Jelena Lovrić

Publié le 20 Juillet 2010

Jelena Lovrić

 

 

  

Jelena Lovrić est une journaliste et chroniqueuse réputée travaillant ou ayant travaillé dans divers journaux et revues (Jutarnji list, Globus, Novi list, etc.). En 1998 et 2001 elle a été déclarée meilleure journaliste de l'année par l'Association des journalistes croate (HND).

 

 

 


Articles :

 

I. Vu de Croatie : la situation politique serbe menace la stabilité de la région


Le voisin croate regarde avec inquiétude se qui se passe de l’autre côté du Danube. La montée des ultranationalistes en Serbie annonce-t-elle un retour de l’instabilité dans la région ?


Les élections en Serbie n’intéressent pas beaucoup l’opinion publique croate, mais leurs résultats ont éveillé des craintes. Le fait que le vainqueur, avec environ un million de voix, soit le Parti radical ultra-nationaliste dirigé par Vojislav Šešelj, détenu à La Haye, pose des questions troublantes : est-ce que le temps dans les Balkans ne fait pas marche arrière vers 1990 ? Est-ce que les ambitions grand-serbes, qui au cours de cette campagne électorale également, ont dessiné les frontières de la Serbie au milieu de la Croatie, ne vont pas conduire à nouveau, comme il y a treize ans, au découpage des frontières par la guerre. Certains analystes étrangers (The Guardian) estiment que les effets en chaîne de ces élections pourraient se faire sentir dans toute la région : les dispositions antiserbes des Albanais se renforceront, l’instabilité ira croissante en Bosnie-Herzégovine, les « nationalistes antiserbes qui viennent de retrouver le pouvoir en Croatie se renforceront ».

La Serbie a certainement fait un pas en arrière. Comme dans d’autres cas, là où il n’y a pas de mouvement fort vers l’avant, on finit par glisser vers le passé. Les réformateurs mous, désorientés et inefficaces lancent des processus rétrogrades. A l’est, les représentants éminents des projets tchetniks et grand-serbes ont été livrés à La Haye, mais la Serbie n’a pas renoncé à Milošević et à Šešelj. Elle est plus proche d’eux qu’il y a trois ans. Des analystes pensent que les voix des radicaux sont dues à la misère sociale et au désespoir, et non pas tant au chauvinisme agressif.

Le nouveau gouvernement sera probablement formé par des partis d’orientation modérée, quand bien même leur modération est discutable. On peut s’interroger également de la stabilité de la nouvelle coalition constituée d’acteurs très variés : des démocrates proeuropéens (Labus) aux monarchistes nationalistes (Drašković) en passant par les nationalistes incontestables de type légaliste (Koštunica). Aujourd’hui, ce dont la Serbie a besoin le plus, c’est d’un gouvernement fort. Car sans cela, elle ne pourra régler aucun de ses énormes problèmes. La Serbie ne possède pas un territoire défini : les plaies du Kosovo et du Monténégro sont ouvertes. C’est une situation dans laquelle aucun Etat ne peut fonctionner.

Indépendamment de la rhétorique guerrière qui a raisonné de Belgrade au cours de la campagne électorale et indépendamment des légions qui ont renforcé son écho, la Serbie ne lancera pas de nouvelles guerres dans les Balkans. L’envolée des partisans de Šešelj ne conduira pas l’espace de l’ancienne Yougoslavie à la guerre, mais l’issue des élections nous indique que la Serbie pourrait être la source de gros problèmes et d’instabilité pour toute la région. Car on peut s’interroger si elle pourra ou souhaitera être un partenaire de sa normalisation et de sa stabilisation démocratique. On n’enverra plus de chars à travers le Danube, mais la confusion pourrait en provenir. Ivo Sanader, qui a déclaré à plusieurs reprises vouloir régler rapidement les questions ouvertes avec Belgrade, n’aura peut-être pas d’interlocuteur de l’autre côté.

