Ruža Tomašić

Publié le 2 Juillet 2013

Ruža Tomašić

 

 

 

La Croatie d'abord !

 

A l'heure où l'ex-république yougoslave devient le 28e Etat membre de l'UE, cette ancienne policière fan de Harley-Davidson s'apprête à siéger au Parlement européen. Nouvelle égérie du camp nationaliste, elle y rappellera que, dans son pays, tout le monde ne s'est pas rallié à Bruxelles.

 

La poignée de main est franche, presque rude. Cette grande femme à l'allure sportive fait pour la première fois, le 1er juillet, son entrée dans l'hémicycle du Parlement européen, alors que son pays, la Croatie, devient officiellement le 28e membre de l'Union. 

Sans grande conviction: ultranationaliste proclamée, Ruza Tomasic avait voté, il y a un an, contre l'entrée de Zagreb dans le club de Bruxelles, alors approuvée par 67% des électeurs. Tous les sondages montrent que les Croates restent aujourd'hui proeuropéens, même s'ils ne se font guère d'illusions sur les bénéfices à attendre d'une Europe en crise.

"Ruza hrvatska" (la rose croate), comme l'a surnommée la presse locale, est pourtant apparue comme la grande gagnante des premières élections européennes du pays, organisées à la mi-avril. Bien que favorable à l'adhésion, l'Union démocratique croate (HDZ), principale force conservatrice, lui avait concédé un strapontin sur la liste qu'elle conduisait. Mais les électeurs l'ont, à la surprise générale, hissée au premier rang. Et le HDZ, qui a remporté six sièges sur douze, lui doit sans doute sa courte victoire.  

Un succès à relativiser: les ténors avaient boudé le scrutin, préférant faire campagne pour les élections locales, qui se tenaient quelques semaines plus tard; seuls 20% des électeurs se sont déplacés, dont 5% ont voté blanc... 

 

L'ancrage du sentiment nationaliste

Son score confirme cependant l'ancrage du sentiment nationaliste. "Ici, les émotions liées à la guerre sont encore fortes", souligne le politologue Ivan Rimac. La seule polémique de la campagne a été déclenchée par une petite phrase de la candidate encourageant au départ les "invités" qui "n'acceptent pas que le pays dans lequel ils vivent soit la Croatie, n'obéissent pas à ses lois et ne l'aiment pas".

Elle ne fait pas explicitement référence à la minorité serbe -soit 4% de la population aujourd'hui, contre 12% en 1990-, mais tout le monde comprend. Le Premier ministre social-démocrate, Zoran Milanovic, monte alors au créneau, l'accusant de jouer avec "de la matière radioactive" et d'être "pire qu'une catastrophe naturelle".  

"Le HDZ lui a ouvert sa liste pour ne pas se couper de sa base nationaliste et le Premier ministre en a fait une star en polémiquant avec elle!" résume l'analyste politique Davor Gjenero. L'un des principaux éditorialistes, Davor Butkovic, est convaincu que l'eurodéputée doit aussi son élection au combat acharné et très médiatisé qu'elle a mené, il y a quelques années, contre les trafiquants de drogue de l'île de Korcula. 

Car la "rose croate" est un buisson d'épines. Ruza Tomasic voit le jour, en 1958, à Mladosevica, en Bosnie-Herzégovine, dans une famille de modestes paysans. Elle a 5 ans lorsque ses parents décident de s'installer en Slavonie, une région agricole du nord de la Croatie. Anticommuniste proclamé, le père fait plusieurs séjours en prison. Et il y a huit enfants à nourrir... Six d'entre eux choisiront, dès qu'ils le pourront, de quitter le pays, en quête d'une vie meilleure. Dont Ruza.  

