Youri Agabekov

Publié le 11 Mai 2011

Youri Agabekov


 

En Russie et en Yougoslavie


Nacional : Racontez-moi le récit de vos origines russes, de votre père Ladislav Žerjavić.

- Mon père Ladislav Žerjavić appartient à la jeune génération ouvrière zagréboise de l'époque dont faisaient partie Pavle Gregorić, les frères Cvijić et bien d'autres. Tout cela peut être compulsé dans les livres. Ce sont eux qui ont réellement créé le parti ouvrier, qui ont lutté pour les droits des travailleurs. Mon père au cours de la Première Guerre mondiale a été retenu prisonnier en compagnie de Tito  en tant que soldat austro-hongrois, il faisait partie du même régiment. Par la suite ils se sont également retrouvés dans le même camp à Omsk. Revenu de sa détention habité par les idées acquises à l'époque de la révolution d'Octobre, il a participé à Zagreb à la création du Parti communiste légal en compagnie des camarades Gregorić et des [frères] Cvijić déjà mentionnés. Comme il travaillait chez Singer, le jour de la mort de Lénine, il a déployé le drapeau noir sur le bâtiment Singer situé sur la place Jelačić. La police a voulu l'arrêter et ses collègues lui ont suggéré de quitter le pays et de se présenter au centre du Komintern qui était situé dans l'Aga Gasse à Vienne. Là, en 1921, il a reçu un passeport et un nouveau nom - Agabekov. Muni d'un passeport russe il est entré en Russie pour y rester 35 ans. Il a épousé une Russe, ma mère Galina. Je suis né en 1926 dans la localité de Pokrovka en Ukraine. Le mariage de mes parents n'a pas tenu. Avec mon père je suis parti en 1941 pour la Sibérie et c'est là que nous avons passé les années de guerre. Mon père travaillait pour l'industrie alimentaire militaire de l'Union soviétique. En 1941 je suis revenu avec mon père en Yougoslavie, à Belgrade, à l'invitation de Tito pour qu'après la guerre soit bâtie une nouvelle Yougoslavie. Ma mère est restée en Russie. Cela constitue tout un roman mais de cela je ne souhaite pas parler.

Nacional : C'est en Russie qu'est née votre soeur. Où vit-elle aujourd'hui ?

- Elle vit à Kiev et il lui arrive de venir me visiter à Genève. Ma mère, je l'ai vue pour la première fois à quarante ans lorsqu'elle est venue me rendre visite à Genève.

Nacional : Que faisait votre père à Belgrade ?

- Il était directeur d'une usine de sucre à Čukarica, et moi j'allais à l'école. Nous vivions dans un grand appartement et tout alla bien jusqu'en 1951 lorsqu'ils ont tout bonnement arrêté mon père et l'ont emmené le 21 janvier 1951, le jour de la mort de Lénine. Nous avons appris où il se trouvait, et s'il était vivant, deux ans plus tard lorsqu'il nous a contacté pour la première fois depuis Goli Otok - six mois avant d'être libéré. Tous ceux qui connaissent l'histoire de la Yougoslavie savent quelle époque ce fut et je dois avouer que j'en parle avec réticence. Il s'agit bien entendu de la persécution des gens qui avaient des liens avec la Russie. Jamais ils n'ont jugé mon père, ils l'ont envoyé, comme on disait, en travail de rééducation sociale sur Goli Otok. Il a été placé à Petrova Rupa, ce qui est la pire sorte de prison. Durant ces trois années j'ai été livré à moi-même, à l'âge de 14 ans. Rapidement ils m'ont éjecté de l'appartement et je me suis retrouvé seul dans la rue. Des amis m'ont recueilli et m'ont donné une petite chambre dans laquelle j'ai attendu le retour de mon père en décembre 1953.

Nacional : Qu'est-ce qui s'est passé lorsque votre père est revenu ?

- Nous avons travaillé dans un champ, mon père et moi. Les gens revenus de Goli Otok ne pouvaient pas obtenir de travail ni de pension. Un ami de mon père, le nouveau directeur de l'usine de sucre, a dit pouvoir aider en nous permettant tout au plus de répandre de l'engrais chimique dans les champs de betteraves. C'est ce qu'on a fait jusqu'en mai et nous avons ainsi survécu dans une cabane en bois que nous avions construite dans le champ situé à quelques encablures de la localité de Kovačica, réputée pour ses peintres naïfs.

Nacional - Pourquoi vous et votre père avez-vous décidé de vous installer à Zagreb ?

- Mon père, après maints efforts, est parvenu à obtenir une pension et il a voulu revenir dans sa patrie, à Zagreb. Nous avons obtenu une petite chambre dans la rue Adžijina, au n°2. C'était en fait une buanderie au dernier étage du bâtiment où il y avait encore d'autres locataires. C'est cette chambre que j'ai quitté en 1958 pour la Suisse à l'âge de vingt-et-un ans. Mon père était fort entreprenant et il a vécu jusqu'en 1960. Il est enterré à Mirogoj.

