, où nous voulions aller, quelle brigade nous voulions incorporer, quelle était notre profession. Je leur avais dit que j'étais une photoreporter professionnelle et que je possédais un appareil photo, que j'avais un leica. Ils avaient été fort surpris d'entendre cela et étaient très heureux, de sorte qu'ils m'ont invitée à me joindre au département de la propagande et des relations publiques du ZAVNOH [8], qui était installé sur Otocac à ce moment-là. Ils m'avaient questionnée sur ma mère et sur sa profession. Je leur avais dit qu'elle était une ménagère et ils avaient répondu qu'elle devait également venir parce que nous aurions besoin d'elle dans la cuisine. Et c'est ainsi que nous avons quitté l'île de Rab ; la plupart des détenus du camp avaient décidé de se joindre aux partisans.

 

Nous sommes montés à bord d'un gros bateau qui possédait deux moteurs et des voiles, et nous sommes arrivés à Senj. Senj avait été complètement bombardée et détruite, toute la ville à l'exception d'une église. Nous avons quitté Senj sur des charrettes tirées par des boeufs au travers du Velebit et avons atteint Otocac. Nous y sommes restés un certain temps. Ma mère travaillait à la cuisine et je faisais partie du département des relations publiques du ZAVNOH. Outre ce département, il existait d'autres départements, comme celui de l'éducation, de la culture, de la technologie et d'autres. Mon travail consistait à prendre des photos de différents événements qui se déroulaient au sein du ZAVNOH. Ils avaient des réunions du comité, des conférences, des ateliers, des expositions, des concerts ; toutes sortes d'événements avaient lieu. C'était comme un gouvernement, tant d'activités se succédaient, et je devais prendre des photos de tous les événements. Tous les officiels hauts placés du gouvernement étaient là. A l'intérieur du complexe du ZAVNOH se trouvait également un hôpital et une pharmacie, et ma mère avait rapidement rejoint la pharmacie. Ma mère et moi n'étions pas toujours ensemble. Selon nos tâches, nous devions nous séparer et aller notre propre chemin : ma mère avec le département pharmaceutique de l'hôpital, et moi avec le gouvernement. Dans la mesure où le gouvernement se déplaçait, je me déplaçais avec.

 

Alors que j'avais été avec les partisans, j'avais toujours souligné que j'étais juive. Jamais je n'ai caché le fait que je sois juive. Ce n'était pas non plus nécessaire ; aussitôt avais je dit que j'avais été sur l'île de Rab que l'on avait su que j'étais juive. Je disais que j'étais juive de façon à ne mettre personne ni moi-même dans une situation embarrassante. Je voulais le faire savoir à tout le monde afin que personne ni moi-même ne dise quelque chose contre les Juifs. Il y avait d'autres Juifs avec moi au ZAVNOH dans d'autres départements. Certains étaient dactylos, d'autres employés, etc. Personne ne nous traitait différemment des autres. Il y avait des Croates, des Serbes, des Slovènes, des Juifs. Tout le monde était pareillement traité et les relations entre nous étaient bonnes. Nous avions tous un but commun : libérer notre pays et apporter la paix.

 

Une offensive avait eu lieu à Otocac et nous avions été forcés de nous diriger vers Slunj. Depuis Slunj il nous avait fallu nous déplacer vers Plitivice. Il neigeait et les camions pouvaient difficilement passer à travers la neige. Nous avions atteint Plitvicki Leskovac et avions appris que les Allemands arrivaient. Nous étions parvenus à dégager les camions de la neige, à bouger rapidement et à fuir. Cela avait été au début de janvier 1944. Je me rappelle que le 13 janvier 1944 nous avions été à Glina. Je me souviens particulièrement de ce jour parce qu'il avait fait clair et ensoleillé, et lorsque les jours étaient clairs et ensoleillés les Allemands allaient bombarder. Et justement ce jour-là, les Allemands ont bombardé. J'étais à l'intérieur d'un bâtiment et la première chose que l'on nous a dit fut d'ouvrir les fenêtres. Nous avons ouvert les fenêtres de façon à ce qu'elles ne se brisent ni ne s'éparpillent dans tous les sens. Il y avait une sorte d'escalier et nous nous sommes cachés en dessous de ces escaliers jusqu'à ce que les bombardements soient finis.