En janvier 1974, à 15 ans, elle s'envole pour Vancouver, au Canada. L'une de ses soeurs y habite et lui propose de venir s'occuper de ses enfants. Mais l'adolescente n'a pas vraiment envie de faire du baby-sitting en attendant le prince charmant. A 17 ans, elle se fait embaucher par la chaîne de restauration rapide Kentucky Fried Chicken, à un poste où elle est chargée de la découpe des poulets. Ses premiers dollars en poche, elle doit déménager, sa soeur n'appréciant guère d'avoir perdu sa baby-sitter.  

Elle s'installe seule à Toronto (Ontario), où une société de gardiennage l'embauche, ce qui va lui permettre de reprendre ses études secondaires. Le jour, elle est au lycée, le soir, elle surveille des parkings ou des immeubles de bureaux. Son baccalauréat décroché, elle est admise à l'école de police de l'Ontario. "D'aussi loin que je me souvienne, dit-elle, j'ai toujours voulu être policier. En Slavonie, quand on jouait aux cow-boys et aux Indiens, c'était toujours moi le shérif!" Dans la vraie vie, elle devra attendre un peu: on l'affecte d'abord à la circulation.

Deux ans plus tard, la voilà sur le terrain. Elle aime conduire et se découvre une passion pour la moto. Quand elle apprend que quelques policiers canadiens ont été dotés de Harley-Davidson, elle adresse une demande à sa hiérarchie. Fin de non-recevoir, au motif que cet engin-là n'est pas fait pour être piloté par une femme.  

Elle s'entête et saisit, au troisième refus, la Commission canadienne de défense des droits de la personne. Laquelle lui donne raison. Elle va pouvoir chevaucher la moto de ses rêves. Nous sommes en 1984 et c'est la première policière du Canada à rouler sur une Harley-Davidson. Elle a 25 ans. 

 

Garde du corps de l'ancien président Tudjman

Soucieuse de maintenir le lien avec son pays d'origine, Ruza participe régulièrement aux activités de l'association des Croates de Toronto. Où l'on ne se contente pas d'organiser des soirées dansantes. Tous les ans, le jour de la fête nationale yougoslave, une manifestation a lieu devant l'ambassade, un rendez-vous que Ruza ne manque jamais.  

"La plupart des Croates qui ont émigré au Canada, souligne le politologue Drazen Lalic, ont fui le régime de Tito. Ils appartenaient, en majorité, à la droite nationaliste. Leur communauté, dans la deuxième partie des années 1980, a soutenu très activement Franjo Tudjman, notamment en levant des fonds pour sa campagne."  

En septembre 1989, celui qui deviendra le premier président de la Croatie indépendante effectue une courte visite auprès des Croates du Canada. Ruza est chargée d'assurer sa sécurité. Lorsqu'il prend, peu après, les rênes du pays, il demande à la jeune policière de le rejoindre à Zagreb, afin d'assurer sa protection rapprochée. Elle s'est mariée trois ans plus tôt avec un petit entrepreneur originaire de l'île de Korcula, émigré comme elle au Canada, et elle a deux enfants en bas âge. Elle n'en accepte pas moins la proposition de Tudjman, laissant sa famille à Toronto.

De ce retour en Croatie, elle a gardé un souvenir ému: "J'ai découvert mon pays, arpenté ses lieux de mémoire. Lorsque j'étais enfant, nous étions trop pauvres pour voyager. Même les visites organisées par l'école m'étaient interdites, faute d'argent!" Mais en 1992, moins de trois ans après son départ du Canada, elle apprend qu'elle est atteinte d'un cancer, et rentre à Toronto, où elle est hospitalisée. Cette épreuve, selon ses propres termes, elle la vit comme un "combat". Qui ne sera gagné qu'en 1996. 

