Origine du parler zagrébois

Publié le 28 Novembre 2009

La langue des anciens Zagrébois


 

Il est difficile de dire quelque chose d'un tant soit peu précis sur la langue que parlaient les Zagrébois avant le 16ème siècle étant donné que les sources du Moyen âge ne fournissent aucunes informations à ce propos. En effet, tous les témoignages écrits du Moyen âge l'étaient en latin et il est donc impossible de connaître le dialecte original que parlaient les anciens Zagrébois. C'est la raison pour laquelle les linguistes croates partagent des opinions diverses sur la langue des Zagrébois au Moyen âge. Certain d'entre eux, tels que Rudolf Strohal, considèrent que les Zagrébois ne parlaient pas kajkavien mais bien tchakavien au Moyen âge. Il a laissé entendre que l'on parlait tchakavien dans tout le Nord-ouest de la Croatie en allant du Međumurje jusqu'au littoral du Kvarner et que le dialecte kajkavien fut introduit dans cette partie de la Croatie par les contacts migratoires renforcés depuis la Carniole. Au cours du 16ème siècle, les Turcs avaient occupé une grande partie de ce qui était alors la Croatie. Toute la Slavonie était tombée entre leurs mains jusqu'au fleuve de la Cesma, ensuite les régions entre le fleuve de la Vrbas et de l'Una, et également au nord de l'Una toute la Lika, la Krbava ainsi que toutes les régions au-delà de l'Una jusque Sisak, Petrinja et Dreznik. Toute la population avait fui de ces régions par groupes importants en direction de l'ouest et du nord. Les Turcs implantèrent dans ces régions abandonnées des Valaques orthodoxes des Balkans qui y apparurent ainsi pour la première fois. Lorsqu'en 1698 l'armée des Turcs eut été défaite aux abords de Vienne, ceux-ci amorcèrent leur retraite à partir de certaines parties de la Croatie. Une partie des Valaques balkaniques se retira alors en Bosnie tandis que d'autres continuèrent leur existence dans les villages qu'ils avaient occupés auparavant. Ces Valaques avaient apporté dans les parties occidentales de la Croatie leur parler chtokavien à l'accent ijekavien. Les Croates qui s'installèrent plus tard dans ces régions adoptèrent dans une large mesure la langue de leurs nouveaux voisins. Dans ce contexte, il est difficile de dire ce qui se passa alors sur le territoire de Zagreb. Les habitants de Zagreb n'avaient pas abandonné leur ville au 16ème siècle, pas plus que les Valaques balkaniques ne s'étaient installés en grand nombre à Zagreb. Il reste que Zagreb, après que la Croatie se fut insérée dans un état commun avec le Royaume d'Autriche en 1527, avait reçu un nombre estimable d'immigrés parlant kajkavien à partir de la Carniole voisine. On ignore dans quelle mesure cela influença le parler courant des Zagrébois à cette époque. Il est néanmoins certain que tous les documents écrits à Zagreb en ce temps-là l'étaient en dialecte croate kajkavien. On peut sans hésitation mettre à l'actif des Valaques balkaniques le fait que le pronom "ca" a tout à fait été écarté dans de nombreuses parties de la Croatie occidentale pour être remplacé par le pronom "što". Il est difficile de préciser si les immigrés de Styrie et de Carniole jouèrent le même rôle dans la Croatie du Nord-ouest mais il est certain que les Zagrébois n'utilisèrent plus le pronom "ca" après le 16ème siècle et qu'ils se contentèrent du "kaj".

 

A Zagreb aussi le croate fut peu écrit au cours du 16ème siècle étant donné que l'intelligentsia croate dans le Nord-ouest de la Croatie était éduquée et instruite en latin. Les cours au lycée jésuite de Zagreb étaient également dispensés en latin. Dans cette école la langue croate n'y était pas apprise. Juraj Habdelic, le recteur du collège jésuite à Zagreb, fut celui qui publia le premier grand dictionnaire, le Dictionar, ili rechi szlovenszke z vekwega u red postalyene y diachkemi zlahkotene (Graz, 1670). Ce dictionnaire constitue la meilleure source pour celui qui souhaiterait de nos jours connaître les mots dont se servaient les Zagrébois au 17ème siècle. Les oeuvres ensuite publiées par les écrivains zagrébois - à partir du 18ème siècle - seront pour l'essentiel écrites en conformité avec ce qu'avait recommandé Juraj Habdelic.