 

De Glina nous avons atteint Topusko où se trouvait le Grand quartier général de la Croatie et nous y sommes restés un certain temps. Peut-être qu'à nous tous nous étions une centaine de personnes qui formaient divers départements au sein du quartier général et qui se déplaçaient toujours ensemble. Chacun d'entre nous avait ses tâches et savait ce qu'il/elle était supposé faire. Je savais exactement ce qui avait lieu à quel moment et à quel endroit, en termes de réunions, de conférences, d'événements, de campagnes, et je suivais l'emploi du temps. J'étais la seule femme photoreporter au sein du ZAVNOH. Il y avait deux autres reporters masculins, mais parfois ils étaient appelés pour d'autres tâches, de sorte qu'il arrivait que je sois la seule photoreporter pour le ZAVNOH. Après que le Grand quartier général eut formé son propre département des relations publiques, j'avais commencé à travailler pour eux et j'y suis restée jusqu'à ce que la guerre soit finie.

 

Pendant un certain temps nous sommes restés à Topusko et nous étions sur le point de commencer les prératifs pour célébrer le 8 mars [la Journée internationale de la femme]. Cependant, nous reçûmes l'ordre de nous diriger vers Zadar. Zadar avait été terriblement bombardée, mais libérée, et nous avions donc reçu l'ordre d'atteindre Zadar. Après avoir emballé nos affaires, nous avons entrepris notre voyage depuis Topusko vers Zadar. En face de nous se trouvait une Mission militaire russe, les Anglais et les Américains, et chacun avait des drapeaux sur ses camions. Et, à nouveau, la journée avait été claire et ensoleillée, les Allemands ont repéré le convoi de camions et ils ont commencé à bombarder. Lorsque nous formions notre convoi, chaque camion possédait un numéro ; chaque département recevait un numéro et il devait charger le camion avec le numéro correspondant. Quand ce fut au tour du camion numéro 13, personne n'a voulu le charger étant donné que c'était un numéro qui porte malheur. A la fin, le département de l'artillerie a accepté d'être à bord du numéro 13, et toute l'artillerie et les fusils ont également été chargés à bord. Appelez cela le destin, ou que sais-je, mais justement ce camion numéro 13 a été bombardé. Tous les hommes qui étaient dans ce camion ont réussi à sauter dehors, à l'exception d'un homme de Rijeka et il a été tué.

 

Nous avons atteint Zadar, qui était complètement détruite. Les baraques de l'armée étaient encore quelque peu fonctionnelles de sorte que nous y sommes restés. Tous les bâtiments étaient démolis, la rue principale, la place principale ; tout était détruit. Il n'y avait pas une seule âme dans la ville, tout le monde avait fui. Et j'ai encore une image en tête que je n'oublierai jamais : une femme âgée assise en face de l'église, avec un rosaire en main, en train de prier. Je m'étais approchée d'elle, l'avait regardée et j'ai dit, "Nona [grand-mère en italien], que faites-vous ?" Et elle a dit, "Prier, prier, prier. Est-il resté quelqu'un dans ce monde ?" Je n'oublierai jamais l'image de cette femme âgée assise en face de l'église et en train de prier dans cette ville déserte et détruite.

 

De Zadar, où nous sommes restés pendant une période considérable, nous sommes retournés à Otocac. Le Grand quartier général de Croatie s'y trouvait et ils avaient préparé une célébration. C'était le début de mai 1945 et, alors que nous avions commencé à marcher vers les bois où la célébration devait avoir lieu, un courrier s'était rapidement approché du commandant, lui avait murmuré quelque chose à l'oreille, et le commandant a annulé la célébration et nous eûmes à retourner au quartier général à Otocac. Ensuite on nous a dit que nous devions emballer nos affaires et nous diriger vers Zagreb. Nous nous sommes lentement déplacés et avons atteint Karlovac.

 

Il existait une rumeur, que les Oustachis répandaient, disant que les partisans étaient dans les parages et tuaient les civils innocents. Lorsque nous avons atteint Karlovac, on aurait dit qu'il n'y avait pas une seule âme qui vive dans la ville. Nous étions très fatigués, affamés et assoiffés, et nous avons pénétré dans l'arrière-cour d'une maison qui possédait un puits, et avons voulu boire de l'eau. Soudain une femme âgée est sortie de la maison, nous a regardé, elle s'est approchée de moi et a commencé à toucher mon visage, mes cheveux, mes bras. Je lui ai demandé ce qu'elle faisait et elle a répondu, "Je veux m'assurer que vous, les partisans, êtes des êtres humains faits de chair et de sang, et non pas des sauvages." Après qu'elle eut réalisé que nous étions des êtres humains faits de chair et de sang, d'autres personnes de l'endroit qui se cachaient dans les maisons environnantes sont sorties, nous ont offert davantage d'eau et un peu de nourriture.

