Šatoraši (Les campeurs)

Publié le 2 Avril 2015

1. Les vétérans, éternelles marionnettes pour la droite « patriote »

 

 

Les vétérans qui campent depuis octobre à Zagreb pour dénoncer l’attitude du gouvernement de centre-gauche à leur égard ont été un atout considérable à la victoire de la droitière Kolinda Grabar Kitarović lors de la présidentielle. Depuis la guerre, le HDZ se sert des vétérans pour rassembler la Croatie derrière des « valeurs patriotiques ». L’analyse d’un écran de fumée électoraliste.

 

Depuis son arrivée au pouvoir, Kolinda Grabar Kitarović (KGK) affiche sans complexe des amitiés douteuses : trafiquants de drogue, criminels de guerre, mafieux, chefs d’entreprise corrompus, etc. et, bien entendu, vétérans censés enseigner aux citoyens l’amour de la patrie. L’action des vétérans, qui campent devant le 66 de l’avenue Savska depuis l’automne, a en effet été pour KGK un atout préélectoral considérable, ce qui est loin d’être une exception dans l’histoire du HDZ.

« Il nous faut commencer une deuxième guerre patriotique » : voilà l’expression utilisée par le chef de l’opposition Tomislav Karamarko, lors d’un rassemblement du HDZ à Šibenik, pour annoncer la création de nouveaux emplois. Une rhétorique guerrière qui lui a, de son propre aveu, rapporté trois victoires (aux élections locales, européennes et présidentielle). Quant à l’objectif final, la victoire aux législatives, qui auront lieu en fin d’année, il devrait notamment être atteint grâce aux organisations de vétérans organisées en front. Dans la première partie du mandat de la coalition actuelle, ce rôle avait été tenu par Stožer et sa défense d’un Vukovar croate, pour être maintenant endossé par les manifestants du 66 avenue Savska, surnommés « les campeurs ». Tandis que les Stožer avait mobilisé l’opinion publique de droite contre les droits linguistiques des minorités à Vukovar, leurs successeurs ont commencé les manifestations par des revendications sociales, c’est-à-dire en s’opposant à l’intention du gouvernement de réduire les avantages matériels dont jouissent les vétérans.

Les gouvernements croates « de gauche » sont régulièrement confrontés à la manipulation politique des sentiments pro-vétérans. Ainsi, en 2000, le gouvernement d’Ivica Račan avait dû composer avec plusieurs dizaines de milliers de manifestants à Split, les mêmes qui avaient deux ans plus tard porté Ivo Sanader au pouvoir. À l’époque, c’étaient Mirko Norac et son assignation en justice qui avaient suscité la mobilisation.

Si Karamarko est toujours prêt à ce type de mobilisations, c’est que les organisations de vétérans ont pour lui au moins deux fonctions. Tout d’abord, les vétérans, et pas seulement en Croatie, se considèrent comme une sorte d’élite morale, les seuls à même de rassembler toutes les forces nationales. L’idéologie des vétérans s’efforce ainsi de transcender les divisions à l’œuvre dans la société et la politique. Leur seule expérience du front est censée leur donner un avantage par rapport aux autres citoyens/civils et leur attribuer la sainte mission de représenter implicitement, eux les survivants, toutes les victimes de la guerre.

Pourtant, les revendications des vétérans peinent à recueillir le soutien de l’opinion publique, et surtout de la composante « libérale » de la société. Entre autres parce que les vétérans sont souvent perçus comme un groupe social corrompu, blason qui n’a guère été redoré par l’affaire des faux vétérans.

Les associations de vétérans, qui se vivent comme le fondement d’une nouvelle nation, peinent à promouvoir le soldat revenu du front comme symbole inviolable du patriotisme, archétype national et rôle modèle du citoyen démocratique. Ce problème, lié notamment à la corruption élevée de leurs dirigeants, dure depuis la démobilisation. Les circonstances du début de la guerre n’ont certes pas aidé : la défense s’est formée de manière sectaire autour de deux milices partisanes, la Garde Nationale Croate (ZNG), affiliée au HDZ, et les Forces de Défense Croates (HOS), fondées par les nationalistes du Parti croate du droit de Dobroslav Paraga. Rappelons que, dans un premier temps, seuls les membres de ces partis recevaient des armes.

Ainsi, au lieu de devenir les porteurs des valeurs républicaines, nos vétérans, ou plutôt les directions des associations, compromettent cette possibilité en optant pour une autre voie, celle de la cooptation volontaire par le HDZ.