Les résultats des élections en Serbie pourraient favoriser les dispositions antiserbes en Croatie. Le nouveau gouvernement se tient bien à cet égard (Le Guardian n’a pas raison lorsqu’il voit des nationalistes antiserbes dans le gouvernement de Sanader) : il n’enflamme pas les haines, ni les peurs, au contraire il ne cesse d’envoyer des messages attentionnés de collaboration et de bon voisinage. Le Premier ministre croate s’est retenu de commenter hier l’issue des élections serbes. Il a juste souligné le souhait de la Croatie de normaliser davantage ses relations avec Belgrade. Au ministère des Affaires étrangères, on espère que le nouveau gouvernement serbe sera démocratique et on se déclare « prêts à régler toutes les questions ouvertes ». Zagreb aide ainsi le plus les forces démocratiques en Serbie.


Traduit par Ives Tomic

Source : balkans.courriers.info, le 5 janvier 2004.

Article original paru le 30 décembre 2003 sur le site novilist.hr.


II. Le torchon brûle entre le clergé et le président

 

Pour le principal quotidien catholique du pays, le chef de l’Etat, Stipe Mesic, est un “traître”. Celui-ci contre-attaque en demandant le retrait des crucifix des institutions publiques.

 

A quelque mois de l’élection présidentielle, le principal quotidien catholique de Croatie, Glas Koncila [“La Voix du concile”], a brossé le portrait idéal du futur chef de l’Etat en ces termes : “Il doit défendre la vie humaine, la dignité du mariage et de la famille, plaider pour l’interdiction du travail dominical et la vérité sur la guerre patriotique [d’indépendance], ainsi que combattre la drogue, la corruption, la pornographie et la prostitution.” Le président Stjepan Mesic, partisan d’un Etat laïc, y a vu une véritable déclaration de guerre, d’autant plus que le quotidien le traite régulièrement de “traître”. Il y a répondu en demandant, en plein été, le retrait des crucifix de tous les lieux institutionnels. “Les symboles religieux ne devraient pas avoir leur place dans les ministères, les casernes, les hôpitaux, les écoles”, parce que “cela est en contradiction avec les principes d’un Etat laïc”, a affirmé Mesic.

 

Mais la croix n’est pas plus au centre de cette guerre qu’elle n’a été au cœur des croisades du Moyen Age. Les guerres entreprises au nom de la religion ont été souvent motivées par des intérêts tout à fait profanes.

 

Si le chef de l’Etat avait vraiment voulu soulever la question de la présence des signes religieux dans les institutions publiques, il n’aurait pas attendu dix ans. Il l’a fait aujourd’hui, à la fin de son second mandat, au moment où il a reçu une gifle, plus forte que d’habitude, de la part du clergé.

 

Si l’initiative de Mesic avait été motivée uniquement par le principe de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, garantie d’ailleurs par la Constitution, la présence ostentatoire des croix dans les espaces publics n’aurait pas été son argument de combat. Certes, certaines écoles ressemblent de plus en plus à des chapelles et, aux guichets des institutions d’Etat, on tombe souvent sur de petits autels improvisés. Mais le vrai problème réside dans les privilèges systématiques dont bénéficie l’Eglise en Croatie, qui n’existent dans aucun autre pays européen [l’Eglise croate est notamment le plus grand propriétaire foncier du pays]. De ce point de vue, le comportement d’une partie des structures de l’Eglise menace le caractère séculier de notre Etat. Mesic sonne ainsi l’alerte face au danger d’une “talibanisation” de la Croatie, où, jusqu’à preuve du contraire, ce n’est pas le clergé qui gouverne.

 

Il est pourtant vrai aussi qu’une partie de l’Eglise croate se comporte plus comme une organisation politique que comme une organisation religieuse. La Croatie n’est pas le seul pays européen dans lequel la présence de signes religieux dans les espaces publics fait l’objet de polémiques ; mais, à la différence de ce qui se passe dans les autres pays, le clergé croate n’a pas renoncé à s’imposer comme acteur politique.