 

Nous avons atteint Zagreb le 9 mai 1945 vers cinq heures de l'après-midi. Nous avons franchi le pont de la Save et sommes parvenus à la place principale. La bienvenue fut stupéfiante. Les gens se tenaient dans les rues partout dans la ville de Zagreb, attendant notre arrivée, battant des mains, agitant les drapeaux. L'ambiance était magnifique, pleine d'émotions, les gens étaient enchantés et excités. Chacun savait que la guerre était finie, que les Oustachis et les Allemands avaient quitté la ville, que Zagreb avait été libérée. Après la célébration sur la place principale, un groupe d'entre nous les partisans, qui avions été ensemble au travers de la guerre, sommes allés Rue Zvonimirova, où le quartier général de Pavelic [9] était situé. Nous avons décidé de dormir dans le quartier général de Pavelic, comme une affirmation de la victoire sur les Oustachis. On nous avait prévenus de ne toucher à rien parce que le risque existait que les Oustachis aient laissé des bombes et des munitions. Il y avait encore une odeur de fumée dans l'arrière-cour du quartier général ; les Oustachis devaient avoir été en train de brûler des documents et des papiers juste la veille où ils avaient été chassés. Ma première nuit à Zagreb, j'ai dormi sur une table dans le quartier général de Pavelic, avec un manteau militaire et un fusil en dessous de moi.

 

Ma mère est arrivée à Zagreb en même temps que l'hôpital et les médicaments, trois jours après moi. Entre temps, j'étais restée avec une amie de Dubrovnik, une non-Juive, dans une maison dans la Rue Buliceva. Lorsque ma mère est arrivée, j'ai trouvé un appartement plus grand pour nous deux, et nous avons déménagé pour la Rue Stanciceva. Après la guerre, le quartier général de la défense et de la JNA [10] avait été formé, et j'avais été nommée par le Grand quartier général pour travailler au quartier général de la défense et de l'armée nouvellement créé. D'abord, j'avais eu à organiser le laboratoire de photos, à rassembler les équipements nécessaires, les appareils photographiques, et ainsi de suite de manière à ce que le département photographique puisse fonctionner. J'avais également rassemblé les personnes qui ont travaillé avec moi étant donné que j'étais rapidement devenue la chef du département photographique. Je supervisais les travaux des autres dans mon département mais je prenais également des photos moi-même. Mon amour pour la photographie et pour capturer des moments importants et intéressants était encore très fort.

 

D'ordinaire j'assistais aux réunions du parti et prenais des photographies ; il y avait plusieurs événements qui avaient lieu, comme les réunions ou les célébrations du 8 mars, du 1er mai, du 25 mai [11] et d'autres célébrations du parti ou commémorations. Je devais beaucoup voyager et j'étais réellement très occupée, mais j'aimais faire mon travail. J'étais très heureuse d'avoir trouvé une profession que j'aimais. Dans mon travail, je rencontrais souvent des officiers de la JNA et des gens importants ; une fois j'ai rencontré Josip Broz Tito [12]. Les photos que je prenais étaient principalement publiées dans les journaux locaux, tels que Vjesnik et Naprijed. Souvent, je prenais des photos pour mon propre plaisir ; des prises de vue sur la nature, les gens que j'aimais, mes amis. J'ai continué à prendre des photos de petits enfants, habituellement ceux de mes amis ou juste des enfants que je voyais dans la rue. Même après avoir pris ma retraite en 1964, j'ai continué à faire des photos en privé et à apprécier la photographie comme une sorte de forme artistique. J'ai fait don des photographies et des négatifs au Musée d'histoire croate, et ils y sont encore conservés aujourd'hui.

