Sena Jurinac

Publié le 26 Novembre 2011

Sena Jurinac, une des dernières représentantes de l'âge d'or de l'opéra viennois

 

 

 

Avec Sena Jurinac disparaît l'une des dernières représentantes du fameux âge d'or de l'opéra viennois d'après-guerre. La soprano autrichienne, d'origine croate, est morte le 22 novembre à Augsbourg (Allemagne) à l'âge de 90 ans.
Srebrena Jurinac était née à Travnik, en Yougoslavie (aujourd'hui Bosnie) le 24 octobre 1921. Fille d'un médecin yougoslave et d'une mère viennoise, Sena (ainsi que Vienne l'a surnommée) est formée à partir de 1939 au Conservatoire de Zagreb. Elle débute en mai 1942 à l'Opéra de Zagreb dans les rôles de Mimi (La Bohème, de Puccini).

 

Débuts le 1er mai 1945

 

Deux ans plus tard, auditionnée par Karl Böhm, elle est engagée à la Wiener Staatsoper. Elle n'y fera ses débuts que le 1er mai 1945, jour de la réouverture dans les locaux de la Volksoper, l'opéra ayant complètement brûlé sous les bombardements, dans le rôle de Cherubino des Noces de Figaro, rendant Mozart aux Viennois tout juste libérés de la dictature nazie par l'Armée rouge.

 

C'est également dans sa "maison et sa patrie artistique" qu'elle fera ses adieux le 20 novembre 1982 en Maréchale du Chevalier à la Rose, de Richard Strauss, après 37 ans d'une carrière au sommet, quelque 1 200 représentations (dont 300 mozartiennes avec 131 Cherubino) et un carrousel de 46 rôles différents.
Ce n'est pourtant pas à Vienne que se révèlera cette mozartienne d'exception qui possède, à en croire le musicologue André Tubeuf, "tout ce qui est la signature même de Mozart, ce frémissement maîtrisé (…) ; cet exquis équilibre de l'enjouement et de la gravité (…) ; ce naturel enfin, merveilleux, et constant, qui laisse entrevoir le théâtre, mais cache toujours ce qui est l'essence même de tout art, le travail, la discipline." (in Les Introuvables du chant mozartien dans L’Avant-Scène opéra).

 

Des années Mozart aux grand rôles verdiens

 

A Salzbourg, dès l'été 1947, Josef Krips lui a donné Dorabella dans Cosi fan tutte, un rôle avec lequel elle débute au Festival de Glyndebourne deux ans plus tard. "Par rapport à Vienne cette vie posée, dans cet endroit merveilleux - comme un endroit de vacances ! - et tout le temps consacré au même travail, et à un travail suivi, c'était comme un rêve !" déclara-t-elle.

 

C'est à Glyndebourne qu'elle fera en huit saisons consécutives la seule Fiordiligi (Cosi fan tutte) de sa carrière en 1950, ressuscitera Idomeneo dans le rôle d'Ilia en 1951(les airs ont été enregistrés), servira tour à tour Don Giovanni en Donna Anna et en Elvira. Elle épousera brièvement en 1953 le séduisant baryton-basse italien, Sesto Brucantini (1919-2003). "C'est ces années Mozart qui m'ont permis ensuite, peut-être, d’avoir encore vingt ans de rôles plus lourds." dira-t-elle plus tard.

 

Des rôles plus lourds ? Sena Jurinac conquiert progressivement le registre lyrico-dramatique qui marquera sa maturité. Sous l'ère d'Herbert von Karajan à l’Opéra de Vienne (1956-1964), elle aborde avec succès les grands rôles verdiens ainsi que le répertoire vériste italien. Après son unique Leonora de 1955 dans La Forza del destino à Edimbourgh, elle chante Desdemona (Otello, 1957), Elisabetta (Don Carlo à Salzbourg, 1958), un rôle majeur de son répertoire.

 

Tempérament de tragédienne

 

Dès 1957, sous la direction de Dimitri Mitropulos, elle a incarné une Madame Butterfly d'exception. S'ensuivront Marina (Boris Godounov, de Moussorgski), Tosca (Puccini), Jenufa (Janacek, 1964), et, à la fin des années 1960, Amelia du Bal masqué (Verdi), Marie de Wozzeck (Berg), Senta du Vaisseau fantôme (Wagner). C'est à Londres qu'Otto Klemperer lui offre en 1961 sa première Leonore dans Fidelio, un rôle qui transcendait son tempérament de tragédienne et laissait voir ses origines slaves.

 

Sena Jurinac a triomphé, jeune, dans les rôles de travestis - Cherubino (Noces de Figaro) et Octavian du Chevalier à la rose de Richard Strauss (un film subsiste de l'ouverture du nouveau Festspielhaus de Salzbourg en 1960 avec Karajan). Elle chantera plus tard celles qui recevaient ces élans d'amour juvénile : la Comtesse des Noces de Figaro (1964) et, en 1966, la Maréchale du Chevalier à la Rose au Covent Garden de Londres.

 

Rare légende européenne à n'avoir jamais foulé la scène du Metropolitan Opera de New York, Sena Jurinac s'est produite à San Francisco et Chicago. Parmi les miracles disponibles au disque : le Chevalier à la Rose d'Erich Kleiber en 1954 (chez Naxos), les repiquages des 78 tours de Cosi et Idomeneo ainsi que les Quatre derniers Lieder de Strauss avec Fritz Busch (EMI Classics), un Don Carlo avec Karajan en 1958 (Deutsche Grammophon) et des compilations : The Art of Sena Jurinac (chez Gala) et Sena Jurinac (chez Orfeo).

 

Par Marie-Aude Roux

 

Source : lemonde.fr, le 25 novembre 2011

 

 

 

Rédigé par brunorosar

Publié dans #Musique classique

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article