Des médias qui ne gênent personne

Publié le 22 Décembre 2010

Médias en Croatie : corruption, censure et menaces

 



En Croatie, la plupart des médias sont privés, souvent propriété de groupes étrangers, mais toujours de mèche avec des partis ou des hommes politiques. Les journalistes sont censurés pour ne pas « gêner » les personnalités influentes. Les bouleversements politiques de ces derniers jours, suite à l’arrestation de l’ancien Premier ministre Ivo Sanader pour corruption et détournement de fonds, vont également toucher certains médias croates.


L’identité des propriétaires des médias est l’un des thèmes les plus secrets de l’espace médiatique croate, soulignent les membres de l’Association des journalistes croates ainsi que les experts des médias.

En général, on ne sait pas quelles sont les personnes qui se cachent derrière les propriétaires formels, mais on sait qu’elles interviennent directement sur la politique de la rédaction et qu’elles sont en étroite relation avec les politiciens et les hommes d’affaires, alors que les journalistes, selon l’un de nos interlocuteurs de Zagreb, tels des marionnettes menacées de licenciement, travaillent dans des conditions de plus en plus difficiles et écrivent sous la censure ou l’autocensure.

Pour la première fois en 18 ans, deux grèves des journalistes ont eu lieu la première semaine de novembre, l’une au journal Glas Istre et l’autre à la Radio 101.

« Nous sommes en grève car nos employeurs ont annoncé une trentaine de licenciements, une baisse drastique des salaires et l’augmentation de la semaine de travail de six jours au lieu de cinq », explique la présidente du Syndicat des journalistes de Glas Istre, Maša Jerin.

Nous avons obtenu cette déclaration par téléphone alors qu’elle entamait son quatrième jour de grève avec une trentaine de ses collègues devant le bâtiment de la rédaction dans la rue Riva de Pula, car l’employeur leur avait interdit le 15 novembre l’entrée dans les locaux du journal, décision validée par le Tribunal de Pula.

« Notre précédente société Glas Istre d.o.o a été ruinée, à cause de la vente des biens immobiliers et fonciers. Puis, en accord avec le maire de Pula, Ivan Jakovčić (IDS), la direction a obtenu 15 millions de kunas par les entreprises publiques et en acceptant cette somme d’argent notre administration a été de plus en plus sous leur influence », poursuit Maša Jerin.

Glas Istre, souligne la journaliste, n’a fait qu’exprimer tout haut ce que pensaient la plupart des médias en Croatie.
« On sait bien que les propriétaires défendent les intérêts de certains politiciens et hommes d’affaire, souvent en lien avec les milieux criminels et, en même temps, en tant que capitalistes néolibéraux, ils bloquent les droits des journalistes qui travaillent dans ces médias, ils les tiennent constamment sous la menace de les licencier pouvant ainsi les manipuler plus facilement et exercer une pression sur eux, de sorte que ces journalistes sont dépourvus de liberté, acceptent la censure et par conséquent ils ne servent pas l’opinion publique mais les desseins des propriétaires », constate Maša Jerin.



Les trois derniers médias publics

Presque tous les plus médias les plus importants en Croatie sont de propriété étrangère ou sous le contrôle des milieux politiques ou d’affaires. Il ne reste plus que trois médias publics : la Radio-Télévision croate (Hrvatska radiotelevizija), le quotidien Vjesnik, dont le sort est extrêmement incertain, et l’Agence nationale de presse, HINA.
 « Nous savons que 90% des tirages des quotidiens en Croatie appartiennent à deux grands groupes internationaux, WAZ et STYRIA, et la plupart des hebdomadaires et des revues sont la propriété de sociétés étrangères. Sur trois programmes de la TV nationale, deux appartiennent à des compagnies étrangères. Nous sommes donc dans une situation très singulière où la plupart des médias sont la propriété de compagnies étrangères, tandis que le journalisme devient de plus en plus mauvais », explique Stepan Malović, professeur des études de journalisme à la faculté des sciences politiques de Zagreb.

Bien que l’on sache que le groupe allemand WAZ (Westdeutsche Allgemeine Zeitung Medien Gruppe) est le plus gros actionnaire de Europapress holding (EPH), dirigé par Ninoslav Pavić, et bien qu’il publie le plus grand nombre de journaux tels que Jutarnji list, Globus, Slobodna Dalmacija, Sportske novosti et autres publications, on ne sait toujours pas exactement qui sont tous les propriétaires de cette puissante maison d’édition en Croatie.