 

Je ne me suis jamais mariée. C'est mon amour pour la photographie qui devrait être blâmé pour cela. J'étais toujours en route ; je passais trois jours à Zagreb, puis cinq jours en voyage de travail, puis j'étais à nouveau à Zagreb, puis à nouveau en train de travailler ailleurs. C'était difficile de trouver quelqu'un qui aurait toléré cela ! Un soupirant m'a dit une fois, "Tu aimes ton appareil photo plus que tu ne m'aimes !" Vrai, j'aimais mon travail, et je m'y consacrais moi-même et tout mon coeur.

 

Durant la période communiste, j'avais été dans la JNA, j'étais une membre du Parti. Je travaillais et fréquentais d'autres gens qui étaient dans le Parti ; c'était ma vie, c'était mon univers. Aujourd'hui les gens racontent des choses terribles sur le communisme, mais ce n'était pas si mal après tout. Peut-être que sous certains aspects c'était meilleur qu'aujourd'hui ; seulement, nous ne sommes pas autorisés à le dire, ça n'a pas l'heur de plaire.

 

Immédiatement après la guerre, je suis allée à la Communauté juive dans la Rue Palmoticeva pour en devenir membre. Au travers de la communauté j'ai rétabli des relations avec ma tante Adela au Brésil et ma cousine Zlata en Israël. Jamais je ne suis allée au Brésil, mais en Israël j'y suis allée plusieurs fois. J'y suis allée pour la première fois en 1950 afin de visiter Zlata. Ce n'était pas facile d'obtenir une permission pour quitter le pays parce que je faisais partie des fonctionnaires hauts placés dans le Parti. Finalement, après plusieurs tentatives et refus, j'ai parlé avec un officier général qui m'a aidée à obtenir une permission pour aller en Israël. Je suis partie de Rijeka en bateau et je suis arrivée à Haifa. Ce fut un voyage sensationnel parce que là-bas j'ai rencontré Zlata et sa famille et j'ai également vu beaucoup de gens qui avaient été internés sur Rab avec moi. Mais je n'ai jamais développé de sentiments profonds pour Israël. J'ai également été invitée à la Bar Mitzvah du fils de Zlata et j'y suis allée. Puis il y a eu le mariage de son fils, j'y suis à nouveau allée, et je pense que j'ai visité Israël plusieurs autres fois. Si je n'avais pas été dans la JNA et le Parti, j'aurais envisagé de partir pour Israël. Mais j'étais dans l'armée et y étais très liée, c'était plus fort que moi. De plus, ma mère n'était plus si jeune et c'était un risque que de partir parce que j'ignorais quel genre de travail je pourrais trouver là-bas. Le Parti ne m'a jamais critiquée pour être allée en Israël. Tout le monde m'a toujours respectée parce que j'admettais toujours ouvertement que j'étais juive et ne cachais jamais mes origines.

 

Aussi bien ma mère que moi sommes devenues membres de la Communauté juive. J'assistais aux célébrations les jours de fête, lorsque j'étais à Zagreb. Etant donné que je travaillais beaucoup, je ne pouvais pas devenir plus active dans la communauté. Le fait d'avoir été dans l'armée et d'être allée dans la communauté en même temps n'avait pas de conséquences. Je n'ai jamais directement dit à personne dans l'armée que j'allais dans la Communauté juive ; c'était mes affaires personnelles et privées. Si j'étais à Zagreb pour Hanoucca et Pourim, j'allais aux célébrations. J'amenais ma mère à la synagogue pour Rosh Hashanah et Yom Kippour et attendais à l'extérieur. Je n'entrais pas parce que je ne voulais pas le courroux des Dieux, pour ainsi dire. Il y avait des offices pour les jours fériés auxquels ma mère assistait toujours, et je savais qu'il y avait des gens qui y allaient, et les gens qui dirigeaient l'office, mais je ne suis pas en mesure d'en dire beaucoup plus à ce propos. Quand j'y allais, j'allais principalement aux réunions de l'après-midi et aux collations, ou aux réunions organisées par le département des femmes.

