Benedetto Cotrugli

Publié le 7 Novembre 2009

Cotrugli, un gestionnaire de la Renaissance italienne


 

Benedetto Cotrugli, marchand et homme politique napolitain, est aussi l'un des fondateurs de la pensée moderne en gestion. Dans un manuscrit sur l'art du commerce écrit en 1458, et resté longtemps méconnu, il pose les bases d'une nouvelle conception de la gestion des entreprises et des institutions.

 

Benedetto Cotrugli, né au début du XVe siècle, fut un négociant de Raguse qui s'installa ensuite à Naples. Lors de la peste de 1458, il profita d'un séjour à la campagne pour rédiger un manuscrit, le Traité de la marchandise et du parfait marchand. Ce texte ne fut édité à Venise qu'en 1573, traduit par Jean Boyron à Lyon en 1582 et réédité à Brescia en 1602.

 

Il comprend quatre livres. Le livre premier qui est "un préambule des règles mercantiles", comporte dix-neuf chapitres dont notamment le treizième qui porte sur la façon de tenir les comptes. Le livre II sur "le marchand et la religion" est constitué de quatre chapitres. Le livre III sur "le marchand dans la société" est composé de dix-huit chapitres. Le livre IV sur "le marchand dans son rôle de maître de maison" est composé de dix chapitres.

 

Un mot est révélateur de la position de notre auteur : pécune. Il faut savoir que le terme latin pecunia signifiait comptant (voir aussi numerata). Cotrugli est obsédé par l'idée de payer au comptant, "à pécune", pour éviter le crédit qui lui semble la plupart du temps une tentative d'escroquerie, autrement dit un acte illicite de commerce. Ceci explique qu'il se réfère à de nombreux auteurs anciens qui ont réfléchi sur la valeur du temps dans les opérations gestionnaires : Aristote, Côme de Médicis, Platon... Pour notre auteur, toute science ayant ses règles, celle des affaires a bien les siennes (p. 11)*.

 

Cotrugli définit dans son premier livre (pp. 25-27)* les trois modalités des opérations : la vente par échange (argent contre marchandise), la vente par barat (marchandise contre promesse de paiement futur), et la vente par troc (marchandise contre marchandise). La première opération suppose un marché au comptant, qu'il décrit dans le chapitre suivant (pp. 27-28)* et donc une offre et une demande utilisant la médiatisation de la monnaie pour obtenir un prix, c'est à dire un point d'équilibre. La deuxième opération (pp. 28-33)* est plus complexe car elle nécessite la confiance entre les partenaires, et une procédure d'actualisation de la valeur de la monnaie qui sera nécessaire à terme pour régler la vente. Cotrugli montre toute la difficulté de faire confiance à quelqu'un qu'on connaît peu et sur lequel on n'a pas de prise de nature familiale ou amicale. L'actualisation était contrainte par les idées religieuses à l'égard de l'usure, idées qui dureront jusqu'à la veille de la Révolution française (Frayssé, 1783). La menace de banqueroute (annulation juridique de la dette) plane aussi sur cette forme d'opération gestionnaire. La dernière, le troc, est plus facile à opérer : chaque cocontractant annonce son évaluation et un accord se fait sur la quantité de marchandises à échanger : deux poules pour un renard !

 

"En fondant la gestion des affaires sur une comptabilité rigoureuse et des moeurs commerciales honnêtes, Cotrugli diminue le risque de perdre de l'argent et crée le concept de risque "zéro" sans en avoir encore l'expression."


- Pour évaluer la confiance qu'il faut avoir envers un échangeur à terme, Cotrugli liste six conditions :

 

1) Vérifier la qualité de la marchandise négociée, et, s'il y a une tromperie, arrêter la négociation (p. 30)*. 

2) Se renseigner sur la renommée du partenaire : a-t-il un bon ou un mauvais crédit ? 

3) Estimer le temps que l'on pourra accorder entre l'accord et la fin de la transaction (p. 32)*. 

4) Ne négocier que sur de petites quantités, car le risque de perte sera ainsi limité (p. 32)*. 

5) Limiter son profit à ce que le partenaire peut payer, car sinon le risque est de perdre et le profit et le capital engagé ! (p. 32)* Cotrugli suit ici scrupuleusement les consignes de l'Eglise catholique sur la limite de l'usure pour les opérations à terme. 

6) Vérifier que la signature du contractant est valable et que la transaction est juridiquement valable pour le lieu et le temps particulier qui lui sont propres. Les escrocs jouent à l'époque sur les différences de législation pour se dégager de leurs engagements. Ces escroqueries resteront en usage chez les colporteurs jusqu'au milieu du XIXe siècle. 

 

Cotrugli est contre les opérations à crédit qui risquent de conduire à la faillite, et contre les opérations à terme qui facilitent les escroqueries. En fondant la gestion des affaires sur une comptabilité rigoureuse et des moeurs commerciales honnêtes, il diminue le risque de perdre de l'argent et crée le concept de risque "zéro" sans en avoir encore l'expression. Selon nous, Cotrugli est l'un des premiers auteurs à définir la gestion de "père de famille", car il se situe dans le droit-fil de la tradition médiévale sur l'enfant et la vie familiale. Il est donc un gestionnaire de la Renaissance qui perçoit les linéaments des progrès futurs. Mais il reste prisonnier des préjugés de son temps, et préfère penser au salut de son âme qu'à celui de son compte en banque. Le plus grand risque pour lui est de rater le Paradis. En cela il respecte les préceptes de l'Eglise et son livre aura l'imprimatur royal pour sa traduction en français quelque cent vingt ans plus tard ! Son apport pourra nourrir le débat actuel sur le statut de la dette dans le capitalisme financier.

 

Luc Marco - Université Paris 13

Les paginations indiquées ici concernent la réédition chez L'Harmattan (2008). 

 

Source  histoire-entreprises.fr

Rédigé par brunorosar

Publié dans #Intellectuels et activistes

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