Eduardo da Silva
Publié le 15 Juin 2014
Eduardo, âme damnée du maillot à damier
Recruté à 15 ans par Zagreb puis naturalisé croate, l’attaquant jouera le match d’ouverture face à son Brésil natal.
Jeudi soir, Eduardo da Silva vivra un drôle de moment lors des hymnes. L’attaquant va pousser la chansonnette un bon moment. Pour sa terre d’origine, le Brésil, et pour celle d’adoption, la Croatie. A 31 ans, il dispute sa première Coupe du monde. C’est sa famille qui a, récemment, le mieux résumé sa situation. «Il m’a dit qu’il allait chanter les deux hymnes. Il est croate pour le travail, mais son cœur est brésilien», a expliqué sa mère. Son frère ajoute : «C’est le summum pour un joueur brésilien de jouer la Coupe du monde dans son pays. Malheureusement pour lui, cette opportunité lui arrive avec le maillot d’un autre pays, ce qui n’enlève rien à son mérite. J’espère que le public comprendra.» Le buteur parle d’évoluer «contre [s]on Brésil».
Eduardo est, à sa manière, un symbole du football post-Bosman (1). A 15 ans, alors qu’il joue dans l’équipe de jeunes d’un petit club de Rio, il est repéré par un recruteur du Dinamo Zagreb. 50 000 dollars et le voilà parti pour le Vieux Continent. Les grands clubs européens font leur marché dans les meilleures écuries brésiliennes ou argentines, mais les autres sont obligés d’innover. Ils cherchent en Uruguay ou dans les sous-divisions auriverdes.
Quand on se retrouve, comme Eduardo et des dizaines d’autres compatriotes, à crapahuter dans des clubs de seconde catégorie en n’ayant jamais joué au pays, on sait que l’espoir de s’afficher un jour avec le maillot de la Seleção est quasiment nul. Or, porter une liquette nationale permet de se faire repérer et d’augmenter sa valeur marchande. «Le travail», comme dit la maman.
Après un prêt dans le modeste club carioca de Bangu et en D2 croate, Eduardo régale au Dinamo et est naturalisé croate en 2002. Il débute en sélection en 2004, seul métis dans une équipe de blancs. Depuis, il a porté 62 fois le maillot à damier blanc et rouge et marqué 29 buts, devenant le deuxième meilleur buteur de l’histoire de cette jeune nation derrière la légende locale, Davor Suker. Tout sauf une erreur de casting pour la Croatie.
Cela aurait même pu devenir un regret pour le Brésil, sans un tacle assassin d’un défenseur anglais. En 2007, Eduardo est transféré à Arsenal, joue bien, commence à faire parler de lui. Jusqu’à cet attentat de Martin Taylor, rugueux joueur de Birmingham. Eduardo échappe de peu à l’amputation et est éloigné des terrains pendant un an. Il ne retrouve jamais vraiment son niveau et part pour le Chakhtar Donetsk où il joue toujours.
Il n’est pas le seul Croate dont le cœur va balancer, jeudi. Sur le banc sûrement, Sammir, 27 ans, milieu à Getafe (Espagne), a connu un peu le même parcours. Aucun match avec son club formateur de l’Atlético Paranaense, sept ans au Dinamo Zagreb et une première cape croate en 2012, non sans polémique. Pour protester contre ce recrutement - un, ça va, deux, c’est l’invasion -, Danijel Pranjic, un cadre de l’équipe, annonça sa retraite internationale. Il est revenu sur sa décision depuis, mais vient de se blesser. Sammir, lui, s’en est «remis à Dieu» pour «au moins un match nul». Contre son Brésil, il n’a pas osé parler de victoire.
(1) En 1995, l’arrêt Bosman, du nom d’un joueur belge, a libéralisé le marché des transferts en Europe. Auparavant, le nombre de joueurs étrangers par équipe était limité.
par Quentin Girard
Source : liberation.fr, le 11 juin 2014.