 

J'ai vécu avec ma mère jusqu'à sa mort en 1977. Nous étions très proches toutes les deux, et cela a été difficile pour moi lorsqu'elle est morte. Je suis restée seule ; je n'avais pas de parents, pas de famille à moi. J'étais également dans l'incertitude sur la façon d'enterrer ma mère. Cela fut une décision très difficile à prendre pour moi. De nombreux officiers de la JNA et mes collègues sont venus aux obsèques de ma mère. Certains ont fait un discours. Je ne pouvais faire en sorte qu'un rabbin l'enterre en face des membres du parti. Et je ne pouvais faire en sorte que les membres du parti s'expriment en face d'un rabbin. Les deux n'allaient pas ensemble. Ainsi ai-je finalement décidé de ne pas avoir de rabbin à l'enterrement. Ce ne fut pas facile, mais il n'y avait pas d'autres choix. Je n'étais pas autorisée à avoir un enterrement juif pour ma mère. Mais j'ai fait quelque chose d'autre. Je me suis arrangée avec la Communauté de façon à ce que durant tout le premier mois après le décès de ma mère, le Kaddish soit récité pour elle chaque vendredi et samedi. C'était quelque chose que je pouvais faire. Même si tous les officiers savaient que j'étais juive et que ma mère étais juive, je ne pouvais pas avoir les deux, le Parti et le rabbin, à l'enterrement. Et même si j'avais été à la retraite depuis 1964, or ma mère est décédée en 1977, j'étais encore dans le même cercle de gens, partageais le même esprit, donc n'y était pas autorisée. C'était l'esprit du temps.

 

Quand la guerre a éclaté en Croatie en 1991 [voir la guerre croate d'indépendance] [13], je n'ai pas eu peur pour une raison ou pour une autre. Je n'ai pas eu peur de catastrophes et de désastres. Une fois quelqu'un m'a appelée au téléphone et a dit en menaçant, "Qu'est-ce que tu fais encore ici, pourquoi ne vas-tu pas là où tu appartiens ?". J'ai répondu, "Je vis dans mon appartement ! Où irais-je ?" Et il a dit, "Tu as vécu suffisamment longtemps !", et il a raccroché. Cela m'a effrayé et m'a troublé. Mais il n'a jamais rappelé. Il devait avoir trouvé mon nom de famille dans l'annuaire et avait voulu m'effrayer. Lorsque Zagreb a été bombardée en 1991, un de mes amis qui vivait à Francfort, en Allemagne, m'a appelée et m'a dit de quitter immédiatement Zagreb et de venir à Francfort. L'aéroport à Zagreb était déjà fermé et j'ai donc dû prendre un bus pour Graz, en Autriche, et de là j'ai pris un avion. Tandis que j'étais là-bas, mon voisin de Zagreb m'a appelée pour dire que quelqu'un était venu à plusieurs reprises en questionnant sur mon appartement. Peut-être avait-on vu que personne n'y habitait et avait-on voulu y emménager. Cela arrivait fréquemment que des gens emménagent dans des appartements vides ou des maisons de personnes, en particulier les Serbes, qui avaient quitté la Croatie. Et c'est ainsi que je suis rapidement revenue à la maison, plus personne n'est venu, et je n'ai été dérangée par quiconque. Je n'avais été éloignée que pour quelques semaines, peut-être un mois mais guère plus.

 

Mes amis à Zagreb étaient juifs et non juifs, même davantage non juifs que juifs. Je n'avais pas grandi à Zagreb ; mon enfance et ma jeunesse je les avais passées à Vinkovci et à Dubrovnik, de sorte que je ne connaissais pas beaucoup de Juifs de Zagreb. Il y avait un tas de Juifs à Zagreb qui avaient été à Rab avec moi, et avec eux j'avais des contacts. La plupart des gens que je fréquentais étaient mes collègues de travail, ou des voisins, qui n'étaient pas juifs. Ce qui m'affectait profondément était que Tuđman [14] et son gouvernement ne valorisaient pas financièrement les participants de l'Armée de Libération Nationale. Le gouvernement avait réduit les revenus matériels que nous recevions durant le régime communiste. Les partisans ne furent tout à coup plus reconnus. Or je prétends que si les partisans n'avaient pas été là, il n'y aurait pas de Croatie aujourd'hui. Et je n'ai pas peur de dire cela.

 

Je suis juive et me sens juive, et je le dis toujours. Je suis une membre de la communauté et paie la cotisation. Aujourd'hui, je ne vais plus à la communauté parce que je suis un peu âgée et que je marche lentement. Je ne suis pas religieuse parce que je n'ai pas été élevée de cette façon et maintenant je suis trop vieille pour changer ma vie. La plupart de mes amis sont morts, mais j'ai encore d'adorables personnes qui prennent soin de moi. Et j'ai encore des souvenirs que je chéris et qui m'aident dans mes vieux jours.

