Radio 101

Publié le 20 Mars 2015

« Un retour aux années 1990 serait très dangereux »

 

 

 

En 1996, le pouvoir croate a voulu faire fermer une station indépendante, Radio 101. Dans son dernier film, « Le jour de l’indépendance de Radio 101 », le réalisateur Vinko Brešan revient sur l’extraordinaire mobilisation que ce geste a provoqué. L’occasion d’évoquer la situation actuelle du pays et de sa presse. Le Courrier des Balkans l’a rencontré à l’occasion du festival Zagrebdox.


 

Le Courrier des Balkans (C.d.B.) : Dans votre film, vous retracez l’histoire de la Radio 101, symbole de la presse indépendante, qui fut menacée de fermeture en 1996, sur ordre de Franjo Tuđman, alors Président de la République. Que représente aujourd’hui cette radio ?

 

Vinko Brešan (V. B.) : Radio 101 a une histoire très particulière. En 1996, plus de 120.000 personnes sont descendues dans la rue pour montrer leur soutien et leur attachement à cette radio. Mais à l’heure actuelle, Radio 101 n'est qu'une fréquence parmi d'autres, elle ne représente plus rien d'important. Ce qui demeure intéressant dans ce film, c'est de voir l'état d'esprit qui régnait à l'époque, alors que beaucoup regrettent le "bon vieux temps" des années 1990, comme le HDZ. Cette idée reste très dangereuse, car nous avons oublié ce qu'étaient vraiment les années 1990 !

 

C.d.B. : Votre film montre les images d’une manifestation énorme, comme on n’en a plus jamais vue à Zagreb. Les Croates ne protestent-ils donc plus ?

 

V. B. : Les Croates sont résignés. Cela fait 14 ans qu’ils sont déçus, une méfiance est née envers tous les partis et la classe politique. Les citoyens ne croient plus à la lutte pour défendre leurs valeurs. Je ne sais pas ce qu’il faudrait qu’il se passe pour que les gens se mobilisent.

 

C.d.B. : À l’époque où ce grand rassemblement se tenait dans la capitale, Franjo Tuđman était en déplacement aux États-Unis. Que se serait-il passé s’il était resté à Zagreb ?

 

V. B. : (rires) Ah, on ne peut pas refaire l’histoire... Dans tous les cas, même si Franjo Tuđman était resté dans la capitale, les Croates se seraient réunis place du Ban Jelačić. La question que je me pose, c’est comment aurait agi la police dans ce cas ? Est-ce qu’elle se serait limitée à regarder, comme elle l’a fait, ou serait-elle intervenue, comme Tuđman l’aurait exigé ? Je ne sais pas…

 

C.d.B. : Que pensez-vous de Franjo Tuđman ?

 

V. B. : Je le définirais comme un autocrate. Son mode de penser, son nationalisme, son idée de la démocratie rejoignaient davantage les idées de la fin du XIXème siècle que celles des années 1990. Mais il faut dire aussi que Tuđman était un vrai politique, il était compétent. D’ici 300 ans, je suis sûr que l’on parlera encore de lui. Par contre, qui se rappellera de notre dernier Président ? Moi-même, je ne me souviens déjà plus de ce qu'a fait Josipovic. Imaginez-vous dans 300 ans !

 

C.d.B. : De qui se souviendra-t-on parmi les hommes politiques croates d’ici 300 ans ?

 

V. B. : Personne. Il n’existe plus véritablement de personnalités politiques.

 

C.d.B. : Dans votre documentaire, on voit le HDZ se déchirer entre modérés et radicaux. Une faction du parti se mobilise même pour défendre Radio 101 contre la volonté du Président Tuđman. Depuis cet événement, quelle voie le HDZ a-t-il pris ? Est-il plus modéré ou plus radical ?

 

V. B. : Après la mort du Président en 2000, le HDZ a essayé de devenir un parti conservateur modéré. Mais cette direction s’est interrompue avec l’arrestation en 2010 de l’ancien Premier ministre, Ivo Sanader. Depuis, le HDZ est redevenu un parti radical.

 

C.d.B. : En 1996, les journalistes de la Radio 101 ont provoqué un rassemblement unique. Même les vétérans de la guerre d’indépendance les ont défendus. Est-ce que cette réaction serait encore possible aujourd’hui ?

 

V. B. : Non, je ne pense pas. A l’époque, Radio 101 représentait aussi les valeurs démocratiques. C’est pour cela qu’elle a reçu beaucoup de soutien. Aujourd’hui, je ne vois pas qui pourrait jouer ce rôle.

 

C.d.B. : Existe-t-il encore des médias indépendants en Croatie ?

 

V. B. : Politiquement, oui, même si le magazine Feral Tribune n’existe plus. Mais économiquement, existe-t-il des médias autonomes ? Qui contrôle la Croatie, le Premier ministre Zoran Milanović ou Ivica Todorić, le propriétaire du groupe Agrokor ?

 

C.d.B. : Et quelle a été l’évolution des vétérans ?

 

V. B. : Difficile de le dire. Les vétérans ne peuvent pas être considérés comme un groupe uniforme, ils ne campent pas tous devant le ministère des Anciens combattants. Mon cousin, par exemple, a fait la guerre mais il ne dort pas rue Savska avec les autres !

 

C.d.B. : Pourriez-vous tourner un documentaire critique sur ce campement de rue Savska ? Ou sur la nouvelle Présidente Kolinda Grabar-Kitarović ?

 

V. B. : Critiquer Kitarović n’est pas un problème, mais je me demande qui viendrait voir le film… (Rires) Concernant le campement de Savska, la question est plus complexe, plus polémique, mais je crois que je pourrais tout de même réaliser un film à ce sujet. J’ai toujours travaillé comme je le souhaitais en essayant de pousser davantage les limites de la liberté d’expression. Et j’ai toujours pu le faire, sans danger, ni entraves.

 

C.d.B. : D’ailleurs, comment l’idée de faire ce documentaire est-elle née ?

 

V. B. : Les journalistes de la radio ont frappé à ma porte. Au début j’ai refusé, parce que je n’aime pas les reconstructions vidéos. Dans mes documentaires, je préfère que l’action soit filmée en direct. Après avoir examiné le matériel dans les archives, j’ai accepté. Il a fallu ensuite faire des interviews pour comprendre ce qui s’était passé à l’époque dans les coulisses du pouvoir.

 

C.d.B. : Vous avez réalisé également beaucoup de films de fiction. Est-ce que vous travaillez différemment selon que vous filmez une fiction ou un documentaire ?

 

V. B. : Jean-Luc Godard a dit : « Tous les grands films de fiction tendent au documentaire, comme tous les grands documentaires tendent à la fiction ». Cela est vrai. La fiction se raccroche au réel du documentaire, et le documentaire joue avec le pathos de la fiction. Peu importe ce que je filme, donc. Ce que je recherche dans tous les cas, c’est susciter des émotions auprès des spectateurs.

 

C.d.B. : Comment se porte la production documentaire en Croatie ?

 

V. B. : Plutôt bien, et il y a d’excellents réalisateurs. J’ai notamment vu Gangster te voli l'année dernière, un très bon film. Et ce festival permet de lancer la carrière des jeunes avec un soutien financier de l’institut croate de l’audiovisuel. J’ai moi-même fait mes débuts par le biais de Zagreb Dox…



 

 

Propos recueillis par Laetitia Moreni

Source : balkans.courriers.info, le 16 mars 2015.

 

Rédigé par brunorosar

Publié dans #Médias

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