Nacional : Où avez-vous travaillé lorsque vous êtes arrivé à Genève ?

- J'ai oublié de dire que je jouais à merveille au basket-ball. A Belgrade j'ai joué au sein du Mladost et je me rappelle d'un match où j'ai eu pour adversaire  Novosel lors du championnat junior de Yougoslavie. Le basket m'a également aidé à Genève... [1]

 

 

A Genève


Je n'ai pas fait d'étude d'ingénieur. Lorsque je suis arrivé à Genève, par l'un de ces hasards de la vie, je jouais au basket avec le Club athlétique de Genève. On m'a trouvé un travail à Sécheron. Je bricolais !" se souvient-il. Dix ans après son arrivée à Genève, l'homme - qui ne cache pas son ambition et un esprit individualiste - ouvre sa propre entreprise. Il se lance dans l'éclairage. "Personne ne faisait cela, il y avait un créneau à prendre. A l'époque, on éclairait les façades des bâtiments avec de simples spots !" Pour Youri Agabekov, c'est le début d'une grande aventure. "Architecte de la lumière", comme il se présente, il délivre ses précieux conseils, s'adaptant en permanence aux dernières évolutions en matière de source lumineuse. "C'est moi qui ai créé l'éclairage linéaire sur mesure", s'enthousiasme-t-il. http://www.agabekov.com/projects/media/1/20100430-AGA-Photo.jpg

En 1993, Youri Agabekov apprend que François Mitterand est à la recherche d'un spécialiste pour illuminer le Louvre : "Je n'avais pas de références mais j'ai envoyé mon projet. Et j'ai remporté le concours alors que les plus grands noms étaient prêts à effectuer le travail gratuitement !" Le contrat est paraphé à Genève. Six mois après la signature, quatre kilomètres de luminaires illuminent la magnifique Cour carrée du Louvre ! La suite ? Youri Agabekov est mandaté pour "habiller" l'Académie française, les treize ponts de Paris, la Place Stanislas de Nancy, le palais de la Principauté de Monaco, le portail de la cathédrale de Zagreb, la cathédrale de Barcelone, le Bolchoï, etc. : "Je suis retourné à Moscou cinquante ans après en être parti. Ma maison, dans le centre de Moscou est toujours là !"

Aujourd'hui, la société Agabekov possède des représentations dans plus de soixante pays. Connu du public dans le monde entier pour ses habillages sur mesure des plus beaux bâtiments, Genève lui doit l'éclairage du Bâtiment des Forces motrices, mais aussi de l'immeuble Bucherer et de la Banque Julius Baer, "le plus beau chantier du canton", selon lui. La méthode Agabekov, c'est avant tout de tout faire soi-même. Dans son atelier de la Pallanterie, l'homme collabore avec les mêmes employés depuis vingt-cinq ans. La publicité, le marketing, le site web, les études en matière de politique d'énergie, tout est réalisé depuis le bureau installé dans l'annexe de sa maison du Vésenaz afin d'être le plus proche possible du marché, des dernières tendances et, bien entendu, des clients. A ce titre, la société Agabekov SA a élargi son domaine de compétence en offrant la possibilité à la clientèle privée d'obtenir un éclairage sur mesure pour leur intérieur, le jardin, etc.

La crise ? "Depuis le mois de septembre, notre chiffre d'affaires a baissé, constate Youri Agabekov, qui a dû licencier trois personnes. Il ne s'agit pas que de la seule industrie de l'éclairage mais de tout un engrenage ! Pour contrer les effets de la crise, les gouvernements veulent investir des milliards, espérons que cela suffise !" Toujours à l'affut des dernières innovations technologiques respectant l'environnement, l'entreprise genevoise a breveté un système d'éclairage consommant beaucoup moins d'énergie que les méthodes traditionnelles. En ce moment, l'équipe travaille sur le relamping du Bellevue, le Palace, centre de congrès et d'exposition de Biarritz, que la société Agabekov a déjà éclairé il y a quinze ans. Les semaines à venir, les techniciens vont procéder au remplacement (sur le même châssis) des ampoules au xénon par des unités lumineuses brevetées mondialement, méthode applicable à tous les chantiers publics et privés préexistants. D'une puissance de 1W/24V par unité lumineuse, les AGA-LED consomment cinq à huit fois moins que les ampoules traditionnelles au xénon. [2]

 

 

Sources :
[1] http://www.nacional.hr/clanak/29964/mag-svjetla-s-tri-domovine
[2] http://www.liberal-ge.ch/uploads/media/Nouveau_Liberal_177_01.pdf



Rédigé par brunorosar

Publié dans #Economie et mouvements sociaux

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