 

Glossaire

[1] KuK (Kaiserlich und Koeniglich) armée : Le nom "Impérial et Royal" était utilisé pour l'armée de la Monarchie austro-hongroise aussi bien que pour les autres institutions de la Monarchie issues du doubles système politique. A la suite du Compromis de 1867, qui avait établi la Double Monarchie, l'empereur autrichien et roi hongrois François-Joseph avait été le chef de l'Etat ainsi que le commandant en chef de l'armée. D'où le nom "Impérial et Royal".

[2] Stara Gradiska : un camp satellite du camp de Jasenovac, le plus grand et le plus infâme camp de concentration croate. Des femmes et des enfants avaient été déportés à ce camp et pas moins de 6.000 à 7.000 enfants y furent tués.

[3] Jasenovac : Une ville sur le fleuve de la Save en Croatie. Le plus grand et le plus infâme des camps de concentration croate y avait été ouvert après qu'eut été créée la Croatie fasciste en 1941, et il avait fonctionné jusqu'à la fin de la guerre. Il consistait en plusieurs camps satellites à proximité immédiate. Des dizaines de milliers de personnes y ont été assassinées, parmi lesquelles quelque 20.000 Juifs. En avril 1945, seuls environs 1.000 Serbes et Juifs dans le camp de Jasenovac étaient encore vivants. Lorsqu'ils avaient été entassés dans un unique bâtiment d'usine pour attendre leur mort, quelque 600 prisonniers avaient brisé les portes et attaqué la garde oustachie dans un dernier effort désespéré pour s'échapper. Seules 80 personnes, parmi lesquelles 20 Juifs, ont survécu.

[4] Le mouvement oustachi : Un mouvement séparatiste croate d'extrême droite, créé par Ante Pavelic à Zagreb en 1929. En 1934, il avait publié le pamphlet Ordre, dans lequel il appelait ouvertement à la sécession de l'état fédéral yougoslave et à la création d'un état croate indépendant. Après l'assassinat du roi de Yougoslavie en visite d'état à Marseille, en France, le mouvement oustachi avait été mis hors la loi, et Pavelic ainsi que son collègue Eugen Kvaternik avaient été arrêtés en Italie. Après l'occupation de la Yougoslavie par les armées allemande, hongroise, italienne et bulgare en avril 1941, l'Etat Indépendant de Croatie avait été proclamé avec le soutien allemand. Le nouvel état avait nominalement été dirigé par le mouvement oustachi avec Pavelic à la tête de l'état. Il créa un régime fasciste réprimant toute opposition. Les minorités ethniques et religieuses, en particulier les Serbes et les Juifs, furent impitoyablement persécutées. Les Serbes furent massacrés ou convertis de force au catholicisme. Sous son règne, 35.000 Juifs furent exterminés dans des camps de concentration locaux.

[5] L'Etat Indépendant de Croatie : un état fantoche fasciste également connu comme le NDH. Il fut proclamé en avril 1941 avec le soutien allemand et il comprenait le gros de la Croatie intérieure ainsi que la Bosnie-Herzégovine. Le nouvel état fut dirigé par les Oustachis, le mouvement fasciste croate, avec le leader oustachi Pavelic à la tête de l'état. Il créa un régime fasciste réprimant toute opposition. Les minorités ethniques et religieuses, en particulier les Serbes et les Juifs, furent impitoyablement persécutées. Les Serbes furent massacrés ou convertis de force au catholicisme. Des lois apparentées à celles de Nuremberg furent promulguées en avril 1941, suivie par le renvoi des Juifs de tous les postes publics et par l'introduction de la croix jaune. Rapidement tous les biens immobiliers détenus par des Juifs ainsi que tous les autres objets de valeur en possession des Juifs furent expropriés. Les synagogues, les institutions culturelles et même les cimetières juifs furent détruits par les Oustachis. Après mai 1941, une série de camps de concentration furent établis à Jasenovac, Drinja, Danica, Loborgrad et Djakovo. A Jasenovac, qui était le plus grand camp de concentration croate, des dizaines de milliers de personnes, y compris 20.000 Juifs, furent assassinées durant les quatre années d'existence de l'Etat Indépendant de Croatie.