 

Enfin, si les prêtres et les évêques – qui ont serré les rangs contre Mesic – tenaient tant à la signification et à la dignité des symboles de la foi, ils auraient réagi à l’utilisation abusive de ces symboles dans les écoles ou les administrations, une utilisation parfois choquante pour les croyants eux-mêmes.

 

Source : courrierinternational.com, le 10 septembre 2009.

 


 III. La diplomatie a du bon

 

 Zagreb et Ljubljana ont trouvé un compromis au différend frontalier qui les opposait depuis des années et bloquait l’adhésion croate à l'Union européenne. Jutarnji List détaille le rôle déterminant du Premier ministre de Croatie, Mme Jadranka Kosor, dans cette affaire.

 

Jadranka Kosor a obtenu sa première grande victoire depuis qu’elle est à ta tête du gouvernement croate [elle a pris ses fonctions début juillet 2009, date de la soudaine démission d’Ivo Sanader]. Mme Kosor a réussi à désamorcer le conflit avec la Slovénie au sujet de l’accès aux eaux internationales dans la baie de Piran, sur l’Adriatique. D’un côté, Zagreb a accepté de reconnaître que les documents et actions adoptés par la Croatie après 1991 "ne pouvaient avoir de valeur légale quant à la détermination de la frontière commune entre la Croatie et la Slovénie". De l’autre, Ljubljana s’est engagé a ne plus faire obstruction aux négociations d’adhésion de la Croatie à l’Union européenne (UE), dont la Slovénie est membre depuis 2004.

 

Zagreb et Ljubljana se sont mis d’accord pour résoudre le différend frontalier dans le cadre de l’arbitrage proposé par Olli Rehn, le commissaire européen pour l’Elargissement [et non plus devant la Cour internationale de justice comme l’exigeaient les Croates]. Comment Mme Kosor a-t-elle réussi à débloquer en quelques semaines un conflit qui a empoisonné la vie de son prédécesseur pendant des années ? Primo, elle a pris les rênes du pouvoir à un moment où il était devenu clair que la politique d’exacerbation des passions avait mené les deux parties dans l’impasse. Car, de ce bras de fer, personne ne sortait grandi : bien qu’elle ne se soit pas fait taper explicitement sur les doigts, la Slovénie a dû faire face au mécontentement de ses partenaires européens ; la Croatie, quant à elle, a perdu encore plus, son entrée dans l’UE étant repoussée d’un an [2012]. Secundo, la Slovénie et la Croatie ont pris conscience que la solution ne pouvait résider que dans le compromis et qu'elles allaient l'une et l'autre en tirer profit. "Nos deux Etats sont gagnants", a d’ailleurs expliqué le Premier ministre slovène Boris Pahor. Enfin, Jadranka Kosor a désamorcé le conflit en calmant les passions, ce qui a été décisif pour sa réussite. Dans les deux pays, ce différend bilatéral a été instrumentalisé pour les besoins de la politique intérieure. Cette fois, on a évité ce piège en confiant la résolution du problème aux diplomates, beaucoup plus discrets et efficaces.

 

A la différence de M. Sanader, Mme Kosor ne s’est pas livrée à des déclarations incendiaires – qui auraient chauffé à blanc l’opinion publique – sur la "défense de chaque pouce de la terre croate" . Elle a su, en revanche, gagner la confiance de son homologue slovène. Enfin, l’implication discrète mais efficace de Washington et l’engagement suédois [Stockholm occupe actuellement la présidence tournante de l’UE] ont sans doute été déterminants pour faire bouger les choses dans le bon sens. Mme Kosor s’est montrée, de fait, beaucoup plus réaliste que M. Sanader, trouvant ainsi une solution au problème qui a certainement contribué à faire chuter son prédécesseur.

 

Source : courrierinternational.com, le 16 septembre 2009.