 

Dans le langage courant, il semble que le dialecte kajkavien à Zagreb eut vécu son apogée à la fin du 18ème siècle et au début du 19ème. En ce temps-là, quand les Zagrébois parlaient croate, ils utilisaient le même dialecte qui était utilisé par les habitants de Prigorje venus des villages en dessous de Medvednica. Lorsque les "paysannes" (kumice) de Prigorje venaient à Harmica, les "petites dames" (gospice), pouvaient "converser" (spominjati se) avec elles dans la même langue et aucun mot employé ne leur était inconnu. Plus tard, des divergences apparurent en la matière. Le coup le plus dur qui sera porté au dialecte kajkavien à Zagreb est à mettre à l'actif du renouveau national croate. C'est alors que les illyriens de Zagreb, avec à leur tête le Dr Ljudevit Gaj, firent refluer le dialecte kajkavien de la littérature croate et du parler courant. Je me rappelle comment pas plus tard qu'avant les années soixante il existait des Zagrébois qui parlaient correctement le dialecte kajkavien. Le mode de vie récent en a effacé la notion. De plus en plus les gens à Zagreb se sont mis à lire la littérature et les journaux écrits en chtokavien, ils ont fréquenté les écoles avec des cours organisés sur la littérature croate et, enfin, la radio et la télévision ont joué un rôle majeur à cet égard, en contribuant à ce que les Zagrébois d'aujourd'hui oublient la langue que leurs aïeux avaient utilisée à une époque récente.

 

Il reste difficile à établir quand est-ce que la langue littéraire est entrée dans la littérature kajkavienne. Appartiennent en tout cas aux premières oeuvres imprimées de ce genre celles du chanoines Antun Vramec au milieu du 16ème siècle. Ses oeuvres Kronika et Postila furent écrites dans la langue que Vramec avait apprise alors qu'il avait vécu à Bresci en Styrie. La langue de Vramec n'est pas celle qui était alors parlée à Varaždin. Que ses livres eussent été imprimés à Varaždin ne signifie pas pour autant que la langue qu'il utilisait était calquée sur le parler courant qu'on employait alors à Varaždin. Du reste, la ville ne possédait pas d'imprimerie permanente et Vramec avait fait imprimer ses oeuvres dans ce que l'on pourrait appeler une imprimerie ambulante qui avait certainement stationné quelques temps à Varaždin et qui avait offert ses services aux intellectuels de l'endroit. L'étrange mélange entre le dialecte kajkavien de Zagreb et le dialecte de la basse-Styrie, plus le fait que Vramec qualifiait sa propre langue de "slovène" ajoutent du poids à la thèse qui veut que la langue littéraire de Zagreb et le parler courant au 16ème siècle aient découlé des liens culturels étroits entre la Croatie occidentale et la Carniole autrichienne. Au cours des deux cents ans à venir, la population zagréboise allait plus ou moins se servir d'une telle langue. Sur le plan littéraire, cette langue sera perfectionnée par l'un des derniers hommes de lettres zagrébois à avoir utilisé le kajkavien, à savoir Tomas Mikloušić (1767-1833). Le premier parmi les Croates à s'être élevé à l'encontre d'une telle langue littéraire sera le Dr Ljudevit Gaj. Gagné par les idées panslaves du Tchèque Jan Kolár, il avait posé les bases de la nouvelle langue illyrienne afin d'unifier davantage les Slaves du Sud. Gaj avait choisi le dialecte chtokavien à l'accent ijekavien pour la nouvelle langue illyrienne. Les Croates acceptèrent sans grande réticence la révision de la langue littéraire qu'avait entreprise Gaj, tandis que les Serbes, les Slovènes et les Bulgares ne voulurent pas même entendre parler de cette langue. Malgré cela, la langue illyrienne allait sous peu devenir l'appellation officielle de la langue littéraire croate. Des grammaires approfondies de cette langue furent rapidement élaborées par Vjekoslav Babukic, Antun Mažuranić et Adolfo Veber. Par la suite cette langue se perfectionna au niveau de la stylistique. Des contributions profitables seront fournies à cet égard par Fran Kurelac, Vatroslav Jagic et Djuro Daninic.

 

Compte tenu de tout ce qui vient d'être dit, il semble que la langue actuelle dont se servent les jeunes générations de Zagrébois ne possède plus de particularités dialectales établies. Certains Zagrébois continuent de parler un mélange linguistique dans lequel on retrouve ici et là quelques archaïsmes kajkaviens ou encore des vestiges ayant survécu de la grammaire kajkavienne. Une telle langue est la mieux préservée dans l'extrême périphérie de Zagreb où il existe encore aujourd'hui des hommes et des femmes très âgés qui parlent entre eux selon la façon apprise auprès de leurs parents.

 

Source : Mirko Marković - Stari Zagrebčani (Les Anciens Zagrébois), Naklada Jesenski i Turk, 2005, p. 85-88.

Rédigé par brunorosar

Publié dans #Zagreb

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