[6] Rab : Une île de l'Adriatique, aujourd'hui en Croatie. Après que les armées de plusieurs pays eurent occupé la Yougoslavie en avril 1941, les autorités italiennes construisirent un camp d'internement à Rab, à l'origine pour les opposants au pouvoir italien. En juin 1943, plus de 2.500 détenus juifs venus d'autres camps italiens sur la côte adriatique y furent déportés. Les conditions de vie étaient très dures et près d'un tiers des prisonniers ont péri dans le camp. Après la capitulation italienne en septembre 1943, les partisans de Tito en évacuèrent 2.000, dont beaucoup se joignirent aux partisans. Environ 3.000 personnes, en particulier les personnes âgées, les malades et les petits enfants, restèrent sur Rab et furent déportées à Auschwitz en mars 1944 après que les Allemands eurent envahi l'île.

[7] La capitulation italienne : Après que l'Italie eut capitulé en 1943, les unités partisanes yougoslaves prirent part au désarmement des troupes italiennes en Slovénie, en Dalmatie, en Herzégovine, au Monténégro et en Macédoine. Après la capitulation, les partisans occupèrent les territoires auparavant italiens, l'Istrie et les villes de Fiume (aujourd'hui Rijeka) et de Trieste. Elles récupérèrent également les territoires yougoslaves occupés par les Italiens en Slovénie, la plupart du littoral adriatique ainsi que des parties du Monténégro et de la Macédoine. De nombreux soldats italiens se joignirent aux partisans yougoslaves et créèrent une division indépendante appelée Giuseppe Garibaldi.

[8] ZAVNOH, (le Conseil antifasciste de la libération nationale de Croatie) : Le mouvement antifasciste croate établi en juin 1943, comprenant le Parti communiste et des partis antifascistes non communistes. Le ZAVNOH a joué un rôle majeur dans la création du second état yougoslave après la Seconde Guerre mondiale.

[9] Pavelic, Ante (1889-1959) : le créateur du mouvement oustachi séparatiste d'extrême droite croate. Il avait ouvertement appelé à la création d'un état croate indépendant et avait par conséquent été forcé d'émigrer en Italie et en Allemagne. Après que la Yougoslavie eut été occupée par les armées allemande, hongroise, italienne et bulgare en avril 1941, les nazis l'avaient désigné leader de l'Etat Indépendant de Croatie. Il créa un régime fasciste réprimant toute opposition. Les minorités ethniques et religieuses, en particulier les Serbes et les Juifs furent impitoyablement persécutées. Les Serbes furent massacrés ou convertis de force au catholicisme. Sous son règne, 35.000 Juifs furent exterminés dans des camps de concentration locaux. Après la Seconde Guerre mondiale, Pavelic trouva refuge en Argentine.

[10] JNA (l'Armée populaire yougoslave) : Etablie à partir d'unités antifascistes durant la Seconde Guerre mondiale, la JNA fut l'armée la plus puissante d'Europe communiste de l'Est. Avec une direction à prédominance serbe, la JNA a contribué à maintenir la suprématie serbe dans la République fédérale yougoslave. A partir de la fin des années 1980, la JNA a joué un rôle actif dans les aspirations expansionnistes serbes. Dans les guerres croate et bosniaque, qui durèrent de 1991 à 1995 et furent les conflits armés les plus sanglants en Europe après la Seconde Guerre mondiale, la JNA a représenté les intérêts nationaux serbes (l'inclusion de tous les territoires serbes en une grande Serbie), et elle a combattu aux côtés des irréguliers serbes. Après les Accords de paix de Dayton en 1995, la JNA s'est retirée de Croatie, quoique les irréguliers serbes continuèrent de combattre.

[11] Le 25 mai : "La Journée de la Jeunesse" en Yougoslavie, commémorant l'anniversaire du président de la Yougoslavie communiste, Josip Broz Tito. La journée était célébrée avec une série de programmes culturels et sportifs.

