Goran Milić

Publié le 17 Juin 2011

Goran Milić

 

http://radio-feral.ba/wp-content/uploads/2011/01/goran-milic-150x150.jpgI. Biographie :

Goran Milić, né à Zagreb en 1946, est un journaliste. Il a débuté sa carrière à la Radio Télévision de Serbie en 1970. De 1980 à 1985, il travaille comme correspondant à New York pour ce même média puis il enseigne le journalisme à l'Université de Belgrade de 1985 à 1988. En 1987, il préside la Commission pour l'information de  l'Universiade de Zagreb. En 1989 il sert de porte-parole pour la réunion au sommet des pays non-alignés à Belgrade. De 1990 à 1992 il travaille comme rédacteur et présentateur du journal télévisé de la chaîne de télévision Yutel. Tout de suite après que cette émission eut été supprimée, Milić devient directeur du centre de journalisme du gouvernement de guerre de la Bosnie-Herzégovine, puis porte-parole de la délégation olympique de la Bosnie-Herzégovine à Barcelone.

A partir de l'année 1997, il travaille au service public de radio-télévision croate, où en 2002 il devient rédacteur et animateur de l'émission Brisani prostor, puis à partir de 2004 rédacteur et animateur de l'édition dominicale de l'émission d'information Dnevnik.

Ces dernières années il a retenu l'attention par ses pérégrinations journalistiques telles que "Allons en Amérique", "Et maintenant en Europe" et "Allons au Nord".

Goran Milić parle plusieurs langues étrangères dont l'anglais, le français, l'espagnol et l'italien

 


II. Entretien :

Al Jazeera Balkans sera une chaîne sans préjugés. Nous chercherons notre place sur les écran des pays de l'ancienne Yougoslavie uniquement par le biais de l'information. Ce n'est pas le genre de média qui soutient les politiciens. » Goran Milić, l'un des journalistes yougoslaves les plus connus a été nommé il y a quelques mois directeur des programmes de l'antenne balkanique d'Al Jazeera, la chaîne d'information continue qatarie, dont le siège sera à Sarajevo.

Goran Milić a vécu à Zagreb où il a présenté le journal télévisé sur la chaine nationale HTV. Il s'est mis à la retraite fin janvier avant de prendre ses nouvelles fonctions à Sarajevo. Il est d'abord allé à Belgrade pour recruter les candidats du bureau serbe d'Al Jazeera, où Danas l'a rencontré. Lors de l'entretien, il s'est efforcé de parler « serbe », évitant de commenter l'actualité politique en Serbie ou en Croatie. « Je suis directeur des programmes d'une chaîne de télévision internationale et je ne souhaite pas entrer dans nos querelles politiques directes », s'est-il justifié.

Danas (D.) : L'histoire d'Al Jazzeera Balkans vous rappelle-t-elle la chaîne Jutel qui était également transfrontalière et qui avait son siège à Sarajevo ?

Goran Milić (G. M.) : Quelque part oui, mais il y a bien des différences. Al Jazeera n'est pas la nouvelle Jutel. Certes, l'utilisation des langues dites ‘ex-yougoslaves' avec tous les journalistes qui parleront dans leur langue maternelle est semblable, mais tout le reste différera de Jutel. Jutel était une chaîne publique, fondée avec le soutien du gouvernement fédéral et on était sans cesse confrontés aux histoires d'égalité des peuples et des nationalités dans les programmes. Cette fois, nous n'aurons pas cette obligation : si les élections en Serbie sont en cours, ce sujet et la langue serbe seront dominants. Jutel a fonctionné à une période où la Yougoslavie éclatait dans le sang et où tous les critères journalistiques cédaient pour laisser la place aux différentes appartenances, aux groupes. Toute neutralité était rejetée. Aujourd'hui, si l'on est objectif et que l'on suit les différentes argumentations, on sera respecté. Al Jazeera Balkans aura une approche régionale à l'information que nous n'avons pas eue, si divisés que nous sommes. J'ai entendu dire que la Serbie disposait plus de 200 chaînes télévisées, et la Bosnie-Herzégovine en a 44. C'est un nombre énorme d'informations, de caméras, mais personne d'autre n'a cette perspective régionale.

D. : Quelle sera votre approche des problèmes issus des récentes guerres, ceux qui ne font toujours pas l'objet de consensus national ?