 


IV. La fabrique des Croates désargentés

 

Jadranka Kosor attend le premier anniversaire de son intronisation en tant que Premier ministre à peu près là où elle se trouvait l'année dernière en cette période. Après que sa popularité se soit littéralement effondrée de moitié ces quatre derniers mois, elle est maintenant tout à fait redevenue ce qu'elle était lorsqu'elle avait été installée au poste de Premier ministre rendu soudainement vacant. L'appui dont bénéficie le Gouvernement a lui aussi sombré aux plus bas niveaux enregistrés à cette époque.

 

Quant au HDZ il retouche le fond qu'il avait déjà tâté au moment où Sanader était parti. Au cours de l'année écoulée la Premier ministre a affiché un bon chiffre d'affaires mais pas le moindre bénéfice. Est-ce que pour la Croatie cela équivaut à du temps perdu ?

 

C'est sur le plan de la politique extérieure que Jadranka Kosor a engrangé ses plus grands et inévitables succès, là où elle a été puissamment épaulée par les capitales étrangères. L'Amérique a assumé le boulot concernant l'accord d'arbitrage avec la Slovénie. La solution avait été mise au point dès l'époque de Sanader, sa remplaçante a été assez intelligente que pour s'en attribuer les mérites. Elle a permis que crève l'abcès de la corruption du HDZ, quoique les procès ouverts à ce niveau n'ont pas encore abouti à des résultats concrets - pas plus qu'à des jugements et confiscations des biens volés ou à une restructuration des entreprises publiques enfoncées dans la corruption. Bien qu'elle ait présenté un programme de sauvetage économique comme on n'en avait jamais vu avant elle, c'est dans la lutte contre la crise économique que l'on note le plus de lacunes. Pendant des mois elle en a remis la conception à plus tard et a raconté des fables tirées de la besace de Šuker [le ministre de l'économie, N.D.T], puis lorsqu'elle s'est enfin décidée, il s'est avéré qu'elle n'avait plus la force pour le réaliser.

 

En l'espace d'un an Jadranka Kosor a ruiné sa propre image soigneusement cultivée au fil des ans. Exactement comme dans le cas du projet Družba Adrija : en son temps féroce adversaire du projet, elle en est désormais sa promotrice. Toute sa carrière elle l'a bâtie en se présentant comme une créature dotée d'un tendre coeur féminin. Dans un monde politique de fauves elle a interprété le rôle de la personne avec un sens social très développé. Compatissante avec les éplorés de toutes sortes, en particulier ceux de la guerre. Distributrice de cadeaux, c'est à tire-larigot qu'elle a accordé des droits aux anciens combattants. De cette dorure il n'est presque rien resté. Le peuple aujourd'hui la perçoit comme une dirigeante insensible. Sourde et aveugle au sort de ses sujets. Sous son règne ne prospère que la fabrication de nouveaux pauvres : elle a acculé 150 mille personnes de plus dans cette catégorie. Fini les émotions, fini la compassion. Aujourd'hui elle se comporte comme une prima donna qui a été fortement déçue par le peuple ingrat.

 

Jadranka Kosor a détruit les ponts entre elle et le peuple. Les initiatives de son gouvernement ne recoivent pas l'assentiment de 60% des citoyens ; les syndicats lui ont tendu sous sa fenêtre plus de 800.000 signatures de protestation. Toutes les enquêtes indiquent que sa coalition au pouvoir se maintient en dépit de la volonté des citoyens. Le problème politique dérivant de ce que la Croatie est dirigée par un Gouvernement sans légitimité entraîne aussi ses conséquences économiques.

 

Un gouvernement sans appui ne peut pas fonctionner comme l'initiateur des nécessaires réformes économiques. L'analyste économique Damir Novotny souligne que pour lutter contre la crise économique, qui implique de nombreuses mesures impopulaires, la Croatie nécessite un nouveau pouvoir qui bénéficiera du soutien de la majorité des citoyens. Des élections anticipées, par conséquent, comme première mesure anticrise. Faute de quoi l'année qui vient sera également engloutie par toutes sortes de sauterelles.

 

Source : balkanikum.vefblog.net, le 3 juillet 2010.

 

 

Rédigé par brunorosar

Publié dans #Journalistes, chroniqueurs et photographes

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