[12] Tito, Josip Broz (1892-1980) : le président de la Yougoslavie communiste de 1953 jusqu'à sa mort. Il avait organisé le Parti communiste yougoslave en 1937 et était devenu le leader du mouvement partisan yougoslave après 1941. Il libéra la plupart de la Yougoslavie avec ses partisans, y compris Belgrade, réalisa des gains territoriaux (Fiume et l'Istrie auparavant italienne). En mars 1945, il devint le chef du nouveau gouvernement yougoslave fédéral. Il nationalisa l'industrie mais n'appliqua pas le système des fermes collectives sur le modèle soviétique. Au niveau politique, il opprima et fit exécuter son opposition politique. Bien que la Yougoslavie eût été étroitement associée à l'URSS, Tito avait souvent poursuivi une politique indépendante. Il avait accepté les prêts occidentaux pour stabiliser l'économie nationale et il avait progressivement desserré bon nombre des contrôles stricts du régime. En conséquence, la Yougoslavie devint le pays communiste le plus libéral en Europe. Après la mort de Tito en 1980, les tensions ethniques refirent surface, en menant à l'effondrement brutal de l'état fédéral dans les années 1990.

[13] La guerre croate d'indépendance : En 1991, la Croatie déclara son indépendance de la République fédérale de Yougoslavie, avec Franjo Tudjman, un ancien général, comme président. Les combats éclatèrent immédiatement avec l'Armée populaire yougoslave et les irréguliers serbes dans les parties de la Croatie peuplées de Serbes. Les Nations unies envoyèrent une force de maintien de la paix en février 1992. Cette force eut pour effet de geler le statu quo territorial, qui laissa 30% des territoires croates en mains serbes, et elle transforma en réfugiés de nombreux Croates qui avaient été déplacés par "les nettoyages ethniques" serbes. La Croatie fut reconnue comme un état indépendant par la Communauté européenne en janvier 1992, et elle fut acceptée par les Nations unies. En 1995, les forces croates reconquirent la plupart des territoires tenus par les Serbes, en faisant fuir quelque 300.000 Serbes vers la Bosnie et la Yougoslavie. La Croatie a supporté et dirigé les Croates de Bosnie lorsque les combats éclatèrent dans la Bosnie voisine en 1992, et la Croatie a joué un rôle dans les négociations pour un traité de paix bosniaque, qui fut signé en 1995.

[14] Tuđman, Franjo (1922-1999) : Le Premier président de la Croatie (1991-1999). Il avait été un membre du mouvement partisan après 1941 et il était resté dans l'Armée populaire yougoslave après la guerre, où il fut nommé général en 1960. Il se tourna vers le nationalisme croate, perdit sa position à l'Université de Zagreb (1963) et fut également emprisonné (1972-74 et 1981-84). En 1990, il créa la Communauté démocratique croate et devint président de la nouvelle république. Il fut réélu en 1992 et 1997 ; son règne prit une tournure de plus en plus autocratique et sa réélection fut critiquée pour ne pas être entièrement démocratique.

 

Source (II et III) : Centropa.org

 

Rédigé par brunorosar

Publié dans #Journalistes, chroniqueurs et photographes

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S
Mon pére a épousé en 1936 à PARIS, Anica Maulwurf,née le 10/12/1908à GRAZ en Yougoslavie.Ses parents étaient Julijo Maulwurf et Weiss Cécile de Nasice en Yougoslavie.Auriez vous des informations sur leur vie.Ils avaient divorcés en 1946(C'était un mariage"blanc" pour échapper aux rafles nazies.)
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E
Anika Maulwurf est decedee a Belgrado. Leur tombe est au cemitiere juif: http://makabijada.com/dopis/gradovi/grobgd/XV/DSCN0089.JPG
B
Désolé mais à nouveau je ne dispose d'aucune information qui pourrait vous éclairer. Il est toutefois clair que ce ne sont pas des noms slaves, ce qui évidemment ne les empêchait pas d'être yougoslave. Peut-être étaient ce des Croates du Burgenland ? (voir l'article wikipédia sur le sujet : http://fr.wikipedia.org/wiki/Croate_du_Burgenland)
B
<br /> Malheureusement je ne suis pas en mesure de répondre à cette question. A priori je dirais que non, car le nom de Kohn semble assez répandu. Par exemple, en tapant sur Google il fait 3.520.000<br /> entrées.<br /> Si cette famille Kohn n'a pas explicitement dit à votre grand-mère qu'elle venait de Croatie, alors sans doute n'y a-t-il pas de lien.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Pendant la guerre ma grand'mère a hébergé en france des membres d'une famille Kohn à Boulogne sur gesse en haute garonne. Ces gens ont émmigré au Brésil et se sont consacrés à la production de<br /> café. S'agit-il de la famille évoquée dans l'article?<br /> <br /> <br />
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