G. M. : Tous les médias de la région présentent la moitié de ces histoires passées. Je ne ressens aucun besoin de creuser davantage. Tout simplement, je me suis retrouvé dans les lieux différentes pendant la guerre : j'ai d'abord travaillé en Serbie, puis en Bosnie, en Croatie et je suis revenu en Bosnie. J'ai connu tout le monde, j'ai eu l'occasion de parler à tous ces gens. Il y avait des mensonges, mais j'étais bien informé. Quand je lis aujourd'hui les interprétation de tout cela, je suis sur le point d'accepter la maxime : ‘c'est entré dans l'histoire, donc c'est devenu faux'. Si, 20 ans plus tard, nous avons des interprétations différentes de ce que nous avons vu ensemble, il est difficile de croire que les historiens découvrent la vérité dans cent ans.

D. : Jutel était une tentative de sauver la Yougoslavie. Aujourd'hui, Al Jazeera Balkans, est-ce une tentative de la rétablir ?

G. M. : Non, non... Cette idée de Jutel est également un mensonge, parce qu'elle est entrée dans l'histoire. Le gouvernement fédéral et le Premier ministre Ante Marković n'avaient à l'époque aucun média où s'exprimer. Toutes les chaînes des républiques étaient devenus nationales. Toutes les décisions du gouvernement fédéral restaient marginales et Ante Marković était invisible. J'avais dit que je ne voulais pas rester à Belgrade encore dix ans pour voir un nouveau Tito. De son côté, Franjo Tuđman me disait : ‘Laissez tomber Jutel et Ante Marković. Je n'ai pas gagné les élections pour avoir deux Croates à la tête du pays'. Deux grandes puissances en Yougoslavie s'opposaient alors à Ante Marković. Moi, j'ai rejoint Jutel pour soutenir le moins fort. Le rédacteur en chef y était élu par consensus et il ne pouvait être révoqué que pas consensus de toutes les républiques. C'était difficile, mais cela permettait une autonomie qui me plaisait.

D. : Vous avez quitté Belgrade en 1991 pour y revenir seulement en 2001. Nous sommes en 2011. Comment voyez-vous Belgrade aujourd'hui ? Vous avez dit, pas exemple qu'en 1991, Belgrade ressemblait à Berlin en 1943.

G. M. : Oui, je pensais surtout à l'ambiance tendue… qui n'est plus présente. Après les entretiens avec les 25 journalistes candidats à Al Jazeera et les rencontres avec les gens de ma génération de diverses professions, des Belgradois ordinaires, il me semble que l'on présente la situation économique de façon trop dramatique. Ces dernières années, j'ai parcouru le monde à faire les reportages pour la télévision croate et je ne connais pas de pays avec un PIB de 6.000 dollars par habitant où l'on vit mieux qu'en Serbie. À Sarajevo, la pauvreté est peut-être plus importante qu'à Belgrade, mais on a plus d'optimisme et de sens de l'humour. Ici, il règne un profond sentiment de peur et de l'incertitude.

D. : Comment jugez-vous le journalisme en Croatie et en Serbie aujourd'hui ? Y a-t-il plus de liberté qu'avant ?

G. M. : Oui, c'est plus libre, mais c'est aussi plus irresponsable. À l'époque, on était obligé de chanter des louanges à quatre choses : Tito, le Parti communiste, l'armée et le socialisme. Aujourd'hui, tout le monde est révolté. La critique des pouvoirs est de règle, il existe une concurrence que nous n'avions pas à l'époque. Aujourd'hui, il y a beaucoup de médias qui t'énervent, il faut faire un effort pour distinguer la triche de la vérité. Les gens sont paresseux, ils n'ont pas envie de le faire et ils se laissent aller. À long terme, cette distinction permet de forger des critères, de comprendre que la vie n'est pas simple et que les bonnes intentions des politiciens cachent des intérêts privés, mais aussi que les gens ne sont pas parfaits.

D. : Vous avez obtenu votre meilleur emploi en tant que retraité ?

G. M. : (rires) Oui, c'est le meilleur poste de ma carrière. Il me permettra de faire quelques économies pour mes vieux jours.

D. : Retournerez-vous présenter le journal télévisé pour dire la fameuse phrase : ‘Bonsoir, vous regardez le journal' ?

G. M. : Je ne crois pas. Cependant, fou que je suis, il se peut que je demande de faire encore un journal avant de mourir. Les autres diront : ‘Enlevez -nous ce vieux con !'

 


Par Dragoljub Petrović

Source : balkans.courriers.info, le 18 mai 2011.
Originellement publié sur danas.rs le 6 mai 2011.


Rédigé par brunorosar

Publié dans #Journalistes, chroniqueurs et photographes

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