Pendant qu'elle se bat contre la maladie, les Balkans s'enfoncent dans la guerre. Les forces serbes de Slobodan Milosevic occupent un quart du territoire de la Croatie, les massacres succèdent aux massacres en Bosnie-Herzégovine, où Franjo Tudjman soutient les séparatistes croates de Mate Boban. Il faudra attendre 1995 pour que les accords de Dayton instaurent une paix fragile, et 1998 pour que la Croatie retrouve son intégrité territoriale en reprenant le contrôle de la ville martyre de Vukovar

C'est cette année-là que Ruza Tomasic et sa famille décident de rentrer au pays, pour de bon cette fois. Elle penche pour Zagreb, où elle pourrait reprendre du service en travaillant pour Interpol. Son mari veut retrouver son île de Korcula. C'est lui qui aura finalement gain de cause.  

Mais Ruza ne se voit pas cantonnée au rôle de femme au foyer. Depuis quelques années, elle milite au sein d'une petite formation ultranationaliste, le Parti du droit. Celui-ci, qui se veut l'héritier d'un mouvement du même nom, fondé en 1861 pour défendre, face à l'empire austro-hongrois, les droits nationaux des Croates, entend désormais occuper, sur la droite de l'échiquier politique, l'espace laissé vacant par l'union démocratique (HDZ). Car ce parti a abandonné ses accents les plus nationalistes pour devenir, sous la houlette d'Ivo Sanader -le successeur de Franjo Tudjman, mort en 1999-, un parti conservateur proeuropéen. En 2003, Ruza Tomasic est l'un des dix députés élus sous cette étiquette. 

Sur son île, Super-Ruza relève alors un autre défi: faire cesser le trafic de stupéfiants, aux mains de la mafia locale. Brisant l'omerta, elle n'hésite pas à dénoncer les coupables dans les médias. Et réussit à faire coffrer la petite bande de trafiquants. Malgré la popularité que lui vaut cet épisode, elle ne peut se représenter en 2007. Le Parti du droit est miné par les dissidences, elle-même est exclue de ses rangs.  

Elle fonde son propre groupuscule, le Parti du droit-Ante Starcevic, et récupère son siège en 2011. Ante Starcevic est l'un des deux fondateurs du mouvement qui avait, en 1861, affronté la monarchie des Habsbourg. La petite statue de lui que conservait Ruza Tomasic dans son bureau du Sabor, le Parlement croate, devrait prendre sous peu le chemin de Bruxelles.

 

Renforcer l'économie du pays

Si une partie de l'ultradroite croate refuse l'adhésion à l'Europe, parce qu'elle y voit une nouvelle atteinte à la souveraineté croate "après Vienne et Belgrade", cette préoccupation est absente du discours politique de Ruza Tomasic. Refusant l'étiquette d'"eurosceptique", elle affirme qu'elle n'est pas opposée à ce que la Croatie rejoigne l'Europe, mais qu'il est à ses yeux "trop tôt", que le pays doit d'abord se renforcer, notamment sur le plan économique, pour ne pas se retrouver "en position d'infériorité" face aux autres Etats membres.  

Beaucoup d'observateurs pensaient qu'elle choisirait de rallier, à Bruxelles, le groupe du très antieuropéen et tonitruant Britannique Nigel Farage. Il n'en sera rien. Elle le trouve "trop à droite". Souci de respectabilité? Son choix s'est finalement porté sur le groupe des conservateurs et réformistes européens créé à l'initiative du Parti conservateur britannique, qui compte notamment dans ses rangs des Tchèques et des Polonais. 

La nouvelle députée européenne, qui dit vouloir défendre avant tout l'"intérêt national croate", n'assistera pas aux cérémonies organisées le 30 juin à Zagreb, en présence notamment du président serbe Tomislav Nicolic, pour fêter l'adhésion du pays à l'Union. Ce jour-là, elle ira à l'église, "prier pour la Croatie". Avant de s'envoler pour Bruxelles.

 

 

Par Dominique Lagarde

Source : lexpress.fr, le 1er juillet 2013.

 

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 

 

Rédigé par brunorosar

Publié dans #Hommes politiques, militaires et diplomates

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