Démographie

Publié le 1 Août 2010

Retour vers un souci classique en Croatie : le dépeuplement (rural)


 

Le contexte général, en Croatie, est celui d'une dépopulation. Entre les recensements de 1991 et 2001, le déficit naturel est de 45.000. Or, la population recensée est passée de 4,784 à 4,437 millions d'habitants, soit une baisse de 347.000 habitants (-7,25%). On pourrait en déduire immédiatement un déficit migratoire de 302.000 à deux composantes (migrations économiques, mouvements de réfugiés). En fait, son évaluation précise se complique du fait des différences méthodologiques des deux recensements.

 

Auparavant, alors que la population légale de la Croatie progressait encore, la dépopulation était déjà depuis des décennies un sujet de préoccupations. En effet, la population réellement présente diminuait du fait de l'émigration économique vers l'étranger (bien supérieure au solde positif des migrations intra-yougoslaves), même si la méthodologie des recensements de l'ex-Yougoslavie dissimulait ce phénomène en incluant dans la population légale les "travailleurs temporairement employés à l'étranger et les membres de leurs familles y résidant avec eux"... fussent-ils partis depuis vingt ans. D'autre part, le solde naturel diminuait, jusqu'à être insignifiant à la fin des années 1980. Dans ces conditions, les campagnes subissaient un dépeuplement intensif, la population restante vieillissait, et les friches s'étendaient d'autant plus allègrement que la loi, plafonnant la propriété privée à dix hectares, entravait la concentration foncière.

 

Ce sujet préoccupant a donné lieu à de nombreuses études, parmi lesquelles celle du géographe Ivica Nejašmić faisait autorité. Dans un travail plus récent, la démographe Snježana Mrden étudie huit scénarios de prospective basés sur diverses hypothèses en matière de fécondité, de mortalité et de migrations. Elle conclut notamment que, à fécondité constante et avec un solde migratoire nul, la population du pays tombera à 3,9 millions en 2031, soit une chute de 520.000 (-11,7%) et qu'elle ne pourrait conserver son effectif actuel qu'avec un solde migratoire positif et un taux de fécondité au moins égal à 2,0 à partir de 2016 (1,37 en 2003), évolution fort peu probable.

 

Dans ce contexte de perspectives démographiques défavorables, certaines études mettent l'accent sur la spécificité des campagnes. Dès les années 1960, Svetozar Livada étudiait le vieillissement rapide de la population agricole, qu'il reliait à quatre causes : l'embauche des jeunes dans l'industrie, la reprise de l'émigration, la "peste blanche" (dénatalité) et la mortalité des jeunes pendant la Seconde Guerre mondiale. Un peu plus tard, Vlado Puljiz mettait l'accent sur la diversification de la société rurale, notamment sur l'augmentation rapide du nombre de paysans-ouvriers et plus généralement sur la diversification des sources de revenus des ménages. Le recensement de 1981 faisait apparaître que, depuis 1953, 88% des localités rurales de Croatie avaient perdu de la population (dont 21% de plus de la moitié de leurs habitants) et que, dans la Croatie montagnarde où se situe la Krajina précédemment évoquée, ces proportions atteignaient 93% et 35%. Plus récemment, Dražen Živič souligne, à propos de la Croatie orientale, que la baisse la plus rapide de la population rurale a eu lieu entre les recensements de 1971 et 1981, période de croissance économique rapide, et non dans les difficiles années 1990 (-15,3% et -8,2% respectivement). Cela s'explique tant par les difficultés propres de l'agriculture (exploitations de très petite taille, parcellaires émiettés, revenus agricoles bas) que par l'embauche massive dans l'industrie. Au total, de 1971 à 2001, la population agricole est tombée de 39% à 8% de la population totale, son vieillissement est extrême et on commence à manquer de bras.

 

Le déclin et le vieillissement de la population totale, et plus particulièrement de la population rurale, observés en Croatie, s'inscrivent dans une évolution d'ensemble qui touche la plus grande partie des campagnes de l'Europe centrale et orientale ex-communiste. [...] 

 

Resituer de cette manière la crise des campagnes croates implique d'abord le rappel de deux antécédents : un dépeuplement et un vieillissement préoccupants depuis plusieurs décennies, une stagnation économique amorcée en 1981. En 1990 débute une transition qui, pour avoir revêtu ici une forme guerrière, n'en est pas moins une transition post-collectiviste, comme la montré Marina Glamocak. Dans ce contexte, les campagnes croates ordinaires souffrent de la crise générale de l'économie qui multiplie le chômage et compromet le mode d'existence de nombreux paysans-ouvriers. Celles qui sons affectées par la guerre et le "nettoyage ethnique" voient leur population chassée et leur économie détruite. Dix ans plus tard, leurs problèmes principaux concernent le repeuplement, le rétablissement du lien social, la reconstruction, l'investissement productif, la résolution de nombreux contentieux sur des questions de propriété. Mais au-delà, dans la perspective de l'adhésion probable à l'Union européenne, leur problème de fond est le même que celui des campagnes croates ordinaires : des structures agraires totalement inadaptées. Après un morcellement qui a duré du milieu du XIXe siècle au milieu du XXe siècle, la superficie moyenne de l'exploitation est de 2,8 ha, celle de la parcelle de 0,6 ha. Et même si, depuis 1960, le nombre total d'exploitation s'est quelque peu réduit, celui des exploitations de moins de un hectare a continué de croître. Des études récentes soulignent le retard de la Croatie en matière d'aménagement rural et le manque d'une politique adéquate pour le développement des campagnes, tandis que la presse dénonce parfois la métropolisation du développement, qui aurait abouti à un écart interrégioanal de un à quatorze en termes de PIB/hab. D'autres études insistent sur les effets négatifs de la réforme qui, en créant vingt départements, a polarisé le développement au niveau régional au détriment du développement local autrefois promu par les cent vingt communes du système communiste autogestionnaire. D'autre part, le niveau de vie de la grande majorité des habitants de la Croatie exclut un habitat (néo)-rural avec de longs déplacements quotidiens domicile-travail. Dans ces conditions, en dehors des abords des villes et d'une partie du littoral, il est probable que vont se maintenir et s'étendre de nombreuses situations rurales, montagnardes et insulaires caractérisées par de basses densités de population, des problèmes de pauvreté et d'isolement, des difficultés d'accès aux services publics et dépourvues du dynamisme qui permettrait de parler de "renaissance rurale". Les envois d'argent des migrants économiques à leurs familles continueront d'atténuer un peu ces difficultés. Mais, dans le contexte de la mondialisation libérale, sauver les nouveaux déserts croates dépendra pour l'essentiel d'un volontarisme de l'Etat et d'aides de l'Union européenne.

 

par Michel Roux.

 

Source : Laurence Barthe, Habiter et vivre dans les campagnes de faible densité : actes du colloque franco-espagnol de géographie rurale, Foix, 15-16 septembre 2004. Presses Univ Blaise Pascal, 2007, pp. 239-242.

Rédigé par brunorosar

Publié dans #Démographie et populations

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