En contrepoint, le HDZ se présente comme la seule force politique à prendre soin des vétérans. C’est faire fi des conflits qui ont régulièrement éclaté entre les deux alliés, mais qui sont, moyennant un peu de corruption, toujours passés à la trappe. Les premières revendications des vétérans ont été définies immédiatement après la guerre. Ainsi, en 1996 déjà, l’Association des vétérans croates de la guerre pour la patrie (UHVDR) avait recueilli pas moins de 90 000 signatures pour une pétition qui réclamait 15 engagements fondamentaux : distribution d’actions, prime aux vétérans, doublement de la durée de cotisation pour la période passée à la guerre, emploi, gratuité des soins et médicaments, scolarité gratuite, allocations familiales maximales, crédits immobiliers et aux entreprises, etc.

Franjo Tuđman lui-même avait commenté que « ces exigences avaient tout l’air d’avoir été écrites par un ennemi de la Croatie ». Le bref mais intense conflit gouvernement-vétérans avait été à l’époque étouffé grâce à la manipulation des chefs des associations, qui se sont avec le temps, de représentants réels des soldats démobilisés, métamorphosés en clubs selects défenseurs des intérêts de certains individus et cliques. Ainsi, suite aux événements de Split en 2001, une bonne partie des leaders des vétérans avaient connu une ascension politique ou économique, et certains des « campeurs » sont aujourd’hui passés directement des tentes du 66 rue Savska à l’équipe de la nouvelle présidente.

Les premières restrictions des droits des vétérans sont apparues sous la première coalition sociale-démocrate, qui, sur les conseils du FMI, a supprimé les privilèges des vétérans concernant l’import d’automobiles et relevé le taux d’imposition des allocations spéciales. Le HDZ, curieusement, n’a détricoté aucune de ces mesures en arrivant au pouvoir, tout comme Karamarko, quand il arrivera enfin au pouvoir, poursuivra vraisemblablement la politique de coupe dans les droits des vétérans menée par le gouvernement de centre-gauche actuel. À la seule différence que ceux qui protestent aujourd’hui resteront probablement silencieux.

KGK, quant à elle, semble avoir des difficultés à poursuivre sa tactique électorale une fois au pouvoir, et rassembler la société croate divisée sur des bases de discours de haine et de discorde s’avère plus difficile que prévu. Ainsi ont eu lieu dès le 21 février les premières manifestations massives contre les vétérans « campeurs ». La police a certes rapidement fait régner l’ordre dans les rangs des « fauteurs de trouble », mais la question de savoir qui représente réellement une « menace pour l’ordre public et la paix » ne pourra pas éternellement être évitée.

Comme l’a justement fait remarquer l’éditorialiste Boris Dežulović, « l’unité croate » est un mythe, et les divisions profondes de la société ne pourront être surmontées en exauçant les désirs des seuls amis douteux du HDZ. Les manifestants du 21 février ont envoyé un message clair non seulement à KGK, mais plus encore à son parrain Karamarko, qui s’est d’ores et déjà publiquement humilié en affirmant qu’il serait « insulté d’être traité d’antifasciste ». Il y a donc fort à parier qu’une fois de plus, une fois les prochaines législatives remportées, le HDZ abandonne les vétérans (à l’exception de certains alliés triés sur le volet) à leur sort. Jusqu’au prochain scrutin, bien entendu.

 

 

Par Rade Dragojević et Marijan Vogrinec

 

Traduit par Chloé Billon

 

Source : balkans.courriers.info, le 1er avril 2015.

Source originale : h-alter.org et bilten.org, le 25 février 2015.

 

 

 

 

2. Des vétérans croates retranchés dans une église

 

 

Plus de cent anciens combattants croates, dont des invalides, qui manifestent depuis des mois contre le gouvernement, se sont aujourd'hui retranchés dans une église du centre de Zagreb encerclée par la police.

Les vétérans croates en ont ras le képi. Voilà des mois qu'ils affirment que leurs droits sont menacés et demandent le vote d'une loi qui les protégerait. Leurs revendications n'étant pas considérées, ils réclament depuis octobre la démission du ministre des Anciens combattants, Predrag Matic. Rassemblés hier sur une place de Zagreb faisant face au siège du gouvernement, ces anciens combattants du conflit serbo-croate de 1991-95 réclament désormais de rencontrer le premier ministre social-démocrate Zoran Milanovic.