« On a déjà entendu que Ninoslav Pavić est copropriétaire et qu’il détient formellement 50 % de EPH, tandis que le groupe WAZ détient 50 % avec le controversé homme d’affaire croate Miroslav Kutle, actuellement échappé d’une prison croate en Bosnie-Herzégovine. D’après ces informations les 50 % de Pavić comprendraient 25 % de Kutle qui depuis longtemps demanderait à Pavić de lui rembourser sa part, ce que Pavić ne peut soi-disant pas. En contre-partie il lui rend quelques services, comme par exemples la non publication sur la condamnation à la prison de Kutle, ou encore la non-publication de commentaires de certains journalistes connus comme Boris Dežulović. D’autre part, nous avons aussi le cas de l’achat de Slobodna Dalmacija. On ne sait pas encore quel en est le montant et si Pavić a effectivement acheté ce journal. Il y aurait eu un présumé deal conclu avec Ivo Sanader, et pendant longtemps, jusqu’à récemment, EPH aurait « épargné » l’ancien Premier ministre croate », explique le journaliste indépendant et blogger, Željko Peratović.



Oligarchie financière

À la différence de WAZ, qui fait partie de Europapress Holding, la compagnie autrichienne STYRIA détient 50 % du capital en étant le propriétaire majoritaire des plus gros tirages : Večernji list, 24 sati, Poslovni dnevnik et autres.
 
Les propriétaires des plus grandes chaînes TV privées en Croatie, RTL et NOVA TV, sont des étrangers mais qu’ils soient étrangers ou locaux, ils se comportent tous de la même façon, ajoute Željko Peratović.

« Nova TV est la propriété d’un hommes d’affaires américo-israélien et, poursuit Željko Peratović, il m’est arrivé un désagrément car cette chaîne possède aussi le site internet blog.hr, sur lequel j’avais mon propre blog. J’avais écrit sur cet investisseur israélien qui avait investi dans le golf de tourisme à Dubrovnik et sur son passé obscur, mais mon texte a été censuré sur la demande de son avocat.
 Lorsque les choses rentrent à leur place, conclut-il, il y a toujours derrière les propriétaires formels quelques noms et fonds connus, comme dans le cas du Nacional - dont le fondateur Ivo Pukanić a été assassiné en 2008, ndr -, et dont les actionnaires, pratiquement à la veille du décès de Pukanić, ont vendu leurs parts à Vienna Capital Partners. Il s’agit d’un fonds autrichien qui apparaît toujours comme l’intermédiaire de la banque, désormais très décriée, Hypo Alpe Adria, qui a négocié l’achat de diverses sociétés pour cette banque. C’est ainsi qu’elle a participé à l’achat de Novi list de Rijeka par Robert Ježić, dont la situation est très incertaine car le nouveau propriétaire utilise les fonds de Novi list, maison qui était très rentable, pour créditer ses activités pétrolières. Le propriétaire était un très bon ami d’Ivo Sanader, lequel lui aurait permis de réaliser de nombreuses affaires comme celle dont on parle actuellement, la compagnie Elektroprivreda croate », constate Željko Peratović.

Le président de l’Association des journalistes croates, Zdenko Duka, souligne que les propriétaires actuels des médias en Croatie ne sont nullement intéressés par les médias en tant que profession.

« Après la série d’affaires de corruption dont nous avons été témoins ces dernières années en Croatie, nous ne pouvons que supposer le rôle joué par certains propriétaires des médias. Par conséquent, ils sont de toute façon aujourd’hui encore en relation avec les politiciens, avec les hommes d’affaires et, si cette société est corrompue, alors ils le sont eux aussi », estime Zdenko Duka.

Le Professeur Malović avertit que la plupart des médias croates soutiennent ouvertement certains partis politiques lors des campagnes préélectorales et c’est pourquoi ils perdent ainsi de leur authenticité. « Il est légitime, dit-il, qu’un éditeur soutienne un certain courant politique mais dans ce cas il faut le dire publiquement, ce qui éviterait les jeux de cache-cache. Nos éditeurs ne sont pas encore arrivés à ce stade. Ils veulent agir dans l’ombre et ils le font très efficacement car ils sont très influents, de sorte qu’il est difficile de dire qui a une influence sur qui. Je pense que derrière tout cela se trouve une oligarchie financière qui dispose d’énormes moyens et qui les transvase d’un fonds à l’autre ».



Par Ankica Barbir-Mladinović
Traduit par Persa Aligrudić

Source : balkans.courriers.info, le 18 décembre 2010.

 

Rédigé par brunorosar

Publié dans #Littérature et médias

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