Brigadistes suisses aux côtés des partisans

Publié le 21 Janvier 2010

Médecins suisses chez Tito


par Roderic Mounier

Documentaire - Le cinéaste genevois Daniel Künzi a retrouvé la trace des médecins suisses qui ont soigné les résistants yougoslaves en 1944.

On connaissaît l'histoire des brigadistes suisses qui ont combattu aux côtés des républicains pendant la guerre d'Espagne (1936-1939). Mais on ignorait qu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, des médecins helvétiques s'étaient rendus sur le front yougoslave. Sous la bannière de la Centrale sanitaire suisse (un organisme proche des communistes), ils ont été une poignée à rejoindre les partisans de Tito qui, appuyés par Churchill et Staline, affrontaient la Wehrmacht, toujours coriace malgré la déroute imminente. Réalisateur de documentaires et militant de la gauche genevoise, Daniel Künzi éclaire cet épisode oublié des historiens, dans un film projeté dès ce soir à Genève. "Mission chez Tito. Les missions de la Centrale sanitaire suisse en Yougoslavie 1944-1948" a nécessité sept ans de recherches. Pour Daniel Künzi, dont la filmographie compte une dizaine de courts et longs métrages, c'est l'aboutissement d'une tétralogie consacrée aux Suisses antifascistes - en Espagne, ou contre les nazis avec de Gaulle.


Un tournant de l'Histoire

C'est d'ailleurs un peu par hasard qu'il a entendu parler pour la première fois de ces missions de Yougoslavie. En retrouvant les protagonistes du passé, en Suisse, en Croatie, au Monténégro, et en exhumant les archives qui dormaient à la Cinémathèque suisse et à la télévision monténégrine, Daniel Künzi retrace un engagement vécu alors par les médecins suisses comme un double impératif : humanitaire et idéologique.

"On avait le sentiment d'être à un tournant de l'Histoire, où les nazis pouvaient perdre", explique le nonagénaire zurichois Paul Parin, un ethnopsychiatre renommé. Les motivations de Marc Oltramare (récemment décédé) sont aussi personnelles : besoin de se démarquer de son oncle, le fasciste genevois Géo Oltramare, et de suivre son épouse d'alors, une communiste fervente... qui deviendra la secrétaire de Tito. Quant au Tessinois Elio Canevascini - qui ne pourra être présent ce soir à Genève comme prévu -, il avait combattu aux côtés des anarchistes en Espagne : de quoi forger des convictions fortes. La solidarité internationale, le socialisme réel, une société sans classes, tous en ont fait l'expérience, même s'ils ont assisté en Yougoslavie à "la transformation rapide de la révolution en bureaucratie", dès la victoire acquise...

Et si les autorités fédérales de l'époque étaient hostiles à "cette bande de communistes", les anciens partisans retrouvés par Daniel Künzi, eux, évoquent avec émotion le courage et le savoir-faire des médecins suisses. Jour et nuit, dans des conditions difficiles et avec un matériel rudimentaire, ils ont sauvé des vies et évité des amputations.


Soixante ans plus tard

A ce travail de mémoire, le cinéaste genevois joint un appendice original : 60 ans plus tard, il retourne dans ce qui est devenu l'ex-Yougoslavie, avec les membres d'une mission du Service civil international et du Groupe pour une Suisse sans Armée, qui ont participé en 1994 à la reconstruction de la ville croate de Pakrac. L'occasion de tirer des parallèles et de faire dialoguer deux générations de volontaires, même si l'articulation des deux expériences, pertinentes sur le fond, apparaît un brin forcée.


Trois questions à Daniel Künzi*

propos recueillis par Roderic Mounier

- Comment avez-vous appris l'histoire des médecins suisses en Yougoslavie ?

C'est l'historien Marc Perrenoud qui m'en a parlé pour la première fois. L'unique trace dans toute la littérature helvétique était une mention dans la brochure du cinquantenaire de la Centrale sanitaire suisse. Quand j'ai interviewé Elio Canevascini pour mon film sur la guerre d'Espagne, il s'est trouvé qu'il avait participé à ces missions. Ensuite, j'ai piétiné longtemps pour obtenir des images d'archives et retrouver les acteurs : en particulier les patients de l'époque car la récente guerre en ex-Yougoslavie a pulvérisé toutes les associations d'anciens combattants.

- En prolongeant votre propos avec l'expérience de Pakrac en 1994, n'avez-vous pas réalisé deux films en un ?

C'est vrai, mais ce qui compte, c'est l'unité de lieu et de démarche. A des périodes et dans des contextes différents, des Suisses ont voulu apporter leur aide. Même si la reconstruction sociale dans une Yougoslavie décomposée apparaît finalement plus ardue. L'un des médecins le dit lui-même : en 1944, les fronts étaient clairs, il y avait les bons et les méchants, alors qu'en 1994, il aurait hésité à s'engager.

- Votre documentaire est-il un plaidoyer pour la solidarité internationale ?

Oui, et contre la guerre, qui est toujours sale, même lorsqu'il s'agit d'une guerre de libération : le Dr Canevascini reste hanté par le souvenir de l'exécution d'un jeune délateur. Néanmoins, j'ai voulu souligner la continuité, montrer que la solidarité n'est pas morte et qu'au fond de l'humain, il n'y a pas que "la bête", mais aussi de la compassion.


* Daniel Künzi a réalisé une douzaine de films, dont "La Suisse et la guerre d'Espagne" (2002) et "Après le goulag" (2004). Il termine actuellement le montage d'un documentaire sur les grévistes de la Boillat.

Source : le courrier.ch, le 15 septembre 2006.

Rédigé par brunorosar

Publié dans #Les partisans

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