Le chef du gouvernement croate a déclaré à la presse en début d'après-midi être prêt à les rencontrer lundi et a assuré que son gouvernement n'avait aucune intention de toucher aux droits des anciens combattants. Milanovic a accusé l'opposition conservatrice (HDZ) de manipuler les manifestants à l'approche d'élections législatives attendues pour la fin de l'année. "Je compatis avec les anciens combattants, avec tous ceux qui ont des difficultés, mais je n'aime pas la manipulation. Les menaces et le chantage ne passeront pas", a-t-il déclaré.

Hier soir, quelque 130 manifestants se sont retranchés dans l'église Saint-Marc lorsque les forces spéciales de police sont intervenues pour les disperser. En Croatie, tout rassemblement à proximité du siège du gouvernement après 22h est interdit. aujourd'hui, la police antiémeute était toujours déployée devant l'église et toute la zone était bouclée. Un groupe de 200 autres manifestants a afflué dans la journée à proximité du quartier abritant le siège gouvernement. Une cinquantaine d'entre eux ont réussi à forcer le cordon de police et se sont rassemblés devant l'église.

 

 

Source : lefigaro.fr, le 29 mai 2015.

 

 

 

 

3. Des ex-combattants quittent l'église où ils étaient retranchés

 

Zagreb - Une centaine d'anciens combattants croates ont quitté vendredi en fin d'après-midi une église dans laquelle ils étaient retranchés dans le centre de Zagreb, après que le Premier ministre eut accepté de dialoguer avec eux.

 

Escortés par la police, les anciens combattants du conflit serbo-croate de 1991-95 qui s'étaient rassemblés jeudi sur une place faisant face au siège du gouvernement, ont quitté sans incident l'église où ils s'étaient réfugiés peu après lorsque les forces spéciales de police sont intervenues pour les disperser, tout rassemblement étant interdit à proximité du siège du gouvernement après 22H00 (20H00 GMT).

 

Nous avons décidé d'accepter la proposition du Premier ministre Zoran Milanovic et de le rencontrer lundi, a déclaré à la presse Djuro Glogoski président d'une association d'anciens combattants.

 

Ce groupe réclame depuis octobre la démission du ministre des Anciens combattants, Predrag Matic et exigeait d'être reçu par le Premier ministre. Ils affirment que leurs droits sont menacés et veulent le vote d'une loi qui les protégerait.

 

M. Milanovic a déclaré à la presse en début d'après-midi être prêt à les rencontrer lundi et a assuré que son gouvernement n'avait aucune intention de toucher aux droits des anciens combattants.Il a accusé l'opposition conservatrice (HDZ) de manipuler les manifestants à l'approche d'élections législatives attendues pour la fin de l'année.

 

Dans la journée, un groupe de 200 autres manifestants a afflué à proximité du quartier abritant le siège gouvernement, mais la police les a tenus à l'écart.

 

Je compatis avec les anciens combattants, avec tous ceux qui ont des difficultés, mais je n'aime pas la manipulation. Les menaces et le chantage ne passeront pas, a déclaré M. Milanovic.

 

Il a accusé le chef du HDZ, Tomislav Karamarko, et la présidente Kolinda Grabar Kitarovic, issue du HDZ, d'être derrière ces protestations.

 

C'est la première fois que nous avons une formation qui veut prendre le pouvoir en essayant de faire peur à la population, a dénoncé M. Milanovic.

 

Mme Kitarovic avait appelé pour sa part les manifestants et le gouvernement à faire preuve de dignité et à ouvrir un dialogue.

 

En Croatie, pays de 4,2 millions d'habitants, il y a environ 500.000 anciens combattants.

 

Des élections législatives devraient avoir lieu en fin d'année, sur fond de très forte impopularité du gouvernement de M. Milanovic en raison d'une grave crise économique qui frappe depuis six ans la Croatie,

le tout dernier membre en date de l'Union européenne.

 

La proclamation de l'indépendance de cette ex-république yougoslave en 1991 avait été suivie d'un conflit de quatre ans avec les sécessionnistes serbes de Croatie, soutenus par l'armée fédérale yougoslave et le régime au pouvoir à Belgrade, qui s'opposaient à cette indépendance.

 

 

Source : romandie.com, le 29 mai 2015. 

 

 

 

Rédigé par brunorosar

Publié dans #Thèmes politiques et identitaires

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